Système financier détraqué et détraquant, inepte, faux et pervers
C'est la livre sterling qui est malade. C'est l'homme que l'on traite
Non pour le salut des âmes, mais pour le salut du dollar
Il y a quelques mois, le gouvernement Travailliste de Londres annonçait aux Anglais qu’ils devraient passer par une période d’austérité. Il augmentait les impôts, pour que les individus ayant moins de pouvoir d’achat limitent davantage leurs dépenses en biens de consommation. Puis, en décembre, le gouvernement dévaluait la livre sterling de 12 pour cent — ce qui veut dire que l’argent qui leur resterait diminuerait de valeur. Chaque livre, chaque shilling, chaque penny obtiendrait 12 pour cent moins de produits qu’auparavant.
Si un Anglais demande à son marchand ordinaire; «Avez-vous moins de produits à vendre qu’auparavant ?» — le marchand lui répond sans doute: «J’en ai autant ; et si vous m’en achetez autant, j’en trouverai assez pour les remplacer et continuer de répondre à la demande.»
Et si l’Anglais demande à un manufacturier, à un industriel, à un agriculteur: «Pourquoi me force-t-on à acheter moins, en diminuant le contenu de mon porte-monnaie par des augmentations d’impôt, et en abaissant la valeur de l’argent qui me reste ? N’êtes-vous donc pas capable de fournir autant de produits qu’auparavant ? — le producteur industriel ou agricole peut lui répondre : «Bien certainement que si, je puis en fournir autant qu’auparavant, et même davantage si mes clients en achètent davantage.» Demandez maintenant aux familles anglaises si elles ne tiendraient pas à mener le même train de vie qu’auparavant. Elles vous répondront que oui, si on leur en laissait les moyens.
Quels moyens prend-on pour passer la faim quand l’estomac crie ? — On mange. — Et pour se protéger contre le froid ? — On s’habille suffisamment si l’on va dehors. On chauffe la maison, au bois, au charbon, à l’huile ou à l’électricité si l’on est à l’intérieur. — Et si l’on veut se rendre d’une place à une autre trop éloignée pour faire le trajet à pied ? — On prend l’auto, ou un siège dans un autobus, un train ou un avion.
Or, notre Anglais vient de se faire assurer que son marchand peut lui fournir autant de produits de toutes sortes qu’auparavant ; que la production peut lui fournir autant de bois, de charbon, d’huile, de courant électrique, autant de voitures, de places en autobus ou autres moyens de transport qu’auparavant.
Les mêmes moyens sont là tels qu’auparavant pour répondre à ses besoins. Pourquoi donc l’Anglais doit-il maintenant s’en servir moins ?
Si vous posez la question à un politicien, il répondra sans doute: «Affaire de finance», sans plus d’explication; étant perroquet par profession, il ne peut que répéter ce qu’il a entendu. Si vous osez aborder le sujet avec un économiste distingué, il toisera votre ignorance et, d’un air transcendant: «Imposé par la conjoncture, monsieur». S’il avait dit «conjonction», vous auriez pu penser à regarder votre grammaire ; mais «conjoncture», vous voilà pétrifié tout net.
Mais vous avez peut-être un ami à vous parmi les sous-ordres du ministère des Finances. Lui, doit savoir pourquoi l’austérité. Il vous répond, en effet, fort gentiment: «C’est pour sauver la livre sterling, mon cher, pour empêcher son effondrement complet. Si l’on n’y voit pas, la condition peut s’aggraver, infecter tout le corps économique, même dans d’autres pays, et amener une crise universelle, comme dans les années ‘30.»
Ah! la livre est malade. Elle peut bien avoir besoin d’une bonne saignée. C’est pour cela qu’on nous dit que si le 12 pour cent de dévaluation ne suffit pas, on pourra reprendre l’opération, jusqu’à 30 pour cent s’il le faut.
C’est la livre qui est malade, mais c’est l’homme que l’on traite. Lui qu’on saigne vraiment. Lui qu’on met à la diète. Mais, au juste, comment appelez-vous cette maladie-là, vous qui entreprenez d’en guérir la livre ?
