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Les machines au travail — Des dividendes aux hommes

Louis Even le samedi, 22 décembre 1962. Dans Une lumière sur mon chemin

La machine ne reçoit pas de salaire pour payer ce qu'elle fabrique

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Louis EvenDans son mémoire annuel au gouvernement de Québec, en 1954, la Confédération des Travailleurs catholiques du Canada, aujourd’hui ‘déconfessionnalisée’, insistait auprès du premier ministre sur le problème aigu du logement. Le premier ministre d’alors était l’honorable Maurice Duplessis et monsieur Gérard Picard était le président de la Confédération.

Pour alléger les problèmes du logement, le mémoire sollicitait le privilège de prêts sans intérêt pour les ouvriers qui voudraient se faire bâtir une maison familiale. Le gouvernement se chargerait des intérêts et l’ouvrier n’aurait que le capital à rembourser.

Le mémoire ne demandait pas de briques, mais de l’argent. On sait bien que les maisons sont bâties avec des briques, mais on sait bien aussi que les briques deviennent des murs seulement quand l’argent est là pour payer. Si l’argent n’est pas là, les briques ne bougent pas et des ouvriers du bâtiment grossissent le nombre des chômeurs.

M. Duplessis objecta: «Un prêt sans intérêt pour l’ouvrier ? C’est-à-dire un prêt dont le gouvernement paierait l’intérêt à la place de l’ouvrier emprunteur. Mais vous nous demandez de payer la maison à la place de celui qui l’habite!»

M. Picard répondit: «Non. Les ouvriers rembourseront le capital sur les vingt à trente ans.»

M. Duplessis reprit: «Dans quinze à vingt ans, le montant de l’intérêt sera égal au montant du capital. Si l’ouvrier ne rembourse que le capital et si le gouvernement paie les intérêts, le gouvernement paiera le même montant que le prix de la maison au bout de quinze à vingt ans, et il pourra avoir encore quelques années d’intérêts à payer en plus.»

M. Duplessis ne pouvait pas mieux démontrer que la famille pauvre, celle qui ne peut payer une maison que par versements annuels, est obligée de la payer deux fois. C’était vrai en 1954 et c’est encore vrai aujourd’hui car cela ne dépend pas du parti au pouvoir mais du système financier que tous les gouvernements respectent innocemment, ou lâchement, ou ‘criminellement’.

Voici une maison qui coûte à bâtir, disons $8,000. Si vous êtes riche, vous la payez tout de suite $8,000. Pas plus. Mais si vous êtes pauvre, vous la payerez $12,000, $15,000 et même plus selon le nombre d’années que ça vous prendra. Plus vous êtes pauvre, plus vous prendrez d’années à la payer et donc plus elle vous coûtera cher.

Le pauvre paie deux fois sa maison

On donnera toutes les raisons que l’on voudra pour expliquer pourquoi il en est ainsi, on invoquera les règlements financiers qu’on voudra, règlements établis par les hommes, pas par le bon Dieu. Il reste que le pauvre doit payer deux fois ce que le riche n’a à payer qu’une fois. Le moins capable de payer est obligé de payer plus que le plus capable de payer. Et c’est injustifiable.

Les ouvriers ont raison de demander une maison financée de manière à n’avoir à la payer qu’une fois. Mais la solution ne consiste pas à faire le gouvernement payer la deuxième fois à leur place. Quand c’est le gouvernement qui paie, il le fait avec les taxes. Ces taxes sont tirées, directement ou indirectement, de tout le monde. Et la majorité de tout le monde, ce sont justement les ouvriers. Ce serait donc, en définitive, les ouvriers eux-mêmes qui en feraient la grosse part des frais. D’ailleurs, nous les créditistes, nous ne demandons pas aux riches de payer une deuxième fois à la place du pauvre. Nous voulons que personne ne soit obligé de payer deux fois.

C’est le système financier qui est faux, et il est grand temps que les ouvriers se mettent avec les créditistes pour demander le changement.

