Les manuels d’instruction civique distinguent généralement trois grands pouvoirs dont l’exercice est nécessaire au bon ordre, à la stabilité du pays, à la paix interne, à la protection de la vie, des biens et des droits légitimes des citoyens.
Le pouvoir de faire des lois, c’est le pouvoir législatif. Le pouvoir d’administrer le pays en conformité avec les lois, c’est le pouvoir exécutif. Le pouvoir de juger les litiges ainsi que les violations des lois, c’est le pouvoir judiciaire.
C’est la Constitution du pays qui définit la formation, les attributions et la juridiction de chacun de ces trois pouvoirs. Ce sont donc des pouvoirs constitutionnels. Mais il existe un autre pouvoir qui n’est point mentionné comme tel dans les manuels, ni dans l’enseignement officiel de nos écoles ou de nos universités; un pouvoir qui n’est point établi ni défini par la Constitution mais qui, quand même, dépasse en puissance chacun des trois pouvoirs constitutionnels; un pouvoir qui domine la vie des individus, des familles, des institutions, des gouvernements eux-mêmes. Ce super pouvoir c’est le pouvoir monétaire, le pouvoir de contrôler l’argent et le crédit.
C’est cette puissance que dénonçait le pape Pie XI dans son encyclique Quadragesimo Anno:
«Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l’argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l’organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer».
Tout le monde sait où résident les pouvoirs constitutionnels: le pouvoir législatif, dans les parlements, le pouvoir exécutif, dans les ministères, le pouvoir judiciaire, dans les cours de justice; mais le super pouvoir non constitutionnel, le pouvoir de contrôler l’argent et le crédit, où réside-t-il ? Il réside dans le système bancaire. C’est dans les banques que naît et meurt le crédit financier qui est l’argent moderne. C’est en effet lorsqu’une banque consent un prêt, soit à un entrepreneur particulier, soit à un commerçant, soit à un gouvernement, que du nouveau crédit financier vient au monde.
Le banquier ne sort pas de l’argent de la banque: il inscrit simplement le montant du prêt accordé; il l’inscrit au crédit du compte de l’emprunteur comme si l’emprunteur avait déposé ce montant. L’emprunteur ne l’a pourtant ni apporté, ni déposé, car il venait pour obtenir de l’argent qu’il n’avait pas. L’emprunteur pourra maintenant tirer des chèques sur ce compte qu’il n’avait pas en entrant et qu’il a en sortant.
Or, aucun autre compte des clients de la banque n’a été diminué; c’est donc un compte nouveau, un compte de plus, ajouté aux comptes déjà existants. Le total des crédits dans le total des comptes des banques du pays est donc augmenté du montant du compte nouveau. Il y a donc augmentation du crédit financier, augmentation de l’argent bien moderne qui va être mis en circulation par les chèques de l’emprunteur sur ce crédit nouveau. Inversement, lorsque l’emprunteur rembourse à la banque du crédit précédemment emprunté, ce sera autant de crédit de moins dans la circulation, autant de sang de moins dans l’organisme économique.
Une simple opération comptable faite d’une plume et d’une goutte d’encre avait mis le crédit financier au monde; une autre opération comptable, lors du remboursement, met ce crédit dans le cercueil. Il disparaît comme il avait commencé par une simple opération de comptabilité.
Une chose est claire: si, dans une période donnée, le total des prêts dépasse le total des remboursements, cela met plus de crédit en circulation qu’il n’en est extrait de la circulation. Au contraire, si le total des remboursements dépasse le total des prêts, c’est une période de diminution du crédit total en circulation. Si la période des diminutions se prolonge, tout l’organisme économique s’en ressent; on appelle cela une «crise». Une crise causée par une restriction de crédit.
Ces périodes d’augmentation et ces périodes de diminutions ne sont donc pas dues au hasard mais à l’action des banques. Ce ne sont pas des vaches grasses et des vaches maigres naturelles, ce sont des vaches bancaires, rendues grasses ou rendues maigres selon le régime des prêts et celui des remboursements. Quelles qu’aient pu être les conditions de la vie économique dans les siècles passés, l’argent est aujourd’hui une nécessité pour maintenir en activité la production qui provient de diverses sources, qui passe par plusieurs stages successifs jusqu’à ce que les produits finis puissent être jetés sur le marché.
Mais, ceux qui ont besoin de ces produits pour vivre, ne peuvent les obtenir qu’à condition de pouvoir présenter de l’argent au fournisseur. L’argent est véritablement un permis pour vivre. Ceux qui contrôlent ces permis, qui les accordent ou les refusent, qui en conditionnent la quantité et le terme de durée, ceux-là contrôlent donc réellement nos vies, si bien, comme l’a écrit Pie XI, que «sans leur permission, nul ne peut plus respirer».
L’argent n’aurait aucune valeur s’il n’y avait pas de produits pour y répondre. Or, c’est la population du pays qui fait la production, les contrôleurs de l’argent et du crédit, eux, ne produisent rien; ils ne font pas pousser une tige de blé, ne fabriquent pas une paire de chaussures, ne produisent pas une seule brique, ne creusent pas un trou de mine, ne pavent pas un pouce carré de route. Mais pour faire toutes ces choses, la population est obligée d’avoir la permission des contrôleurs de l’argent.
