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Le monde ouvrier et le Crédit Social

Louis Even le vendredi, 22 décembre 1967. Dans Une lumière sur mon chemin

Le Crédit Social: la meilleure promotion ouvrière

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La grève est une guerre civile

Louis EvenSi vous suivez tant soit peu les nouvelles courantes dans les journaux, à la radio ou à la T.V., vous voyez rarement passer une semaine sans qu’il soit fait mention d’une grève ou d’une menace de grève quelque part — jusque dans les services publics, depuis qu’elles y bénéficient de la même légalité que celles qui se produisent dans les entreprises privées.

Au moment où je commence la composition de cet article, je jette un coup d’œil sur un quotidien du jour (15 décembre). Je vois justement en première page: «Les contrôleurs de la circulation aérienne ont décidé, hier soir, par un vote de 578 voix contre 33, d’entrer en grève mardi prochain».

Cette grève, légale aux termes de la législation actuelle, paralyserait tous les services aériens du Canada. Pour empêcher cette grave situation, il faut, à moins d’un accord de toute dernière heure, une loi d’urgence votée par le Parlement d’Ottawa.

En page 3 du même numéro de ce journal, je lis: «Les 9,000 professeurs de la Commission des Écoles Catholiques de Montréal décideront lundi s’ils feront la grève le 13 janvier. 212,000 élèves seraient touchés par cet arrêt de travail de la part du personnel enseignant.»

Dans la colonne voisine, je lis: «Les employés manuels de la ville de Montréal préparent leur comité de grève. Cette grève, qui peut légalement commencer le ou vers le 1er février, semble inévitable, dit le président du syndicat; 5,500 travailleurs manuels sont en cause. Par ailleurs, quatre autres syndicats de fonctionnaires municipaux (police, pompiers, contremaîtres, collets-blancs), totalisant 17,000 membres, ont refusé en bloc, vendredi dernier, les dernières offres de la ville.»

Voilà toujours bien trois menaces de grèves qui ne devraient jamais être légalisées, à cause des effets désastreux qu’en subirait le public. Mais le public, quel syndicat s’en préoccupe ? Les grévistes en piquetage aux portes des hôpitaux, en juin dernier, se souciaient-ils le moins du monde du sort des malades qu’ils avaient abandonnés ?

Une grève survient à la suite de négociations qui n’ont pu aboutir à un accord entre les deux parties, le côté du syndicat et celui de l’employeur. Le premier dit: On nous offre trop peu, c’est inacceptable. L’autre dit: Le syndicat exige trop, au delà de nos moyens de payer, c’est inacceptable. Alors, c’est la guerre, car une grève c’est cela, une guerre intestine dans une entreprise. Intestine, mais dont les victimes se trouvent aussi en dehors des deux parties en cause.

Hausse de salaire suivi d’une hausse des prix

Qui est assis autour de la table de négociation quand il s’agit, par exemple, de discuter d’une hausse de salaire ? Il y a là les représentants de l’employeur et les représentants des employés. Mais seront-ils les seuls affectés par la hausse consentie ? Toute hausse de salaire est nécessairement une hausse du coût de revient. Donc, une hausse de prix à payer par les consommateurs des produits ou des services fournis par l’entreprise ou le corps public concerné.

C’est dire que la hausse consentie se fera sur le dos des consommateurs. Or, les consommateurs n’ont point de représentants attitrés à la table de négociation.

Employeurs et employés sont certainement, eux aussi, des consommateurs; c’est même une augmentation de pouvoir d’achat, donc une augmentation de leur pouvoir de consommation, que réclament les employés quand ils veulent une hausse de salaire. Cela n’a rien à voir avec les conditions physiques de leur emploi; ce n’est plus leur vie aux heures d’emploi, mais leur vie à la maison, leur vie comme consommateurs qui est affectée par le salaire. Mais les syndiqués en instance de plus gros salaires représentent seulement un groupe de consommateurs — le leur — qui veut améliorer son sort sans se soucier de la brèche qui s’ensuivra dans le sort des autres consommateurs. Si la grève est une guerre civile dans l’entreprise, elle produit donc aussi les effets d’une guerre civile entre consommateurs.

Le salaire de base des employés manuels de la cité de Montréal est actuellement de $2.05 de l’heure. La ville veut bien le hausser de 30 cents, mais le syndicat réclame une hausse de $1.25, ce qui le porterait à $3.30 de l’heure.

Si la ville consentait la hausse de salaire de $1.25 de l’heure, demandée par le syndicat, cela ferait pour chaque employé une hausse de $50 par semaine de 40 heures, de $2,600 par année. Et pour les 5,500 employés manuels, cela augmenterait les dépenses de la ville de $14,575,000, rien que pour les hausses de salaire de base. Où la ville devrait-elle trouver ces 14 millions et demi, sinon dans les poches des contribuables ? Cela, le syndicat ne peut pas l’ignorer, mais il a tout l’air de s’en foutre éperdument.

Système d’argent malsain

Mais qu’arrive-t-il à la suite des hausses de salaires qui font monter les prix à payer par les consommateurs et les taxes à payer par les contribuables ? Il arrive que devant cette nouvelle hausse du coût de la vie, les employés d’autres industries et les fonctionnaires d’autres secteurs publics réclament à leur tour des hausses qui elles aussi iront s’ajouter au coût de la vie.

C’est la spirale ascendante salaires-prix, pour mener où ? À l’instabilité, au mécontentement, au chaos, à des multiplications d’interventions de la part des gouvernements, à l’étatisme, avec la dictature communiste au bout.

