Secouer le non-sens financier
Fabriquer l'argent qui manque
Les piastres ne sont point des ordonnances du ciel
Lorsqu’on a tout ce qu’il faut, excepté l’argent, pour produire les biens, privés ou publics, demandés par la population, la solution logique, puisque seul l’argent fait défaut, c’est de faire l’argent qui manque et de procéder à la production. Mais entendre ainsi dire de faire l’argent quand il en manque, voilà un langage que beaucoup de gens trouvent encore étrange.
On admet bien que si l’on manque de maisons il faut en bâtir, si l’on manque de vêtements il faut en fabriquer. Mais fabriquer de l’argent, cela paraît inouï. Il y a je ne sais quoi de sacré autour du mot argent. La chose pourtant la plus simple à fabriquer quand ceux qui en ont l’autorité le décident. Aucune difficulté technique, simple question de décision.
On en a eu l’exemple en 1939. Depuis dix années, toutes les nations civilisées étaient dans ce qu’on appelait la crise. Pas une crise de produits, ni de bras, on avait trop de tout cela. Pas une crise de température ni de Providence. Rien n’avait changé de ce côté-là. Mais une crise d’argent. Individus, compagnies, gouvernements, manquaient d’argent. On chômait, faute d’argent pour payer le travail. On n’achetait pas, faute d’argent pour payer les produits. Pourtant, tous ces pays-là embarquaient dans une guerre majeure, et une guerre moderne majeure demande des milliards.
C’est alors qu’on vit disparaître la magie de l’argent. Dans tous les pays en guerre, on fabriqua tout l’argent qu’il fallait pour conduire la guerre, au fur et à mesure qu’on en avait besoin, tant qu’on avait des hommes et du matériel pour faire la guerre. Le «pas d’argent», qu’on entendait tous les jours avant la guerre, ne fut pas prononcé une seule fois pendant toute la guerre. Quand l’Allemagne capitula, ce ne fut pas à cause du manque d’argent, mais à cause du manque d’hommes et de matériel pour continuer.
Comment donc le monde passa-t-il ainsi, subitement, de la crise d’argent à l’abondance d’argent pour la guerre ? Comment ? Mais en fabriquant l’argent qui manquait. Au Canada, dès la déclaration de guerre par un gouvernement à coffres vides, ce gouvernement se fit faire 80 millions de dollars, et ça ne prit pas cinq minutes. D’autres millions suivirent, et l’on eut des milliards, tous les milliards voulus pour changer les chômeurs en soldats ou en fabricants de munitions, d’avions, de vaisseaux et autre attirail de guerre. Aux États-Unis, après Pearl Harbour, le président Roosevelt déclara qu’il ne permettrait pas au ‘non sens financier » d’empêcher la nation de mettre tous ses hommes valides et tous ses moyens de production au service de la guerre.
Le «non sens financier», disait Roosevelt. Le «non sens financier», c’est la paralysie de la production et de la distribution de richesse pour manque de ces petites choses qu’on appelle dollars. Des dollars, qui ne sont point des ordonnances du ciel; des dollars qui ne sont point une affaire compliquée à produire, puisqu’ils sont venus du jour au lendemain quand on a secoué le non sens financier pour entrer hardiment dans la grande tuerie mondiale.
Pour avoir de l’argent, ni le gouvernement canadien, ni aucun autre gouvernement en guerre n’envoya les hommes dans les mines d’or. Les hommes, c’était pour l’armée, pour les munitions, et un grand nombre de femmes aussi. Pour avoir l’argent, le gouvernement n’engagea même pas d’imprimeurs pour imprimer des dollars. C’est beaucoup plus simple que cela. Il demanda aux banquiers de lui faire de l’argent. En faire ? Mais oui.
Depuis longtemps, les gens n’en avaient pas, ils ne pouvaient donc pas en épargner et en porter à la banque. Les coffres des banques étaient donc passablement à plat. Et pourtant il fallait des millions, il fallait des milliards. Pas d’autre solution que d’en faire.
Pour faire l’argent voulu, les banques n’eurent pas à inventer une nouvelle méthode. Elles employèrent simplement la même technique qu’elles emploient toutes les fois qu’elles prêtent de grosses sommes d’argent à des industriels, à des gouvernements ou à d’autres corps publics. Dans ces occasions-là, elles font l’argent qu’elles prêtent; elles créditent l’emprunteur sans débiter personne.
Vous savez tous ce que c’est qu’un compte de banque. Quand vous en avez un, vous pouvez payer sans sortir de l’argent de votre poche. Vous faites un chèque. Celui qui reçoit votre chèque peut le déposer à sa propre banque. Qu’arrivera-t-il ? Votre compte sera diminué, et le sien sera augmenté. Il n’y aura eu besoin ni d’or, ni d’argent blanc, ni de nickel, ni de dollars en papier; rien qu’une addition dans un compte et une soustraction dans un autre compte, et c’est aussi bon. C’est avec cela que marchent les grosses affaires. C’est avec cela qu’on a financé la guerre.
Mais, direz-vous, pour avoir un compte de banque, il faut épargner et déposer. C’est une méthode. Mais il y en a une autre, celle des emprunts.
Supposons que je sois un gros industriel. Je veux agrandir mon usine. Il me faudrait tout de suite $100,000. Je vais à la banque. Je m’arrange avec le gérant pour un emprunt de $100,000. Il me demande des garanties, évidemment. Mais je n’apporte pas un sou à la banque. Le gérant me signe un papier. Je vais au caissier. Je dépose ce papier. Le caissier ouvre son livre, à mon compte, et il inscrit à mon crédit $100,000. Je sors de la banque avec un compte de $100,000, sur lequel je pourrai tirer des chèques au fur et à mesure que j’aurai des paiements à faire.
