De l'argent pour tuer et détruire. Pas d'argent pour nourrir et bâtir
L'argent est fabriqué par le banquier avec sa plume et une goutte d'encre
L'argent commence quand le banquier prête des crédits
L'argent finit quand on rembourse ces crédits à la banque
Quel est le problème le plus général de la vie courante ? Qu'il s'agisse des individus, des familles, des municipalités, des commissions scolaires, des fabriques paroissiales, de tous les corps publics comme des institutions privées, le casse-tête général, c'est le problème financier
Problème d'argent. Problème ni naturel ni surnaturel. Cultiver des légumes, élever des animaux, remplir les magasins de produits, transporter des hommes ou des choses, trouver des bras et du matériel pour bâtir — voilà qui pourrait être des problèmes naturels. Or, ils sont tous vite réglés aujourd'hui.
Mais le problème d'argent, problème que ni le bon Dieu ni la nature n'ont fait, problème artificiel fait de main d'homme, tout le monde s'en plaint et on continue de le subir comme on subit une sécheresse ou un ouragan. Si c'était du blé qui manquait, on dirait : Semons du blé. Mais quand c'est l’argent qui manque, avec toutes les souffrances et les privations humaines que cela impose même devant des magasins pleins, au lieu de dire : Faisons de l'argent —on continue de gémir. On trouve même un peu toqués ceux qui disent que, puisque l'argent seul manque, la solution, c'est d'en faire bien vite autant qu'il en manque. On admet bien que si l'on manque de maisons il faut en bâtir, si l'on manque de vêtements il faut en fabriquer. Mais fabriquer de l'argent, ça paraît inouï. Il y a je ne sais quoi de sacré autour du mot argent — la chose pourtant la plus simple à produire quand ceux qui en ont l'autorité le décident.
On en a eu l'exemple en 1939. Depuis dix années, toutes les nations civilisées étaient dans ce qu'on appelait la crise. Pas une crise de produits, ni de bras, on avait trop de tout cela. Pas une crise de température ni de Providence : rien n'avait changé de ce côté-là. Mais une crise d'argent. Individus, compagnies, gouvernements manquaient d'argent. On chômait, faute d'argent pour payer le travail. On n'achetait pas, faute d'argent pour payer les produits.
Pourtant, tous ces pays-là embarquèrent prestement dans une guerre majeure, et une guerre moderne majeure demandant des milliards.
C'est alors qu'on vit disparaître la magie de l'argent. Dans tous les pays en guerre, on fabriqua tout l'argent qu'il fallait pour conduire la guerre, au fur et à mesure qu'on en avait besoin, tant qu'on avait des hommes et du matériel pour faire la guerre. Le « pas d'argent », qu'on entendait tous les jours avant la guerre, ne fut pas prononcé une seule fois pendant la guerre. Quand l'Allemagne capitula, ce ne fut pas à cause du manque d'argent, mais à cause du manque d'hommes et de matériel pour continuer.
Comment donc le monde passa-t-il ainsi, subitement, de la crise d'argent à l'abondance d'argent pour la guerre ? Comment ? Mais en fabriquant l'argent qui manquait. Au Canada, dès la déclaration de guerre par un gouvernement à coffres vides, ce gouvernement se fit faire 80 millions de dollars, et ça ne prit pas cinq minutes. D'autres millions suivirent, et l'on eut des milliards, tous les milliards voulus pour changer les chômeurs en soldats ou en fabricants de munitions, d'avions, de vaisseaux et autre attirail de guerre. Aux États-Unis, après Pearl Harbour, le président Roosevelt déclara qu'il ne permettrait pas au non-sens financier d'empêcher la nation de mettre tous ses hommes valides et tous ses moyens de production au service de la guerre.
Le non-sens financier, disait Roosevelt. Le non-sens financier, c'est la paralysie de la production et de la distribution de richesse pour manque de ces petites choses qu'on appelle piastres. Des piastres, qui ne sont point des ordonnances du ciel ; des piastres qui ne sont point une affaire compliquée à produire, puisqu'elles sont venues du jour au lendemain quand on a secoué le non-sens financier pour entrer hardiment dans la grande tuerie mondiale.