Un permis, l’argent, qui ne coûte aux contrôleurs, qu’une décision et une goutte d’encre. Et, pour avoir ce permis, la population doit s’endetter pour tout le fruit de son travail. Peut-on concevoir une pire tyrannie économique ? La plume du banquier qui consent ou s’objecte à donner à des particuliers, à des compagnies, aux gouvernements le droit de mobiliser les compétences, les bonnes volontés, les ressources naturelles de la nation; cette plume-là commande: elle accorde ou refuse, elle conditionne les permissions qu’elle consent, elle endette ceux, particuliers ou gouvernements, auxquels elle les accorde. Une plume qui a la vertu d’un sceptre entre les mains d’un super pouvoir, du pouvoir monétaire.
Voyez un peu: de 1929 à 1939, dix années de paralysie économique. Pas un gouvernement ne se jugeait capable d’y mettre fin. Vienne une déclaration de guerre, les permis financiers de produire, de ‘conscrire’, de détruire et de tuer, surgissent du jour au lendemain. Ce seul fait devrait avoir ouvert tous les yeux, devrait avoir fait comprendre à tous que la crise de dix années n’avait été qu’une crise de refus de permis par les contrôleurs de l’argent et du crédit et qu’il suffisait d’une décision pour y mettre fin puisque les permis sont sortis immédiatement et ont continué d’affluer par milliards pour financer six années de la guerre la plus dispendieuse de tous les temps.
Et pourtant, vous trouvez encore des instruits attardés: économistes, politiciens, aviseurs financiers des gouvernements, sociologues clercs ou laïcs, qui refusent d’admettre que le crédit financier en circulation dépend de l’action des banques. Ces instruits, attardés ou réfractaires à une évidence qui crève les yeux, fournissent un précieux appui au super pouvoir, par leur ignorance, qui ne peut être que crasse, si elle existe vraiment, ou par des intérêts égoïstes qui les lient, ou par leur complicité avec une puissance sur l’influence de laquelle ils comptent pour une promotion économique ou politique.
Les banquiers de haute classe, eux, savent très bien que le crédit financier qui forme le gros de l’argent moderne naît et meurt dans les grands livres des banques. Un banquier anglais distingué, Reginald McKenna, qui fut, un temps, Ministre des Finances de son pays, puis, plusieurs années, président de la Midland Bank, une des cinq plus grosses banques d’Angleterre, disait en 1934, à une assemblée annuelle des actionnaires de cette banque: «Le peuple ignore généralement que le volume de l’argent en circulation dépend de l’action des banques; tout prêt bancaire augmente le flot de l’argent en circulation et tout remboursement d’un prêt bancaire diminue ce flot d’un montant égal au remboursement.» Ainsi parlait le grand banquier McKenna.
Ayant été aussi Ministre des Finances de son pays, il savait très bien lequel des deux pouvoirs est le plus gros, celui de la banque ou celui du gouvernement. Il eût même la franchise, rare chez des banquiers de ce niveau, de déclarer: «Les banques contrôlent le crédit de la nation, dirigent les lignes de conduite du gouvernement, et tiennent dans le creux de leurs mains les destinées des peuples.» C’est McKenna, lui-même, qui dit cela.
Diriger les politiques des gouvernements, tenir dans le creux de la main les destinées des peuples, cela rejoint bien les paroles de Pie XI quand il disait: «…un pouvoir tel que sans leur permission nul ne peut plus respirer.»
La solution serait, évidemment, de remplacer ce super pouvoir non constitutionnel par un organisme monétaire constitutionnel comme l’est, par exemple, le pouvoir judiciaire, mais cet organisme monétaire serait formé de comptables et non pas de juges. Des comptables nommés par les gouvernements, mais indépendants des gouvernements comme le sont les juges dans l’exercice de leurs fonctions. Des comptables basant leurs opérations monétaires, additions, soustractions, règles de trois, sur des statistiques qui ne dépendent pas d’eux; qui dépendent des faits de producteurs et de consommateurs libres.
Un organisme monétaire ayant comme fonction de mettre le crédit financier au service des producteurs pour produire et au service des personnes et des familles pour obtenir les produits répondant à leurs besoins, comme le propose le Crédit Social, non pas un parti politique, mais le Crédit Social authentique présenté au monde par l’ingénieur C. H. Douglas et propagé par ses disciples depuis plus d’un demi-siècle.
Des économistes, des politiciens, des sociologues, des moralistes, ont dédaigneusement levé le nez sur le Crédit Social, malgré qu’il soit présenté depuis trente-cinq ans dans la province de Québec. Ils préfèrent tourner les yeux vers le socialisme, vers le communisme, dans le faux espoir de trouver là quelque soulagement à la tyrannie financière. Quelle folie! La tyrannie financière continuera; on l’aura seulement doublée d’une tyrannie politique.