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L'argent, signe des choses

Gilberte Côté-Mercier le samedi, 27 mai 1967. Dans Économie

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Mesdames et Messieurs,

Gilberte Côté-Mercierje suis sûre que vous tous qui m'écoutez vous avez un problème d'argent à régler. C'est même peut-être votre plus grand problème ; celui qui vous tracasse le plus. Vous y pensez jour et nuit : comment faire pour rencontrer les deux bouts ? Comment faire pour acheter le lait nécessaire aux enfants depuis qu'on paie 29 cents la pinte ? Comment faire pour vivre avec la prestation d'assurance-chômage seulement ? Comment faire pour établir les garçons quand tout le monde leur refuse de l'ouvrage ?

Toujours l'argent. L'argent qui manque. L'argent, l'argent. Ah ! si une bonne fois on réglait le problème de l'argent, comme on serait bien soulagé et comme la vie serait différente, plus belle. Mais ce fameux problème de l'argent qui nous prend toute la vie ne serait pas un problème si la société était bien organisée.

L'argent, ce n'est qu'une chose artificielle. L'argent, ce n'est qu'un signe ; un signe des produits réels. On ne mange pas de l'argent, on mange du pain. On ne s'habille pas avec de l'argent, on s'habille avec des habits. Quand vous parlez blé, beurre, fromage, œufs, vêtements, maisons, vous êtes dans le réel. Vous parlez de biens réels. De choses capables de satisfaire les besoins temporels des hommes, de satisfaire la faim, de s'habiller, de se loger.

Quand vous parlez de dollar, de piastre, vous parlez de signes, de signes financiers. Ces signes là ne peuvent pas par eux-même nourrir, vêtir, loger, soigner. Ce ne sont que des signes. Des signes faits pour évaluer les choses et aussi dans notre monde organisé, pour donner à ceux qui les présentent, des droits aux choses de leur choix. Le plus important des deux est évidemment le réel. Sans le réel, le signe ne représenterait rien. Placer un homme affamé dans un désert avec un rouleau de piastres dans sa main, il va mourir de faim ; un pain ferait bien mieux son affaire. Et si dans une ville l'homme avec un rouleau de piastres ne meurt pas de faim, c'est parce qu'il a soin de changer ses piastres pour de la nourriture.

C'est très utile de songer quelques fois à ces choses-là. De songer que l'argent, au fond, ce n'est pas l'important. L'important, ce sont les choses réelles. Mais il y a un règlement dans la société et c'est un bon règlement, ma foi. Il y a un règlement qui oblige à présenter des piastres pour le produit qu'on ne fait pas soi-même. C'est le pain qui nourrit mais quand on ne fait pas soi-même le pain, on ne peut en obtenir qu'en présentant la piastre. D'où l'importance de la piastre, condition imposée pour avoir le pain.

C'est d'une portée immense dans notre monde actuel car pour vivre, tout le monde a besoin de produits faits par d'autres.

Le signe, la piastre, est de ce fait un véritable permis de vivre. Si vous avez le permis, vous obtenez ce que vous voulez du système producteur. Si vous n'avez pas le permis, la piastre, vous n'obtenez rien et le système producteur ralentit au lieu de vous servir.

C'est bien pour cela que notre problème d'argent est un grand problème. Il nous faut des produits pour vivre et on a besoin d'argent sans faute pour se procurer les produits. Mais les produits, eux autres, sont-ils un problème ? Les choses réelles, Est-ce qu'elles manquent dans le pays ? Non, mille fois non ! Rien, rien ne manque dans notre riche Canada. Les choses sont là qui attendent les besoins. Les magasins sont pleins. Les vitrines sont plus belles que jamais. Les agriculteurs se plaignent qu'il leur reste des quantités énormes de lait, d'œufs, de beurre, de fromage, de légumes et de fruits.

Les choses sont là qui s'offrent mais les choses restent là. On ne les prend pas parce qu'il nous manque l'argent ; il nous manque les permis ; il nous manque les licences pour se procurer les choses. Les choses sont là et les licences pour avoir les choses ne sont pas là. Les choses sont là et l'argent n'est pas là. Les choses réelles qui nous font vivre sont là et le signe des choses pour acheter les choses, le signe de piastre n'est pas là.