Pour avoir de l'argent, ni le gouvernement canadien ni aucun autre gouvernement n'ont envoyé les hommes dans les mines d'or. Les hommes, c'était pour l'armée, pour les munitions, et un grand nombre de femmes aussi.
Pour avoir l'argent, le gouvernement n'a même pas engagé d'imprimeurs pour imprimer des dollars. C'est beaucoup plus simple .que cela. Il a demandé aux banquiers de lui faire de l'argent. En faire, mais oui. Depuis longtemps, les gens n'en avaient pas, ils ne pouvaient donc pas en épargner et en porter à la banque. Les réserves des banques étaient passablement à plat. Et pourtant, il fallait des millions, il fallait des milliards. Pas d'autre solution que d'en faire.
Pour faire l'argent voulu, les banques n'ont pas eu à inventer une nouvelle méthode. Elles ont simplement employé la même technique qu'elles emploient toutes les fois qu'elles prêtent de grosses sommes d'argent à des industriels ou à des corps publics. Dans ces occasions-là, elles font l'argent qu'elles prêtent ; elles créditent l'emprunteur sans débiter personne.
Vous savez tous ce que c'est qu'un compte de banque. Quand vous en avez un, vous pouvez payer sans sortir de l'argent de votre poche. Vous faites un chèque. Celui qui reçoit votre chèque peut le déposer à sa propre banque. Qu'arrivera-t-il ? Votre compte sera diminué, et le sien sera augmenté. Il n'y aura eu besoin ni d'or, ni d'argent blanc, ni de nickel, ni de piastres en papier — rien qu'une addition dans un compte et une soustraction dans un autre compte, et c'est aussi bon. C'est avec cela que marchent les grosses affaires. C'est avec cela qu'on a financé la guerre.
Mais, direz-vous, pour avoir un compte de banque, il faut épargner et déposer. C'est une méthode. Mais il y en a une autre, celle des emprunts.
Supposons que je sois un gros industriel. Je veux agrandir mon usine. Il me faudrait tout de suite $100,000. Je vais à la banque. Je m'arrange avec le gérant pour un emprunt de $100,000. Il me demande des garanties, évidemment. Mais je n'apporte pas un sou à la banque. Le gérant me signe un papier. Je vais au caissier. Je dépose ce papier. Le caissier ouvre son livre, à son compte, et il inscrit à mon crédit $100,000. Je sors de la banque avec un compte de $100,000, sur lequel je pourrai tirer des chèques au fur et à mesure que j'aurai des paiements à faire. Voyez-vous : je n'ai pas fait ce compte-là par la méthode des épargnants. Sans apporter un sou à la banque, je sors quand même avec un compte de $100,000, tout comme si j'avais apporté et déposé cette somme. Ce qui est remarquable encore là-dedans, c'est que pour me prêter cet argent-là, le banquier n'a pas sorti un sou de son tiroir ; et il n'a pas diminué d'un seul sou le compte d'un seul autre client. Tout le monde en a autant qu'auparavant, et moi j'ai $100,000 de plus. Un beau $100,000 enlevé à personne, sorti de nulle part, et maintenant dans mon compte. C'est un $100,000 d'argent tout neuf, tout en chiffres, mais aussi bon que de l'or pour payer n'importe quoi. Ce $100,000 a été fabriqué par le banquier, avec sa plume et une goutte d'encre, après qu'il a consenti à le faire. Une décision, un peu d'encre, et c'est tout. C'est là "la fabrication de l'argent moderne ; et seule la banque fait cela. Le gouvernement, qui manque toujours d'argent, ne fait pas cela ; il est inférieur au banquier.
Évidemment, j'aurai à rembourser le $100,000 au banquier ; même un peu plus, à cause de l'intérêt. Quand je rembourserai, j'aurai retiré l'argent de la circulation ; le fonds total à chèque dans le pays aura diminué de $100,000, et un peu plus.
Plus probablement, le banquier aura commencé par retenir l'intérêt, me créditant seulement la somme de $100,000 diminuée du montant de l'intérêt pour la durée du prêt déterminée entre le gérant et moi : peut-être $93,000, que je pourrai mettre en circulation, mais avec l'obligation de retirer de la circulation, et de rapporter à la banque dans l'année, du crédit financier pour toute la somme de $100,000.
L'effet est le même dans les deux cas.
