Mes bien chers amis,
À la suite de certains articles parus dans Vers Demain et de certaines émissions de Vers Demain à la radio ou à la télévision, quelques ouvriers, fervents de leur syndicat, nous ont demandé si notre Mouvement était contre le syndicalisme ouvrier. La réponse est non. Moins que tout autre un créditiste ne peut pas être contre la liberté d'associations. Premièrement, parce que le Crédit Social professe la liberté de choix des individus. Deuxièmement, parce que le Crédit Social croit aux avantages de l'association.
Douglas, le fondateur du Crédit Social appelle ces avantages l'enrichissement par l'association, c'est-à-dire ce que l'association ajoute d'efficacité aux efforts des personnes qui la composent. Ce que les créditistes peuvent critiquer par exemple, c'est la domination de la personne par le groupe; il n'y a plus alors d'enrichissement des personnes par l'association mais étouffement de la personne par le groupe, mépris de sa liberté de choix, étiolement de sa puissance d'épanouissement.
À l'origine des syndicats ouvriers il y eu la nécessité reconnue par eux de s'unir pour s'affranchir d'une exploitation dont chacun était incapable de se libérer isolément. La grande révolution industrielle du siècle dernier s'était faite sous le signe du libéralisme économique. Dans la concurrence effrénée entre employeurs, dans la course aux profits, dans la lutte pour les marchés, les patrons voulaient obtenir le maximum de rendement en payant les ouvriers le moins possible. Ils ne se souciaient aucunement du sort fait à leur employé et à sa famille. Et quand les employés cherchaient à se grouper pour obtenir de meilleures conditions de travail, les patrons les punissaient par des congédiements. Les ouvriers durent lutter et ils luttèrent pour obtenir la liberté d'association. Ils avaient raison et ils gagnèrent la liberté d'association.
Lorsqu'il nous arrive de dénoncer certaines attitudes des syndicats, ce n'est jamais au syndicalisme lui-même, jamais à la liberté d'association que nous nous en prenons; c'est au contraire à la violation de cette liberté. Cette violation fut le fait des employeurs dans le passé. Elle l'est encore, parfois, malgré la législation qui l'en protège. Mais trop souvent aujourd'hui la violation est le fait des syndicats eux-mêmes. La liberté d'association en effet est violée quand un syndicat lui substitut la contrainte d'association. La contrainte, c'est le contraire de la liberté. La liberté de s'associer, pour demeurer une liberté, implique la liberté de ne pas s'associer et même la liberté de se dissocier. La liberté de choix comporte la liberté de refus.
Le syndicat imposé de force est une violation de la liberté de choix de la personne, c'est une contrainte. Le syndicat veut s'imposer de force lorsqu'il en vient à interdire à un ouvrier le droit de travailler sauf s'il fait parti du syndicat. Cette condition s'est présentée sous diverses variantes; on a eu l'atelier fermé fallait être membre de l'Union pour être admis à un emploi de cet atelier.
Aujourd'hui, avec les contrats collectifs, le même résultat est obtenu d'une autre manière; par la clause appelée sécurité syndicale insérée dans le contrat. La sécurité syndicale signifie concrètement la caisse syndicale alimentée normalement par les cotisations des membres, ce qui n'est pas un mal. La clause que nous dénonçons est celle qui a pour but de faire remplir la caisse du syndicat forcément par tous les employés, les non-membres comme les membres.
On vous dira par exemple : vous n'êtes pas obligé d'entrer dans le syndicat si vous ne l'aimez pas mais vous allez en payer les contributions si vous voulez garder votre emploi. Où est la différence entre cette situation et celle d'un atelier fermé ? Le contrat collectif engage deux partis : l'employeur et les employés. S'il n'y a qu'un syndicat dans l'atelier c'est lui qui négocie avec l'employeur. S'il y a plusieurs syndicats, c'est le syndicat majoritaire que la loi reconnaît comme agent négociateur. Une fois le contrat accepté et signé, il lie tous les employés comme l'employeur pour le terme du contrat. Le contrat concerne les salaires, les conditions de travail, la division des tâches, les promotions, les griefs, les expansions, les assurance-groupes, etc...