La maison n’est bâtie qu’une fois. Les excavations ne sont creusées qu’une fois. La charpente, la maçonnerie ne sont montées qu’une fois. La tuyauterie n’est installée qu’une fois. Les ouvriers qui bâtissent et les fournisseurs de matériaux ne sont payés qu’une fois.

Pourquoi donc faut-il payer la maison deux fois ? On la paie une fois aux fournisseurs de matériaux et de travail. On la paie une deuxième fois au système financier. Le système financier ajoute au prix de la maison. Le système financier est un poids au lieu d’être un simple organisme de service. Quand donc, messieurs des syndicats et des unions, quand donc allez-vous réclamer la disparition de cet ogre, de ce voleur, et l’établissement d’une finance de Crédit Social ?

Le Crédit Social dit: ‘Toute production nouvelle doit être financée avec des crédits nouveaux’. C’est bien cela que vous voulez, n’est-ce pas ? Un crédit nouveau pour bâtir une maison qui n’existait pas et dont une famille a besoin.

Le Crédit Social ajoute: ‘Et les crédits seraient retirés à mesure seulement de la consommation, de la disparition de la richesse produite’. La maison ne peut pas disparaître plus d’une fois. Avec le Crédit Social, elle ne serait donc jamais payée plus d’une fois. C’est le Crédit Social qu’il vous faut, messieurs les ouvriers, à vous comme à tout le monde d’ailleurs. Il en est ainsi pour ce qui concerne le problème du chômage. Là aussi, c’est perdre son temps que de chercher une solution au chômage dans le système financier actuel.

Devant ce problème, que font les chefs ouvriers ? Ils demandent aux gouvernements, à Ottawa dans les circonstances, de faire exécuter des travaux publics pour donner de l’ouvrage aux chômeurs.

De quoi manque-t-on ? De produits ou d’argent ? Lorsque la production chôme, ce n’est certainement pas parce que les produits manquent, mais parce qu’ils s’accumulent faute de pouvoir d’achat chez ceux qui en ont besoin. Pourquoi donc demander d’autre production au lieu de demander de l’argent pour acheter les produits qui sont bel et bien là, en abondance ?

Demander des dividendes pour acheter les produits abondants

Demander du travail pour acheter le fruit du travail déjà fourni, c’est s’obliger à gagner son pain deux fois pour pouvoir le manger une fois.

Demander des travaux publics sous le système financier actuel, c’est aussi demander une hausse du coût de la vie. Il faut payer la production publique comme la production privée. Le gouvernement nous fait payer les travaux publics en taxes. Les ouvriers qui demandent des travaux publics veulent-ils plus de taxes, taxes qui pèsent déjà lourdement sur leur budget familial ? Si certaines taxes ne sont pas payées par eux-mêmes personnellement, elles leur retombent quand même sur le dos dans les prix.

La solution serait dans la distribution de plus de pouvoir d’achat mais sans charger ni l’industrie ni les contribuables. Si l’on fait l’industrie payer davantage, elle hausse ses prix. Si l’on fait les contribuables payer davantage, on diminue leur pouvoir d’achat par ces taxes.

Là encore, le Crédit Social présente la formule appropriée au progrès, au progrès qui remplit les magasins avec la production des machines. La formule: continuer à payer des salaires à ceux qui sont employés par la production, mais verser en plus un dividende à tout le monde, employés ou non, pour payer les produits de la machine, les fruits du progrès.

Alors les produits iraient aux maisons, les produits consommables, ceux qui répondent aux besoins des individus et des familles. Et la production continuerait de fournir les magasins. L’industrie continuerait d’employer les bras valides pour entretenir le flot de production. Les dividendes à tous feraient continuer le salaire aux employés.

Unions ouvrières, réclamez le Crédit Social

Ne voyez-vous pas, messieurs des unions ouvrières, que vous avez besoin du Crédit Social ? Pourquoi n’est-ce pas là, la première de vos demandes dans vos démarches à Québec ou à Ottawa ? Ne voyez-vous pas aussi que le système financier actuel est à la base de tous vos problèmes, de toutes vos difficultés avec vos employeurs ?