L'argent commence donc quand le banquier prête ce qu'il appelle des crédits, et qui est le principal argent moderne. Puis l'argent finit quand on le rembourse à la banque. Comme il faut que les remboursements soient plus gros que les prêts, il faut qu'il y ait continuellement des emprunts nouveaux, autrement il n'y aurait bien vite plus du tout d'argent. On vit donc avec de l'argent emprunté quelque part dans le système bancaire, donc parce que des individus ou des compagnies ou des corps publics s'endettent. Quand les prêts sont plus rapides que les remboursements, l'argent devient plus abondant. Quand les prêts deviennent plus difficiles et qu'il faut rembourser quand même, l'argent en circulation diminue ; on appelle cela restriction du crédit. Si la restriction du crédit est aiguë et se prolonge, on appelle cela une crise, et le monde souffre devant une possibilité de production abondante.
L'argent est fait pour payer, pour acheter. C'est essentiellement un titre donnant droit à des produits ou des services au choix. Ce titre est fait de chiffres. Chiffres gravés sur du métal, ou imprimés sur du papier, pour l'argent de poche. Chiffres inscrits dans des comptes de banque, pour le commerce et l'industrie.
Vous connaissez, d'autres chiffres, qui s'appellent prix. Eux sont inscrits sur les étiquettes qui accompagnent les produits. Les chiffres qui sont des prix viennent aussi vite que les produits et en rapport avec les produits. Mais les chiffres qui sont de l'argent, dans nos poches ou dans nos comptes de banque, ne viennent point du point aussi vite que les produits ni en rapport avec eux. C'est pour cela que tout le monde se plaint.
C'est pour cela que des gens se privent devant des produits abondants ; ou bien qu'ils s'endettent et prennent des années à payer ce lui se fabrique pourtant en quelques jours, parfois en quelques heures. C'est pour cela que es municipalités et les commissions scolaires et l'autre corps publics sont toujours aux prises avec du manque d'argent ou avec des dettes, ne pouvant pas taxer davantage des gens qui manquent déjà d'argent pour faire vivre convenablement leurs familles. C'est pour cela que les maisons sont vendues pour les taxes.
C'est pour cela que des produits agricoles se vendent mal ou pas du tout, alors qu'ils sont bons et désirés, parce que ceux qui les voudraient n'ont pas de quoi les payer. C'est pour cela qu'il y des chômeurs, qui aimeraient pourtant bien travailler — et il y a tant de choses à faire — mais on n'a pas de quoi les payer. C'est pour cela que les gens se chicanent partout, qu'ils cherchent à s'arracher les uns des autres Parent qui est trop rare, alors qu'ils ne se chicanent jamais autour des produits qui abondent Sans les magasins et dans les entrepôts.
La solution saute aux yeux. C'est de mettre L'argent au même pas que les produits beaucoup de produits, beaucoup d'argent ; production facile, argent facile ; produits devant les ramilles en besoin, argent dans les familles devant les produits.
Que le crédit financier, argent moderne, soit mis au monde, selon les besoins et selon les possibilités de la production, par une banque nationale, ou par un organisme monétaire national ou provincial. Organisme établi pour le service et non pas pour le profit — tout comme la justice et les autres ministères publics existent pour le service de la nation, et non pas pour le profit personnel des ministres ou des juges.
Cet assouplissement de la finance, au service de la production et de la distribution des biens répondant aux besoins humains, nécessite une réforme du système financier actuel dans le sens des propositions énoncées par Douglas, il y a 50 ans, et généralement connues sous le nom de Crédit Social. Ne pas confondre avec des partis politiques qui se permettent de prendre ce nom et peuvent être n'importe quoi.
Cette réforme faciliterait à chaque personne la poursuite de son propre épanouissement. Elle libérerait les familles et les institutions de l'incessant recours à l'État, qui les fait perdre leur liberté à cause d'une insuffisance financière. Elle permettrait aux compétences de donner libre cours à leurs propres initiatives, au lieu d'être astreintes à s'embaucher dans des industries mastodontes qui les dépersonnalisent. Une foule d'autres possibilités, d'ordre individuel, familial et social, font de cette conception de la finance un objectif d'une importance primordiale, qui mérite tous nos efforts pour la faire prévaloir.