Mais les syndicats essaient de plus en plus d'y faire inclure la perception des cotisations syndicales par le patron lui-même. Le patron doit retenir le montant sur la paye d'ouvriers pour le remettre aux syndicats; c'est ce qu'on appelle la formule Rand, du nom du juge Rand qui fut le premier à y donner son approbation. On avait déjà le patron-percepteur d'impôt sur le revenu pour le gouvernement fédéral par cette méthode de retenue sur l'enveloppe de paye. On a maintenant de plus en plus le patron-percepteur de cotisations pour le syndicat. Lorsque cette clause est incluse dans le contrat signé entre patrons et employés, le patron est obligé de faire la retenue autrement il est accusé de violation de contrat. Quant à l'employé, il est lié, si il ne veut pas payer les contributions quand même qu'il n'appartient pas au syndicat de son choix auquel il paie déjà des contributions, son enveloppe de paye est quand même soulagée de la contribution au syndicat majoritaire et il n'a aucun recours. On lui dit : c'est le contrat qui a été signé.
Il arrive aussi que le patron sent sa conscience tourmentée à l'idée de retenir ainsi une contribution sans la permission de l'employé. Pour atténuer un peu ses scrupules, la clause ou son application peut être modifiée mais sans en diminuer l'effet; le patron, dans ce cas, demande à chaque employé la permission écrite de faire la retenue pour le syndicat. Si l'employé refuse la permission il se fait dire par la compagnie que à son grand regret, elle devra le congédier, elle est obligée, par contrat, de retenir la cotisation, elle ne peut pas le faire sans l'autorisation signée de l'ouvrier. Ne pouvant concilier les deux termes, elle se débarrasse du problème en renvoyant l'ouvrier. Patrons et syndicats s'en lavent les mains tous les deux. Le syndicat dit : ce n'est pas nous qui vous renvoyons, c'est le patron. Le patron dit : c'est l'obligation qui m'est imposée par le contrat syndical, qui me force à vous renvoyer plutôt que de prendre dans votre enveloppe de paye sans votre autorisation.
Comme le contrat collectif peut couvrir tout un secteur de l'industrie dans une grande zone, parfois toute la province, c'est rendre bien difficile à l'ouvrier réfractaire aux syndicats le moyen de gagner sa vie et celle de sa famille.
Cette contribution forcée par la formule Rand ou autrement c'est un abus de pouvoir. C'est donner à un organisme privé le droit de taxer des individus contre leur gré. C'est conférer aux syndicats un pouvoir qui n'appartient de droit qu'à un gouvernement. Et puis, le droit au travail comme le droit à la vie, c'est un droit naturel qui n'est pas plus de juridiction syndicale que de juridiction gouvernementale. C'est un droit conféré par la nature et ce serait plutôt la protection du droit au travail qui serait le rôle du syndicat comme le rôle du gouvernement.
Comme nous l'avons déjà remarqué dans le journal Vers Demain, il y a une ressemblance de comportements entre le parti communiste en politique et le syndicalisme forcé en travail, en économique; L'un et l'autre n'admettent pas des dissidents. L'un et l'autre veulent imposer leurs conditions aux non-membres comme aux membres. L'un et l'autre punissent ceux qui ne veulent pas s'y plier en leur rendant la vie impossible. L'un et l'autre aussi piétinent la liberté de l'individu en donnant comme raison que la fin justifie les moyens. C'est pour avoir un syndicat fort, disent les promoteurs du syndicat obligatoire ou de la contribution imposée. Comme si cela permettait de faire fi des principes, de la liberté de choix de la personne.
