Monsieur Johnson, l'argent ne pousse pas dans les arbres !
Mais, il pousse bien quelque part, n'est-ce pas ?Les gouvernements ont un anneau dans le nez
Dans les journaux du 22 janvier, les nouvelles relatives à la politique annonçaient que le gouvernement de Québec songe à généraliser la taxe de vente. La généraliser, cela veut dire supprimer toutes les exceptions; taxer tous les achats, même les achats de produits alimentaires, de vêtements d'enfants, de remèdes et d'autres qui actuellement ne paient pas de taxe de vente.
L'an dernier, la taxe de vente fut haussée à 8 pour cent. Selon le nouveau projet, la taxe serait établie à 7 pour cent— soit un pour cent de moins. Mais comme elle s'appliquerait à tous les achats, le rendement serait beaucoup plus élevé. C'est qu'en effet, les produits alimentaires forment une partie considérable des dépenses de la famille, surtout des familles nombreuses. On calcule que du seul fait de taxer l'alimentation, le gouvernement obtiendrait 150 millions de dollars de plus. D'autres augmentations proviendraient de la taxe sur les vêtements pour enfants, sur les remèdes; et aussi, sur les services de toutes sortes que l'on songe à inclure dans le projet de taxe généralisée.
Les promoteurs du projet admettent que ce serait désavantageux pour les familles où le nombre de bouches à nourrir fait consacrer à l'achat de produits alimentaires plus de la moitié de leur revenu. Mais, disent-ils, le gouvernement pourrait, en compensation, hausser les allocations familiales. Une bien pauvre compensation, quand on sait que les gouvernements sont toujours gourmands pour collecter, mais toujours parcimonieux pour redistribuer.
Le gouvernement ne considérerait jamais ce projet, ni aucun autre, à moins d'y voir le moyen d'obtenir et de garder pour lui plus d'argent que par le mode actuel. Quand la taxe de vente, avec ses exceptions, était de 6 pour cent, le gouvernement la monta à 8 pour cent, dans le seul but d'obtenir davantage; et si aujourd'hui, il considère un autre changement, c'est certainement surtout dans le but de collecter encore plus, non pas dans le but d'en faire avoir davantage aux familles.
Le ministre Jean-Paul Cloutier dit qu'il est bien décidé à une réforme en profondeur de ses politiques d'assistance sociale. Pauvre assistance sociale : combien de transformations n'a-t-elle pas déjà subies ! C'est toujours à recommencer; les assistés, harassés d'enquêtes, de surveillances, de conditions, ne savent jamais combien de temps ils pourront se débattre avec le peu qu'on leur consent. Ils se sentent bousculés, tout comme les congédiés de l'industrie ou les faillis de l'agriculture qu'on bouscule d'un métier à l'autre, d'une place à l'autre, pour un embauchage qui ne durera peut-être que quelques mois ou même seulement quelques semaines. Bousculades qui disloquent les familles et affolent les esprits.
Et il en sera toujours de même, tant que les gouvernements, les provinciaux comme le fédéral, continueront de se laisser conduire, un anneau dans le nez, avec pas plus d'esprit qu'un bœuf, par les prétendues nécessités de la situation financière.
Toute hausse de taxe, quel qu'en soit le mode de 'perception, et quelle que soit la raison donnée pour l'établir, diminue le pouvoir d'achat de l'individu. Donc, diminue le volume ou la qualité des produits qu'il peut se procurer. Ce qui est stupide quand le pays peut continuer d'offrir à sa population la même quantité et la même qualité de produits.
On n'a jamais ouï dire que les peuples les plus primitifs se soient laissés souffrir, ou mourir de faim, avec du gibier ou du poisson en abondance à portée de leurs flèches on de leurs filets. Même les singes ne se mettraient pas et ne mettraient pas leurs petits à la ration sous un bananier chargé de fruits.
Il a fallu les gouvernements de pays civilisés du vingtième siècle, pays regorgeant de biens de toute description, pour imposer à leurs peuples des réglementations qui diminuent leur obtention de ces biens, alors que le problème n'est pas du tout de les produire, mais de les vendre.
Mais, dira notre premier ministre du Québec, Daniel Johnson, comme Jean Lesage le disait avant lui : Il faut bien que le gouvernement ait de l'argent, et l'argent ne pousse pas sur les arbres.
