À leur congrès de cette année, les créditistes de Vers Demain fêtent le jubilé d’Or du Crédit Social, 1917-1967.
C’est en effet en 1917, durant la troisième année de la première guerre mondiale, que l’ingénieur Écossais Douglas mit au point les propositions connues sous le nom de Crédit Social pour réformer le système financier actuel. Pour faire de la finance une servante au lieu d’une maîtresse de la vie économique.
Clifford Hugh Douglas, ingénieur consultant, s’était distingué par des travaux de génie surtout en Angleterre et aux Indes. Au cours des exécutions de ces ouvrages, il avait plus d’une fois reçu l’ordre de les suspendre faute de crédit, lui disait-on. Il y avait tout: les matériaux, la main d’œuvre, l’urgence. Mais pas de crédit, pas d’argent et alors il fallait arrêter. C’est que la finance commandait au lieu de servir.
En 1917, Douglas était engagé dans une inspection des finances de l’Avionnerie Royale de Farnborough, en Angleterre. Au cours de ce travail, il découvrit ce que tout autre comptable aurait aussi bien pu découvrir: que le total du pouvoir d’achat distribué chaque semaine à des particuliers, en salaires, en traitements ou autrement, était toujours inférieur à la somme des frais qui entraient cette semaine-là dans le coût de revient.
Puisqu’il en était ainsi chaque semaine dans cet établissement, il devait en être de même dans toutes les autres industries. Dès lors, l’argent total distribué au cours de la production globale ne pouvait pas payer toute cette production. D’où une entrave à l’écoulement des produits à moins que l’écart soit comblé par du pouvoir d’achat provenant par une autre source que cette production.
Là encore, tout comptable aurait pu tirer cette conclusion. Mais Douglas n’était pas seulement un mathématicien, pas seulement un ingénieur, c’était un génie.
Cet écart entre le coût de revient et la distribution d’argent est inhérent à la comptabilité pourtant exacte des opérations industrielles. Douglas saisit immédiatement tout le mal qui en résultait inévitablement non seulement pour les consommateurs individuels mais pour tout le corps social. Il y avait là un sujet de grande importance qui méritait d’être approfondi. Et Douglas s’appliqua à l’approfondir.
Il s’engagea dans cette étude du système économique et du système financier actuels, en y apportant un esprit de philosophe et d’ingénieur. Esprit de philosophe, pour voir en quoi les moyens servaient ou trahissaient les fins, en quoi les fins elles-mêmes du système sont ou non motivées par les aspirations fondamentales des hommes en regard des possibilités d’y répondre. Il examina cela aussi en ingénieur, pour découvrir les entraves et les vices du système, et suggérer les modifications les plus pratiques et les plus efficaces pour y remédier sans révolution, sans bouleversement, sans heurts, sans accrocs à la dignité et à la liberté de l’individu, sans intrusions des gouvernements dans des fonctions relevant des personnes, des familles, des associations libres.
D’ailleurs, tout l’enseignement de Douglas témoigne d’un culte indéfectible à l’égard de la liberté personnelle, de l’initiative privée et de la responsabilité liée à la fonction. Ce qui ne veut nullement dire que l’individu soit laissé à ses seules ressources. Au contraire, il doit pouvoir jouir de sa part des bénéfices résultant de la vie en société, qu’il s’agisse d’association libre ou de la grande communauté nationale. De plus en plus, la richesse produite provient des fruits du progrès, de l’héritage de découvertes, de réalisations, de savoir-faire, accrus et transmis d’une génération à l’autre, grâce à la vie en société. C’est même le facteur prépondérant de la production moderne. Un grand capital réel dont tous sont cohéritiers, et qui doit bien donner à chaque personne vivante un titre à une partie de l’accroissement de production qui en résulte.
Le système actuel de distribution ne reconnaît pas ce droit. Les gouvernements sont obligés d’intervenir, par une lourde et boiteuse fiscalité, pour atténuer maladroitement les effets de cette injustice de la société envers tous les associés, de la communauté nationale envers tous les citoyens.
C’est donc quarante-quatre années avant Mater et Magistra de Jean XXIII, que Douglas concevait et présentait des propositions concrètes pour que, à l’échelle de la nation, la personne soit enrichie par l’association au lieu d’être étouffée par elle. Comme le demande l’encyclique.
Mater et Magistra souhaite aussi que le développement rapide des structures économiques contribue, non pas à concentrer la richesse entre quelques mains, encore moins entre les mains d’un État totalitaire, mais à diffuser le plus largement possible la propriété privée.
Or, dès 1917, Douglas offrait une formule géniale, par la reconnaissance à chaque personne d’une part à l’exploitation du crédit national. Avec le Crédit Social, chaque citoyen recevrait dès sa naissance une action sociale, inaliénable, non transférable, devant lui apporter un dividende périodique capable de lui procurer au moins de quoi subvenir à ses besoins vitaux essentiels. Et à mesure que le flot de production résulterait davantage du progrès et moins de l’effort du producteur, la distribution de pouvoir d’achat se ferait davantage par les dividendes et moins par les salaires.