Non! La fin ne justifie pas les moyens.
Il peut arriver aujourd'hui surtout que des syndicats s'orientent vers la politique de parti; vers le parti socialiste au Canada. Mais cette orientation peut répugner à la conscience des ouvriers qu'on force quand même à payer les contributions et bien, quand des ouvriers sont mis par une organisation syndicale dans l'alternative de marcher sur leur conscience ou de perdre leur gagne-pain, il est plus que temps d'y voir.
Encore une fois, ce n'est pas le syndicalisme qui est à condamner mais il faut qu'il respecte la liberté de l'individu. Que le syndicat fasse valoir ses avantages, qu'il recrute des membres par la persuasion, par la conviction. Des volontaires et non pas des conscrits; il n'en sera que plus solide. La sécurité syndicale en elle-même n'est pas à condamner; pas du tout. Le syndicat en a besoin pour accomplir son œuvre mais que cette sécurité provienne de la contribution libre par des membres libres. Si les membres ne sont pas capables de payer eux-mêmes leur contribution ce sont de bien pauvres membres. Ils n'ont aucunement le sens de leur responsabilité.
Est-ce que ce n'est pas une fonction du syndicat de développer le sens de la responsabilité au lieu d'entretenir l'irresponsabilité en forçant le patron à faire ce que les syndicats devraient faire eux-mêmes ? Certains nous diront que l'appartenance à un syndicat est un devoir moral de l'ouvrier, un devoir imposé par la solidarité pour obtenir de meilleures conditions de vie, pour les autres et leurs familles autant que pour eux-mêmes. Même s'il en est ainsi, cela n'autorise pas à forcer physiquement l'individu à remplir ce devoir. Est-ce que l'obligation d'assister à la Messe le dimanche autoriserait le curé ou son bedeau à amener le catholique de force à l'église ou au confessionnal ou à la Sainte Table pour accomplir son devoir pastoral ? À l'y emmener de force ou à le priver du moyen de se nourrir ou à nourrir sa famille s'il refuse de se rendre ? Non, évidemment.
Les chefs de syndicats se plaignent qu'il se créé une opposition aux syndicats dans certains milieux patronaux et même ailleurs. Ils se plaignent d'une désaffection pour les syndicats. Ils feraient bien de faire un examen de conscience et peut-être trouveraient-ils à se frapper la poitrine. Quand on se conduit en totalitaire, on finit par soulever de l'opposition. De même aussi quand on veut régler ses problèmes sur le dos du public, comme les hausses répétées de salaires qui se joignent à d'autres facteurs pour hausser le coût de la vie, même pour ceux qui n'ont point de hausse de revenus.
Sur ce dernier point, on sait bien que les salaires sont toujours en déficit sur les prix mais la course des salaires vers les prix devrait avoir appris depuis longtemps aux ouvriers que la course sera toujours perdue pour eux pour la bonne raison que le patron ne peut mettre un dollar de plus dans les salaires sans mettre un dollar de plus dans les prix.
Il y a longtemps que l'école du Crédit Social a démontré la futilité de cette course et a présenté le moyen de combler l'écart entre les salaires et les prix sans hausser ni les uns ni les autres par une addition du pouvoir d'achat qui n'entre pas dans les prix. Les syndicats ont boudé le Crédit Social; ils préfèrent s'orienter vers la dictature, vers le socialisme. Les syndicats en effet louchent de plus en plus du côté du socialisme aussi voit-on des chefs syndicaux pousser leur syndicat vers le parti socialiste du Canada et eux-mêmes fournir des officiers à ce parti.
Si les cadres et les syndicats doivent servir de pépinières à des cadres du socialisme, ce n 'est sûrement pas de nature à hausser le renom des syndicats devant la population. Surtout pas devant les créditistes. Ils y voient non plus du syndicalisme authentique mais une perversion entretenue par la soif du pouvoir et une perversion doit toujours être fustigée.