On sait bien, monsieur Johnson, que l'argent ne pousse pas sur les arbres, mais tout le monde, et vous-même, devez bien savoir que l'argent pousse quelque part. Et s'il ne pousse pas comme les choses de la nature, c'est justement parce qu'il pousse selon des actions ou des décisions d'hommes. Vous devriez bien vous informer pour savoir où et comment l'argent sort du néant, au lieu de fouiller les poches des individus et des familles qui en ont besoin pour s'approvisionner au magasin, aidant ainsi à résoudre les problèmes de l'écoulement des produits.
Puis, vous devriez bien vous demander si le pain sur la table doit être conditionné par l'argent, ou bien si l'argent doit être conditionné par l'existence du pain devant les besoins.
Si vous mettez une taxe de 7 pour cent sur le pain, de 7 pour cent sur le lait, de 7 pour cent sur le beurre, de 7 pour cent sur la viande, la population devra acheter 7 pour cent de moins de pain, de lait, de beurre, de viande. Est-ce parce que les fermiers de l'Ouest canadien ne pourront plus produire autant de blé, ni nos cultivateurs élever autant de vaches laitières, autant de cochons et autres animaux à viande qu'auparavant ?
Non, évidemment.
— Mais, allez-vous ajouter encore : Il faut bien que le gouvernement enlève ce 7 pour cent des porte-monnaie, parce qu'il en a besoin. Besoin, disons, pour ses dépenses de voirie, ou pour construire les palais scolaires où l'enfant apprend à dédaigner la maison familiale et bien d'autres choses plus graves encore.
Eh bien, monsieur Johnson, est-il nécessaire que le boulanger cuise moins de pain, que les-cultivateurs diminuent de 7 pour cent leur cheptel, pour pouvoir paver des routes, ou pour avoir des matériaux et de la main-d'œuvre pour vos écoles ? Faut-il diminuer la production de lait pour augmenter la production de briques ?
Mais voilà, vous prenez l'argent pour une réalité, et une réalité suprême, qui doit conditionner la vie des personnes, des familles et même des gouvernements souverains. Alors que l'argent n'est rien que le fruit d'une décision d'individus ou d'institutions qui s'attribuent plus de pouvoir que tous les gouvernements du monde. Alors que l'argent n'est rien qu'un permis pour obtenir des produits qui existent, ou pour mobiliser la main-d'œuvre et les matériaux pour produire.
Est-ce qu'un permis de construire une route ou de bâtir une école doive ôter des permis de se procurer du pain, du lait, du beurre, de la viande ?
Faut-il diminuer le beurre pour avoir de l'asphalte ? Les cultivateurs ne peuvent-ils pas continuer à fournir la même quantité de lait quand vous mettez un ingénieur et une équipe de travailleurs à construire un bout de route ? L'un nuit-il à l'autre, et pourquoi ? C'est votre règlement de taxes qui fait l'un nuire à l'autre, parce que vous vous inclinez devant des règlements financiers absurdes, en désaccord absolu avec la réalité. Comme si la main-d'œuvre, ou les machines, ou les matériaux manquaient pour produire à la fois les biens publics et les biens privés. Comme s'il fallait enrôler les hommes qui prennent soin des vaches pour les employer à la route. Comme s'il fallait refuser de la brique aux entrepreneurs qui bâtissent des maisons pour les familles, afin d'avoir de la brique pour les écoles et les hôpitaux.
C'est aussi absurde que quand votre gouvernement va à New-York, à, Londres ou à Paris, chercher de l'argent pour permettre à des bras et des cerveaux de la province de Québec de travailler à l'exploitation des richesses naturelles de la province. S'il n'y avait ni États-Unis, ni Angleterre, ni France, si notre pays était le seul au monde, avec sa présente population, avec ses moyens actuels de production, avec ses richesses naturelles actuellement connues, allez-vous nous faire croire qu'il faudrait se croiser les bras en attendant que pousse un autre continent, et sur ce continent des financiers vers lesquels vous pourriez aller quêter des permis pour mettre en mouvement la capacité de production de chez nous ?