— C’est l’inflation, nous répond-on. Une inflation devenue galopante. Et si l’on tombe sur vous pour guérir cette maladie de la livre, c’est parce que c’est vous, le public, qui l’avez provoquée. La cause est en vous, parce que vous vivez de plus en plus au-dessus de vos moyens.
— Au-dessus de nos moyens ? Pas du tout, les moyens sont là: les produits de la nature, de l’agriculture, de l’industrie. Ils ne menacent pas d’épuisement. D’ailleurs, comment pourrions-nous vivre au-dessus de ces moyens ? Il faudrait alors vivre avec rien.
— Il ne s’agit pas de ces moyens-là, mais des moyens financiers. Quand les gens empruntent pour acheter des produits, ils vivent au-dessus de leurs moyens financiers. Et ça devient bien trop commun; un frein s’impose.
En voilà de bonnes décisions, n’est-ce pas ? On admet que les gens se nourrissent d’aliments, qu’ils s’habillent de vêtements. Ils ne mangent certainement pas des livres, des francs ou des dollars pour passer leur faim. Ils s’habilleraient bien mal en se mettant seulement des livres, des francs ou des dollars sur le corps. On admet aussi que les biens — aliments, vêtements, etc. — ne manquent pas plus aujourd’hui qu’hier. Mais l’argent, l’argent qui ne nourrit pas, qui n’habille pas, lui fait défaut, puisqu’il faut s’endetter pour payer les produits.
Or, au lieu de mettre l’argent, qui ne répond pas aux besoins humains, au niveau et au service des biens qui répondent aux besoins, ce sont les biens, les choses qui nourrissent et habillent, que l’on veut limiter au niveau de l’argent qui ne fait rien de cela! Et c’est le gouvernement qui impose cette conclusion absurde à son peuple !
Les biens abondent, oui! Mais l’argent fait défaut, puisqu’il faut emprunter. Pourtant, pour amener les biens en face des besoins, il faut du sol, des labours; il faut des forêts, des bûcherons; il faut du minerai, des mineurs ; il faut du travail, de l’application, de l’habileté, de la compétence, du temps. Tandis que pour l’argent, ça ne prend que des chiffres frappés sur des rondelles de métal, ou imprimés sur des rectangles de papier, ou simplement inscrits dans les livres de banque. Chiffres qui, légalisés, sont acceptés par tout le monde comme donnant droit à un choix de produits et de services.
Les choses difficiles à faire sont faites, bien faites et en abondance ; et la chose facile à faire n’est pas faite, ou est mal faite, ou faite sans correspondance avec la fonction qu’elle doit accomplir. Sa fonction, à l’argent, c’est de mobiliser les choses et le travail pour la production, puis de permettre d’acheter les choses produites pour satisfaire les besoins.
Le système financier qui ne fait pas cela est un système détraqué. Et les gouvernements souverains qui s’y soumettent se laissent conduire et font conduire leur peuple par un mécanisme détraqué. Ces gouvernements, premiers ministres, ministres des Finances, et leurs collègues, et leurs aviseurs économiques ne seraient-ils pas eux-mêmes des détraqués ? Ils ne peuvent nier les faits. Ils constatent que le système boîte, qu’il est malade, qu’il menace de défaillir complètement. Mais ils refusent de le changer. Le système sert mal les hommes; or, les gouvernements punissent les hommes au lieu de mettre le système à la raison. Détraqués, sûrement, détraqués, ces hommes-là, à moins qu’il faille voir en eux des traîtres ou des criminels.
Ce n’est pas seulement en Angleterre que l’on soumet les hommes et les choses à un système détraqué et détraquant. Notre propre gouvernement d’Ottawa déclare lui aussi qu’il faut se serrer la ceinture. Lui aussi augmente les impôts, dans le même but. Il faut combattre l’inflation, car elle est chez nous aussi, dit-il.
Ces messieurs d’Ottawa, et les économistes distingués qui les éclairent de leur fanal, quand on leur demande de remplacer le présent système détraqué par le Crédit Social de Douglas, pour mettre l’argent en rapport exact avec les réalités, objectent immanquablement: «Cela ferait de l’inflation.» Or, voici qu’ils nous appellent au secours contre l’inflation, et ce n’est pas la première fois. De quel système vient-elle, messieurs, cette inflation-là ? Du Crédit Social dont vous ne voulez pas entendre parler, ou bien du système détraqué auquel vous ne voulez pas toucher ?
