"L'Eglise du silence, c'est l'Eglise qui a les lèvres closes et les mains liées."
Cette définition est de Pie XII. "Les lèvres closes": elle ne peut enseigner, et elle ne peut même faire entendre ses gémissements, perdus derrière les murs de prison ou dans des camps de travaux forcés. "Les mains liées": elle ne peut ni célébrer le culte, ni administrer les sacrements, ni accomplir ses autres fonctions de société visible établie par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour conduire les hommes à Dieu. C'est l’Eglise crucifiée, c'est l'Eglise du Calvaire.
L'Eglise du silence, elle est dons les nombreux pays sous le talon de la Russie soviétique. Elle est aussi dans la vaste Chine, où le gouvernement communiste a procédé avec plus de rapidité encore qu'en Russie d'ans son plan diabolique de destruction de toute religion, de la religion catholique plus spécialement.
Pour éteindre la religion dans les pays qu'il domine politiquement, le communisme s'applique particulièrement à supprimer ou emprisonner, les évêques et les prêtres, espérant que, privés de leurs pasteurs, privés de l'enseignement religieux, privés du culte, privés des sacrements, les fidèles finiront par perdre leur foi en Dieu.
Cette persécution vingtième siècle, disposant de toutes les techniques modernes pour poursuivre ses fins sataniques, dépasse tout ce qu'ont connu les chrétiens sous les grandes persécutions des premiers siècles de l'Eglise. Elle a d'ailleurs fait plus de victimes que toutes celles-là ensemble. Nous n'y pensons pas assez, nous des pays encore libres, noyés que nous sommes dans une marée de balivernes et dans le flot de propagande de toutes sortes, trompeuse et souvent mensongère à dessein, des grands journaux, de la radio, de la télévision, des tribunes publiques.
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Voici quelques chiffres, parus dans l'hebdomadaire français "Rivarol", qui donnent une idée de la situation faite à l'Eglise catholique, à ses évêques et à ses prêtres surtout, dons des pays européens sous la dépendance de Moscou. On n'y dit rien de la Chine, et la liste des pays européens communisés est elle-même incomplète. Mois il y a de quoi arrêter la pensée et réflexion.
Cette liste débute par les trois pays baltes — l'Estonie, la Lettonie et la Lithuanie — sur lesquels la Russie a fait main basse en 1945.
Estonie — Toutes les églises sont fermées. Il n'y a plus d'évêques. En 1960, il n'y restait qu'un seul prêtre.
Lettonie — En 1940, avant l'occupation russe, il y avait en 'Lettonie 500,000 catholiques, 200 églises, 6 évêques et 187 prêtres catholiques. 50 prêtres ont été massacrés dans des conditions horribles ; 40 sont en exil ; on est sans nouvelles des autres. Toutes les églises sont fermées. L'enseignement de la religion catholique est interdit.
Lithuanie — En 1940, la Lithuanie comptait 2,500,000 catholiques, 900 églises, 13 évêques, 1,500 prêtres. " La hiérarchie et le clergé ont été supprimés. Les églises ont été nationalisées.
Roumanie — Sur 20 millions d'habitants, la Roumanie comptait 3 millions de catholiques en 1934, avec 3,795 églises, 12 évêques, 3,331 prêtres et religieux, 376 écoles catholiques, 30 journaux catholiques. Mais, en 1960, il n'y a plus un seul évêque dans ce pays. L'évêque-auxiliaire de Bucarest, Mgr Aftenié, a été tué à coups de hache. Trois autres évêques sont morts en-prison, dont Mgr Siciu, mort à 43 ans, des suites d'un "interrogatoire". Les 8 autres évêques sont dons des camps de concentration. 200 prêtres et religieux sont aux travaux forcés; 200 sont en prison ; 250 ont disparu. Le culte n'est célébré que clandestinement.
Yougoslavie — Il y avait dans ce pays, en 1939, un cardinal, 19 évêques, 4,500 prêtres. Le cardinal, Mgr Stepinac, est mort en 1960, en résidence surveillée. L'évêque de Liublijana, Mgr Vovsk, survit à son supplice (la populace excitée avait voulu le brûler vif). Un évêque est mort en prison, un en exil. Un autre évêque est aux travaux forcés ; trois sont détenus en résidence surveillée, dont Mgr Vovsk mentionné ci-dessus. 30 prêtres ont été tués (généralement jetés à l'eau); 200 sont détenus ; 500 sont exilés.
Bulgarie — En 1940, la Bulgarie comptait 57,000 catholiques, 3 évêqt.ies, 127 prêtres. Un des évêques a été condamné à mort en 1952 ; les deux autres aux travaux forcés. Sur les 127 prêtres, il ne reste plus que 20 survivants.
Ukraine — Sur les 31 millions d'Ukrainiens, 4 'millions sont catholiques. En 1940, ce pays comptait 4,400 églises, 10 évêques, 3,470 prêtres. Un des évêques, Mgr Romza, a été passé sous un camion de l'armée rougie. Un autre, Mgr Slipyi, n'a été libéré d'un long terme de prison que l'an dernier et à condition de sortir du pays ; il est aujourd'hui à Rome. Les 8 autres évêques sont aux travaux forcés. Toutes les églises sont fermées. Le culte ne se célèbre que clandestinement dans la forêt des Karpathés.
Hongrie — On connaît le sort de ce pays en grande majorité catholique. Son primat, le cardinal Midszenity, sorti de prison par les patriotes en révolte en 1956, réfugié à l'ambassade américaine lors de l'écrasement des patriotes, est toujours sous le coup de la condamnation à la prison à vie. 400 prêtres sont en prison; 763 ont échappé en émigrant.