Voyez-vous ? Je n’ai pas fait ce compte-là moi-même par la méthode des épargnants. Sans apporter un sou à la banque, je sors quand même avec un compte de $100,000, tout comme si j’avais apporté et déposé cette somme. Ce qui est remarquable encore là-dedans, c’est que, pour me prêter cet argent-là, le banquier n’a pas sorti un sou de son tiroir; et il n’a pas diminué d’un seul sou le compte d’un seul autre client.
Tout le monde en a autant qu’auparavant, et moi j’ai $100,000 de plus. Un beau $100,000 enlevé à personne, sorti de nulle part, et maintenant dans mon compte. C’est un $100,000 d’argent tout neuf, tout en chiffres, mais aussi bon que de l’or pour payer n’importe quoi. Ce $100,000 a été fabriqué par le banquier, avec sa plume et une goutte d’encre, après qu’il a consenti à le faire. Une décision, un peu d’encre, et c’est tout. C’est là la fabrication de l’argent moderne; et seule la banque fait cela. Le gouvernement, qui manque toujours d’argent, ne fait pas cela; il est inférieur au banquier.
Évidemment, j’aurai à rembourser le $100,000 au banquier; même un peu plus à cause de l’intérêt. Quand je rembourserai, j’aurai retiré l’argent de la circulation; le fonds total à chèque dans le pays aura diminué de $100,000 et un peu plus.
L’argent commence donc quand le banquier prête ce qu’il appelle des crédits, et qui est le principal argent moderne. Puis, l’argent finit quand on le rembourse à la banque. Comme il faut que les remboursements soient plus gros que les prêts, il faut qu’il y ait continuellement d’autres emprunts, autrement il n’y aurait bien vite plus du tout d’argent. On vit donc avec de l’argent emprunté quelque part dans le système bancaire. Donc on vit parce que des individus ou des compagnies ou des corps publics s’endettent.
Quand les prêts sont plus rapides que les remboursements, l’argent devient plus abondant. Quand les prêts deviennent plus difficiles et qu’il faut rembourser quand même, l’argent en circulation diminue, on appelle cela restriction du crédit. Si la restriction du crédit est aiguë et se prolonge, on appelle cela une crise, et le monde souffre devant une production abondante.
L’argent est fait pour payer, pour acheter. C’est essentiellement un titre donnant droit à des produits ou à des services, au choix. Ce titre est fait de chiffres. Des chiffres gravés sur du métal ou imprimés sur du papier, pour l’argent de poche. Des chiffres inscrits dans des comptes de banque, pour le commerce et l’industrie.
Vous connaissez d’autres chiffres, qui s’appellent prix. Eux sont inscrits sur les étiquettes qui accompagnent les produits. Les chiffres qui sont des prix viennent aussi vite que les produits et en rapport avec les produits. Mais les chiffres qui sont de l’argent, dans nos poches ou dans nos comptes de banque, ne viennent point du tout aussi vite que les produits ni en rapport avec eux.
C’est pour cela que tout le monde se plaint. C’est pour cela que des gens se privent devant des produits abondants; ou bien qu’ils s’endettent et prennent des années à payer ce qui se fabrique pourtant en quelques jours, parfois en quelques heures. C’est pour cela que les municipalités et les commissions scolaires et d’autres corps publics sont toujours aux prises avec du manque d’argent ou avec des dettes, ne pouvant pas taxer davantage des gens qui manquent déjà d’argent pour faire vivre convenablement leurs familles.
C’est pour cela que des maisons sont vendues pour les taxes. C’est pour cela que des produits agricoles se vendent mal ou pas du tout, alors qu’ils sont bons et désirés, parce que ceux qui les voudraient n’ont pas de quoi les payer. C’est pour cela qu’il y a des chômeurs, qui aimeraient pourtant bien travailler; et il y a tant de choses bonnes à faire mais on n’a pas de quoi les payer. C’est pour cela que les gens se chicanent partout, qu’ils cherchent à s’arracher les uns des autres l’argent qui est trop rare, alors qu’ils ne se chicanent jamais autour des produits dans les magasins, parce que les produits sont abondants.
La solution saute aux yeux. C’est de mettre l’argent au même pas que les produits, production abondante, argent abondant; production facile, argent facile; produits existant devant les familles en besoin, argent dans les familles devant les produits.
Pour cela, il faut que le volume de l’argent et son mode de mise en circulation soient une affaire sociale, non pas une affaire dépendant de profiteurs, de banques qui maintiennent l’argent difficile et conditionné par elles, de sorte qu’on soit toujours obligé d’aller à leurs portes s’endetter et les engraisser d’intérêts.
C’est pourquoi nous demandons que l’argent soit mis au monde, selon les besoins et selon la production, par une banque nationale, ou un organisme national, ou provincial si le fédéral ne veut pas agir, un organisme existant pour le service et non pour le profit; tout comme la justice et les autres ministères publics existent pour le service de la nation et non pas pour le profit personnel des ministres ou des juges.
Mais les contrôleurs actuels de l’argent et du crédit tiennent à garder leurs privilèges et leur pouvoir. Ils exercent de grosses pressions contre tout changement. Tant qu’il n’y aura pas de la part du peuple une pression plus forte, ça ne changera pas.
C’est pourquoi nous demandons à tous les citoyens, de n’importe quel parti politique ou d’aucun parti, de s’unir et de faire sur les gouvernements des pressions croissantes et répétées pour que, sentant la force du peuple plus qu’ils ne sentent celle des financiers, ils fassent sauter une fois pour toutes le non sens financier, pour que l’argent soit rendu conforme à la production et serviteur des individus, des familles, des corps publics. Ce sera là la plus grande réforme de tous les temps, et elle vaut tous nos efforts.