Que d'autres choses absurdes, monsieur Johnson ! Comme sont absurdes aussi vos casse-tête financiers purement artificiels ! Le fait que vos prédécesseurs aient procédé exactement de la même manière, que les autres gouvernements de pays prétendument évolués n'agissent pas autrement, n'enlève rien à ce non-sens, à cette perversion qui soumet les réalités à un irréel absurde. Qu'un hôpital mental soit plein de malades, cela ne rend pas moins malade chacun des patients qui s'y trouvent.
Vous êtes-vous quelquefois demandé, monsieur Johnson, comment il se fait que la population du Québec, qui, après tout, a construit le système routier de la province et autres développements publics de toute sorte, à même ses propres matériaux, ses propres bras, ses propres cerveaux, fournissant nourriture et autres nécessités à ceux des siens qui construisaient, comment il se fait qu'elle se trouve endettée
Pour revenir au projet de la taxe de vente généralisée, les promoteurs déclarent que ce serait en faciliter la perception; qu'il faut un personnel nombreux et une organisation coûteuse pour démêler et vérifier les rapports des marchands, surtout d'épiceries, de pharmacies, de librairies, de merceries à la fois pour adultes et enfants, où des produits sont taxés et d'autres ne le sont pas. La généralisation de la taxe, disent-ils, allégerait toute cette bureaucratie.
Il y a un moyen bien plus simple de l'alléger encore davantage, c'est de la supprimer tout à fait.
En matière de taxes, il y a d'abord le fait que le gouvernement pourrait se dispenser des quatre-cinquièmes au moins de ce qui l'occupe actuellement, s'il commençait justement par éliminer à sa source le problème financier pour les personnes et les familles. Cela leur permettrait d'accomplir elles-mêmes les choses dont le gouvernement se charge de plus en plus, toujours en prétextant l'insuffisance financière des personnes, des familles et des corps publics inférieurs. Puis, dans un système financier conforme aux réalités économiques et serviteur de l'homme, le pouvoir de payer serait tenu globalement en rapport constant avec le pouvoir global de produire, tant pour les biens privés que pour les biens publics. Puis, encore, chaque personne, à titre de co-propriétaire des richesses naturelles du pays et de co-héritière du progrès dans les moyens de production, recevrait un dividende social, dividende croissant à mesure que la productivité augmente sans augmentation de labeur humain. Le pouvoir d'achat global serait donc composé de plus en plus d'un dividende social à tous et à chacun, et de moins en moins de salaires, puisque le travail dont le salaire est la récompense prendrait de moins en moins de place dans la production des biens répondant aux besoins normaux des familles et du public. Et qu'adviendrait-il des taxes ? Comme l'a écrit Douglas : pour ce qu'elle a elle-même produit ? Pourquoi, par votre ultra-sacré service de la dette publique, elle est astreinte à payer, année après an; née, souvent jusqu'à deux fois, parfois même trois fois le prix de ce qui est sa propre production ? Mettez donc vos hauts fonctionnaires de la perception des taxes à chercher et à vous donner une réponse sensée à cette question. Peut-être alors, si vous n'êtes pas irrémédiablement tenu en laisse par un système indéfendable, aurez-vous la vision des belles possibilités et l'audace voulue pour les mettre au service de la province, sans permettre à personne d'y faire obstacle.
Le système de taxation, avec sa complexité, son caractère irritant, avec les centaines de personnes qu'il emploie, est un gaspillage complet de temps. Tous les résultats qu'il est supposé fournir pourraient être accomplis sans aucune comptabilité, par le simple mécanisme d'ajustement des prix.
Cet ajustement des prix (non pas une fixation des prix) aurait d'ailleurs comme résultat de bannir toute inflation, en même temps que, sans nuire à personne, sans léser les droits du producteur, il permettrait à la population de jouir des fruits de sa pleine capacité de production.
Ajustement des prix pour la distribution possible de toute la production répondant aux besoins. Et le dividende social à tous et à chacun, pour garantir à chaque personne une part de plus en plus généreuse de cette production. Il ne serait donc plus question d'indigents dans un pays capable de fournir ce qu'il faut pour satisfaire les besoins normaux de toute sa population. Voilà qui remplacerait avantageusement, monsieur le ministre Cloutier, ce que vous pouvez rêver de mieux pour votre politique d'assistance sociale.