Et quel autre geste a posé le gouvernement d’Ottawa dans la deuxième quinzaine de décembre — cette fois, pour venir au secours du dollar américain qui, lui aussi, prendrait du mal ?
Pour aider le confrère, notre gouvernement a vendu au trésor américain de l’or extrait des mines canadiennes, au prix de $35 l’once, pour une valeur de 100 millions de dollars. Ce qui n’est pas la première fois, dit-il. Il vend cet or à $35 l’once, mais après l’avoir payé plus cher par des subventions aux mines d’or incapables de rencontrer leurs dépenses à ce taux-là. Ces subventions sont elles-mêmes alimentées par nos taxes. C’est toujours cela.
Le système est détraqué, et ce sont les personnes et les familles qui doivent subir les conséquences des comportements de ce fou-là.
Que fait-on de cet or canadien aux États-Unis ? Il est mis sous terre, dans des voûtes bien fermées, avec des gardes armés pour défendre l’entrée de ce sanctuaire. Et, en échange, le Canada reçoit 100 millions de dollars américains, faits d’un trait de plume de banquier, ou de quelques coups de presse pour ce qui pourrait en être fourni en argent de papier. Et le dollar américain, paraît-il, sera moins menacé par la grippe.
Mais quelle farce! Des prospecteurs doivent explorer, chercher dans les forêts ou en terrain rocheux, quelque indication de veines d’or souterraines. De multiples travaux suivront, construction de voies d’accès, creusage, extraction, broyage, lavage, affinage, moulage en briques, transport.
Tout cela pour sortir ce minerai d’un gîte souterrain qu’il a fallu découvrir à grands frais, puis l’enfouir de nouveau dans une autre place, dont tout le monde connaît l’adresse, mais où il est plus inaccessible que pendant les centaines de millions d’années de sa vie cachée. Pourquoi, vraiment, pourquoi tout cela, alors qu’un trait de plume peut le remplacer, avantageusement et avec beaucoup plus de souplesse, pour financer les immenses possibilités modernes de production et de distribution de biens convenant aux demandes des hommes dans des pays qui se disent évolués et civilisés ?
Non-sens financier évidemment! Non-sens dont on a su se défaire temporairement pendant la guerre, alors qu’on envoyait les hommes, non pas à la recherche et au déterrement de l’or, mais au feu ou à la production d’engins de destruction. Opérations diaboliques de six années, après lesquelles on revient aux folies du système détraqué, consacré inviolable par les bonzes de la politique, de l’économique et de la sociologie.
En dénonçant la dictature de l’argent, nous n’avons nullement le désir de voir les personnes et les familles se payer toutes les jouissances matérielles que peut fournir la grande productivité moderne. Bien au contraire, nous appelons gaspillage tout ce qui se fait — et il s’en fait beaucoup — au-delà de ce qu’il faut aux hommes pour répondre à leurs besoins normaux, pour se permettre une vie d’honnête aisance.
Nous n’en voulons donc point du tout à l’austérité que des chrétiens s’imposent par vertu, pour affiner leur vie spirituelle, ou en esprit d’expiation pour les offenses faites à Dieu, etc.
Ce que nous approuvons moins, ce sont des mesures d’austérité imposées par des gouvernements, non pas pour le salut des âmes, mais pour le salut de la livre, du franc ou du dollar, par soumission aux décisions du monopole de l’argent et du crédit, pour maintenir en place un système détraqué et détraquant. De ces austérités-là, on voit toujours sortir des familles appauvries, des petits propriétaires dépossédés, des industries à taille d’hommes enterrées ou avalées par des monstres auxquels l’austérité aura fourni l’occasion d’étendre leurs griffes et accroître leur puissance. Ce sont ces monstres-là qui auront ensuite les faveurs de gouvernements et les bénédictions de gogos, à titre de gros fournisseurs d’emplois. Suçant des travailleurs de partout, de la ville et des campagnes, par milliers, ils en feront des robots au service du dieu-argent.