Pologne — La catholique Pologne a vu 3 de ses évêques mourir en prison-; 4 autres évêques sont déportés en Sibérie; 9 autres sont détenus. Parmi ses prêtres et religieux : -84 morts en prison, 870 encore en prison, 550 déportés, 260 disparus, 1,200 exilés.
Russie — En Russie même, pays majoritairement de l'église orthodoxe (schismatique) et sous lia botte communiste depuis 1917, il y avait tout die même encore, en 1939, 900 églises ouvertes au culte Catholique; desservies- par 900 prêtres catholiques. En 1960, il ne restait que 4 églises et 5 prêtres catholiques.
Albanie — Dans ce petit pays, Mgr Prennu3s-' ki, archevêque de Durazzo, est mort en prison De ses prêtres, 30 ont été fusillés, ou massacrés, ou sont morts en prison; on ignore le chiffre des disparus.
Géorgie — Toutes les églises, sauf 6, sont fermées. Les prêtres sont envoyés aux travaux forcés.
Arménie — il ne reste plus un seul évêque ni un seul prêtre en Arménie. Peut-être — on ne sait s'y trouve-t-il des prêtres clandestins.
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Ce tableau donne une idée du sort fait à la religion catholique par les communistes'. Une idée incomplète. Il ne mentionne que les évêques, les prêtres et les églises. Mais les catholiques laïcs ont subi eux aussi des persécutions de toutes sortes : discrimination, affamation, emprisonnement, exil, camps de concentration, exécutions.
Le tableau couvre la période de 1940 à 1960, donc depuis que nos pays occidentaux proclamaient comme but de leur entrée en -guerre "la défense de la civilisation et de la chrétienté".
On en a fait une belle défense de la chrétienté! Quel que soit le camp qui a gagné la guerre, et quelle que soit la religion de ceux qui y ont participé, il n'y a eu vraisemblablement que trois gagnants : les financiers comme toujours ; les communistes, qui ont étendu leur domination politique sur la moitié de l'Europe et sur l'immense Chine; les Juifs, pour lesquels a été créé l'état de la Palestine au détriment des Arabes qui occupaient les lieux depuis 14 siècles.
On voit aussi que la mort de Staline n'a point du tout signifié la fin de la persécution religieuse dans les pays asservis par Moscou. Les alternances de sourires et de coups de poing (ou de soulier) de Krouchtchev n'ont point libéré les prisonniers des geôles et camps de concentration.
Et encore n'a-t-on mentionné que le cas des évêques, prêtres et églises catholiques. Mais, en Russie et dans des satellites de la Russie, il y a aussi un très grand nombre d'Orthodoxes. Les évêques et les prêtres orthodoxes sont, comme les nôtres, de véritables évêques, ayant le pouvoir d'ordonner des 'prêtres et d'outres évêques. Ils sont schismatiques, séparés de l'Eglise catholique parce qu'ils refusent de reconnaître la suprématie du Pape. Mais ils ont les mêmes sacrements que nous. Leur messe comprend la même transsubstantiation du pain et du vin au véritable Corps et Sang .de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ils ont aussi conservé un grand culte envers Notre-Dame.
Eh bien, ces chrétiens de l'église "orthodoxe" ont eux aussi subi la persécution. Ils n'y échappent pas, même sous le règne de Krouchtchev. Dons la seule année 19-60, plus de 500 de leurs églises ont été fermées au culte à la suite de l'audace qu'avait eue le Patriarche Alexis, un évêque orthodoxe de 84 ans, de dénoncer publiquement, à la face du Kremlin, les attaques du régime contre le christianisme.
En 1962, le gouvernement soviétique déclarait le jour de Pâques jour de travail obligatoire. 3,000 autres églises (orthodoxes) étaient fermées.
Pour empêcher le recrutement du clergé, séminaires et facultés de théologie sont soit fermés, soit limités dans le nombre de séminaristes qu'ils ont le droit d'accepter. Le plus important de tous, le séminaire de Léningrad, n'a droit qu'à 8 séminaristes!
Il ne faut pas confondre le peuple russe avec son gouvernement, ni avec le parti communiste. Une bonne partie de la population reste attachée à sa religion, même si elle ne peut le manifester. Elle ne se soumet que sous la force. L'incident .suivant, rapporté par "Rivarol", le démontre :
En 1960, apprenant que la cathédrale de Kiev (Ukraine) serait fermée, des fidèles se barricadèrent à l'intérieur et l'occupèrent durant une semaine. Finalement, la troupe intervint, arrêtant les manifestants et les envoyant en prison ou dans des asiles d'aliénés.
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Pourquoi reproduire ici ces notes sur l'église du silence ?
C'est pour secouer un peu l'indifférence, l'apathie, l'embourgeoisement, l'égoïsme dans lequel vivent trop de catholiques de notre pays encore libre.
C'est aussi pour faire mieux connaître le vrai et hideux visage du communisme, quand non seulement la littérature soviétique, mais même des journaux de chez nous, des favoris de la radio et de la TV, et des "retours de Moscou" semblent s'évertuer systématiquement à le présenter comme acceptable, sinon même attrayant: "Le communisme n'est pas si pire ... Il y a du bon dans le communisme ... La Russie nous donne bien des exemples ... Etc."
C'est aussi pour nous faire penser à des frères chrétiens qui souffrent, qui gémissent dès années et des années dans des prisons ou aux travaux forcés, quand ce n'est pas la mort même qui leur est imposée pour leur foi, pour cette foi qui est aussi la nôtre mais pour laquelle nous faisons si peu et si tièdement, Ils expient pour nos lâchetés -- allons-nous les oublier, et allons-nous rester lâches ?