Mais comment hausser les revenus insuffisants des familles ouvrières devant la cherté de la vie, sans augmenter davantage le coût de la vie ? — C’est impossible dans un système qui ne distribue d’argent qu’en fonction de l’emploi, alors que tout argent ainsi distribué par l’emploi entre dans les prix.

Et cette situation ne peut qu’empirer à mesure que le progrès dans la production remplace les hommes par des machines et à mesure que l’automation croissante remplace les surveillants humains de ces machines par des surveillants électroniques.

Le système actuel d’argent, seule source des moyens de paiement, désuet, faux et frauduleux depuis longtemps, le devient de plus en plus. Il ne sait ni s’assouplir ni servir, il est devenu un instrument de domination et de conditionnement de la vie des hommes par ceux qui le contrôlent, par leurs favoris de la finance et de la grosse industrie, par leurs valets de la politique, des syndicats, des grands moyens d’information et des hautes chaires d’enseignement.

Pour une finance saine

Avec les immenses possibilités physiques de la production moderne, les difficultés qui empêchent une vie économique saine et satisfaisante pour tous seraient facilement résolues par l’adoption d’un système financier approprié:

Un système qui ferait en tout temps la finance refléter exactement les réalités de l’économie, tant dans la production que dans la distribution;

Un système qui saurait distribuer du pouvoir d’achat suffisant sans hausser les prix d’un seul sou;

Un système qui pourrait abaisser les prix à payer par les acheteurs sans léser les vendeurs d’un seul sou;

Un système qui saurait reconnaître que tout être humain tient, de sa nature même, le droit fondamental à l’usage des biens matériels répondant à ses besoins vitaux;

Un système qui considérerait, à juste titre, tous les citoyens comme co-propriétaires des richesses naturelles du pays, créées par Dieu; comme co-héritiers aussi des inventions et des progrès dans les procédés de production développés, grossis d’une génération à l’autre et transmis jusqu’à nous — richesses et héritage constituant le plus gros facteur de la capacité moderne de production et devant procurer à tous les co-propriétaires et co-héritiers un dividende sur la production réalisée.

Une libération

Ce sont là les caractères libérateurs et vraiment sociaux d’un système financier qui appliquerait les propositions énoncées par Douglas, voici tout près d’un demi-siècle ; système connu sous le nom de Crédit Social, mais sans aucun rapport avec un parti politique qui s’affuble de ce nom tout en poursuivant d’autres fins.

L’adoption d’un tel système de finance ferait tomber d’un coup les problèmes d’argent qui opposent patrons et employés. Les ouvriers n’auraient plus à chercher des hausses de salaires pour rejoindre le niveau des prix: cela serait fait, d’une part, par le dividende à tous, et d’autre part, par un escompte général qui abaisserait les prix pour les acheteurs, tout en étant compensé au vendeur pour lui permettre de toucher le prix comptable auquel il a droit.

Le salaire resterait la récompense de l’effort. Mais quand le flot de production maintient son débit ou l’augmente même, tout en diminuant les heures d’ouvrage ou le nombre des employés, ce n’est évidemment pas dû à une augmentation de l’effort fourni; c’est un fruit du progrès. Le fruit d’un capital communautaire qui doit se traduire par une hausse des dividendes à tous, et non pas par une hausse accordée aux seuls producteurs.

Promotion ouvrière

D’ailleurs, l’établissement d’un système financier créditiste permettrait la plus belle, la plus complète des promotions ouvrières. En effet, de même que l’esclavage d’autrefois disparut pour faire place au servage, de même que le servage disparut à son tour pour faire place au salariat, de même aussi, le salariat pourrait disparaître graduellement, rapidement même, pour ne laisser que l’associationnisme: des individus compétents, capables de fournir de bons produits, de prendre des responsabilités et unissant librement leurs activités pour répondre aux besoins de la population.

Cela n’est pas possible aujourd’hui, avec un système où ce sont les hommes de dollars qui dominent, embauchant les compétences à leur service pour la poursuite d’autres dollars. Mais sous un système créditiste, cela devient facile.

Banni des syndicats

Comment donc se fait-il que l’on trouve encore des personnes et des groupes qui repoussent le Crédit Social, préférant essayer tirer quelque chose du système actuel en pilant sur les pieds des autres ?

Vus individuellement, les ouvriers, en grand nombre, nous dirions même en majorité, ne souhaitent pas mieux que voir appliquer les propositions financières préconisées par Douglas. Mais, dans leurs assemblées syndicales, le sujet reste banni, à moins que ce soit pour le dénigrer. C’est que les chefs sont, consciemment ou sottement des socialistes.

Or l’application du Crédit Social couperait définitivement toute voie d’accès au socialisme. Puis à quoi pourrait encore servir leurs syndicats ? Que deviendraient leurs chefs avec leurs grosses rémunérations, dans un monde où tous les citoyens jouiraient du statut de capitalistes où les dividendes à tous prendraient de plus en plus le pas sur les salaires dans la constitution du pouvoir d’achat ? Dans un monde où le salariat lui-même serait en passe de devenir, comme l’esclavage de jadis, un simple sujet d’histoire.

Il est temps que les syndiqués se rendent compte qu’ils sont trahis au lieu d’être servis par des chefs socialistes et qu’ils mettent ces dirigeants en demeure de changer leur orientation.

Louis Even

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