C’est, en somme, la conception d’une société dont tous les citoyens sont capitalistes, avec un revenu de moins en moins conditionné par l’embauchage et avec la liberté accrue pour chacun de pouvoir embrasser la carrière de son choix, tant que cela ne porte pas atteinte à la même liberté chez les autres.
La production serait motivée par la demande efficace de consommateurs munis de pouvoir d’achat. Avec la disparition graduelle et sans doute rapide du gaspillage effroyable de richesses naturelles, de temps et d’activités humaines, gaspillage dû au règlement fou qui exige l’emploi dans une production quelconque, même inutile, même nuisible, pour avoir droit à de l’argent.
Quelle prise auraient encore les théories économiques du communisme sur un peuple dont chaque citoyen serait un capitaliste né, assuré de l’être jusqu’à sa mort, avec la garantie d’un revenu conditionné seulement par les possibilités physiques de fournir les biens et les services réclamés par les besoins ?
N’avons-nous pas raison de dire que, sur le plan temporel, le Crédit Social, tel que conçu et défini par Douglas, offre une arme puissante contre l’envahissement du communisme ? Nous en rendons gloire à Douglas. Mais nous bénissons aussi la divine Providence qui, dans ses desseins, a suscité cet homme de génie à l’heure où le monde en avait le plus besoin pour faire échec aux arguments du communisme. Mais malheureusement, aucun gouvernement du monde libre n’a encore adopté les propositions de Douglas. C’est pourquoi le communisme continue de faire des adeptes. Sans le Crédit Social, la propagande communiste n’affronte que des hommes de droite aux mains vides.
Il est clair qu’aujourd’hui, les individus sont plus subordonnés au groupe qu’ils ne l’étaient, il y a cinquante ans. Les gouvernements dominent et dictent les citoyens, alors que la fonction propre d’un gouvernement est de servir, d’enlever les obstacles que seul lui, peut enlever, afin que les personnes, les familles et les institutions libres puissent voir elles-mêmes à leurs propres affaires. N’est-ce pas en invoquant l’insuffisance financière des familles et des commissions scolaires, au lieu de corriger cette insuffisance, que notre gouvernement de Québec s’est emparé de tout notre système scolaire par le Bill 60, avec toutes les suites lamentables de cet empiètement sur les fonctions des parents et de leurs institutions locales ? C’est là un exemple, il y en a une multitude d’autres.
Toute la politique se ressent du désordre économique, du désordre financier actuel. La dictature financière sur l’économie conduit à la dictature de l’État sur les personnes. Sous prétexte de bien commun, qui n’en est pas du tout, on centralise, on planifie, on embrigade, nationalement d’abord, puis dans chaque pays. Puis, toujours sous prétexte de bien commun, international cette fois, on est dirigé vers un gouvernement mondial. Avec une politique mondiale qui ne pourra être qu’en des mains communistes, en vertu de la «démocratie du nombre», puisque déjà la moitié de la population du globe est sous contrôle communiste. Et la peste s’étend.
Comme Pie XII et comme les autres Papes qui l’ont précédé, Jean XXIII écrit dans Pacem in Terris, que « le bien commun consiste en un ordre qui favorise l’épanouissement de chaque personne et non pas qui l’asservisse.» Et, dit-il, «la mission essentielle de toute autorité politique, c’est de protéger les droits inviolables de l’être humain et de faire en sorte que chacun s’acquitte plus aisément de sa fonction particulière».
Mais pour cela, ajoute le Pape, «Il est indispensable que les Pouvoirs publics se préoccupent de favoriser l’aménagement social parallèle au progrès économique... de sorte qu’aucun être humain ne vienne à manquer des ressources indispensables pour mener une vie décente».
Ces principes, les Papes les énoncent. Mais le Crédit Social de Douglas en formule une application concrète. Et c’est pourquoi des auteurs l’ont défini comme «un christianisme appliqué». Appliqué dans les relations des hommes entre eux. Douglas lui-même disait dans un discours à des créditistes, le 7 mars 1936:
«Le Crédit Social implique fondamentalement une conception des relations entre les individus et leur association en pays et en groupes.» (v. Approach to Reality)
Pacem in Terris de Jean XXIII et Populorum Progressio de Paul VI insistent beaucoup sur le droit de tous, même des populations de pays sous-développés, à une part des biens terrestres. C’est juste. Bien des personnes le comprennent sans doute mais comment s’attendre à ce que ce soit compris par l’ensemble des pays développés quand pas un seul de ces pays n’a encore appliqué concrètement cette philosophie dans sa politique à l’égard de sa propre population ?
En ce cinquantième anniversaire de la naissance du Crédit Social, tous ceux qui ont compris et apprécié la valeur et l’immense portée de cette découverte se doivent de venir au Congrès de Québec pour rendre un hommage de gloire et de reconnaissance à son auteur, Douglas. Ils y renouvelleront en même temps l’ardeur de leur zèle à répandre une aussi belle doctrine et à la faire prévaloir dans les esprits et les cœurs de la population, condition préalable à sa mise en application.