Vous est-il arrivé de vous trouver dans un magasin en même temps que votre patron ? Vous y êtes-vous chicané parce que votre patron emportait tous les produits et n’en laissait pas pour vous ? Avez-vous eu à vous plaindre que le marchand remplissait tellement le panier de votre patron qu’il n’en restait pas pour vous ? Le marchand n’est-il pas content de vendre aux deux ? Et n’en a-t-il pas en abondance pour vous deux ?

Ce n’est donc pas parce que votre patron en prend trop que vous n’en avez pas assez. C’est parce que le système financier vous barre l’accès à l’abondance non distribuée. Et c’est justement parce que le système financier vous empêche de puiser à cette abondance, que vous êtes visités par le chômage. Ce ne sont pas des ventres trop pleins qui vous empêchent de manger. Ce sont des têtes féroces qui vous mettent en pénitence devant cette abondance. Ce sont les puissants de la finance qui veulent garder leur pouvoir en vous maintenant dans la pauvreté et l’insécurité économique.

Il est démodé le système financier qui n’est pas capable de distribuer du pouvoir d’achat autrement que par l’embauchage des hommes, alors que le progrès consiste justement à embaucher de plus en plus les machines à la place des hommes. Il est faux le système financier qui n’est pas capable de distribuer du pouvoir d’achat supplémentaire sans augmenter les prix, alors que les prix sont déjà plus gros que le pouvoir d’achat.

Demandez donc avec les créditistes, le dividende à tout le monde parce que le progrès, de loin le plus gros facteur de production, est un capital social qui appartient à tout le monde. Vous êtes tous capitalistes. C’est un dividende et non pas de l’embauchage qu’il faut réclamer. Est-ce que les capitalistes demandent de l’emploi ou ne demandent-ils pas plutôt leur dividende ?

Les machines au travail

Et les créditistes ne cessent de réclamer le dividende, pas pour eux seulement mais pour tout le monde. Ils le réclament comme un dû et non pas comme une aumône.

Depuis des années déjà, les créditistes dénoncent l’injustice faite aux familles qui élèvent des enfants, en refusant de hausser le taux des allocations familiales. Ces allocations sont, en quelque sorte, un dividende aux enfants. C’est très insuffisant. C’est une honte. Ces allocations devraient être au moins triplées.

L’augmentation des allocations familiales serait déjà un adoucissement au problème du pain quotidien dans toutes les familles où il y a des enfants. Et ce serait en même temps stimuler la vente de produits qui s’accumulent. Quels seraient les premiers bénéficiaires d’allocations ainsi triplées ? Premièrement, les familles qui les recevraient. Deuxièmement, les salariés dont l’emploi serait consolidé par un meilleur écoulement des produits.

Nous demandons à tout le monde, pas seulement à ceux qui ont des enfants, mais à tous ceux qui ont encore une place pour la logique dans leur tête et pour la charité dans leur cœur, de se joindre aux créditistes pour réclamer des allocations familiales plus généreuses. Ce ne serait que le redressement d’un affront fait aux familles en ayant ignoré ce seul chapitre de la sécurité sociale, alors que pour tout le reste, on a tenu compte de la hausse du coût de la vie. Les députés ont su en tenir compte pour ajuster leurs salaires.

L’application du Crédit Social permettrait de résoudre facilement et efficacement, non seulement le problème du logement et le problème du chômage, mais également les mille autres problèmes d’argent qui naissent à tous les coins pour les corps publics aussi bien que pour les individus et les familles.

Mais, pour se renseigner sur le Crédit Social, ce n’est pas à un parti politique portant ce nom qu’il faut s’adresser. Il faut chercher la vérité dans l’organe authentique du Crédit Social, le Journal Vers Demain.

Louis Even

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