Si l'argent est un signe des choses, l'argent devrait toujours être là quand les choses sont là. L'argent devrait toujours se trouver en présence des choses. L'argent ne devrait jamais manquer en face des choses. Et lorsque les choses sont abondantes, surabondantes, comme aujourd'hui, l'argent devrait être très abondant en présence des choses.

Mais notre système financier est à l'envers. Il fonctionne à rebours. Il met l'argent abondant quand les choses sont rares et qu'on les détruit comme en temps de guerre et il met l'argent rare quand les choses sont abondantes comme en temps de paix. On constate bien un progrès constant dans le système producteur mais on constate des bouleversements continuels dans le système financier. Les signes ne sont point du tout en rapport exact constant avec les choses. Les piastres viennent abondamment en temps de guerre quand le système producteur est détourné vers des choses qui ne répondent aucunement aux besoins des individus.

Et quand le système producteur est capable le plus de fournir tout ce qu'on lui demande, les piastres pour passer les commandes disparaissent. Ce jeu là est anti-social et barbare. Il fait souffrir les consommateurs en face d'une production inutilisée. Il crée des problèmes artificiels non seulement pour les individus mais pour les groupes et même pour les gouvernements.

Il n'est pas exagéré de dire que les 9/10 des problèmes d'administration sont des problèmes financiers car lorsque les chefs fédéraux et les chefs provinciaux se réunissent pour essayer d'en venir à des ententes, c'est toujours sur des questions financières qu'ils se battent. On ne les voit pas en désaccord sur les moyens de développer l'agriculture ni les mines ni les moyens de transport mais en profond désaccord sur les droits de taxer tel ou tel secteur. Question de piastre.

Mais pourquoi donc le système financier est-il aussi mal fait ? Pourquoi donc la quantité de piastres en circulation ne répond t-elle pas aux produits et aux besoins ? Parce que le contrôle de l'argent et du crédit est entre les mains d'un petit groupe d'hommes qui décide de la naissance de l'argent, des conditions de sa mise en circulation, de sa durée en circulation, de sa disparition. Ces hommes exercent un pouvoir souverain sans en avoir les responsabilités.

Cette dictature est exercée par les banques. À l'heure actuelle, les banques coupent le crédit, retirant de la circulation des millions de piastres. À titre d'exemple concret, voici la communication que nous recevions un jour d'un correspondant d'une petite ville à une seule paroisse. Il dit : '' Il y a 6 mois, avec mon petit commerce de bijouterie, je pouvais aller au débit avec la banque ; c'est-à-dire je pouvais tirer des chèques sans fond jusqu'à un montant de$700 à $800 piastres et je n'en entendais pas parler. La banque me laissait faire. J'en ai causé avec l'épicier du coin près d'ici, Mr N. Li aussi faisait de même. Il pouvait aller jusqu'à $1,300 piastres et il n'était pas dérangé par la banque. J'en ai parlé à Mr T., un marchand de mercerie ; et ce dernier faisait des chèques sans fond jusqu'à $2000 piastres sans être aucunement gêné. Le pharmacien était dans mon cas.

Aujourd'hui, quand le pharmacien fait un chèque sans fon de $15 piastres, la banque lui téléphone de venir couvrir. Quand le marchand de mercerie veut aller au débit, la banque refuse et retourne ses chèques. Pour moi, c'est la même chose. Comment voulez-vous que nous placions de bonnes commandes quand nous n'avons pas d'avances pour le payer ? Faut-il s'étonner que le commerce languisse et que le chômage suive ?

Les gérants de banque ont l'ordre des bureaux-chefs de ne plus laisser aller personne au débit. Je me suis laissé dire que le garçon du riche Mr V., avec l'endossement de son père, était au débit à la banque pour $150,000 piastres. Des industriels pouvaient aller au débit jusqu'à $20,000 piastres et plus. Toutes ces permissions sont retirées aujourd'hui. C'était de l'argent de chiffre ; de l'argent sans dépôt correspondant à ses avancements de crédit. Mais ça avait le même pouvoir d'argent que l'argent de métal ou de papier.

C'est ainsi que les banques font disparaître l'argent. Et c'est ainsi que l'argent devient rare et c'est ainsi qu'on ne peut plus acheter. Le résultat ne peut être que le chômage, en face de produits qui ne se vendent pas faute d'argent.

Cette dictature de l'argent est la plus néfaste qu'on puisse imaginer. Les Créditistes ne cessent de la dénoncer. Elle domine les gouvernements. Elle fait avorter les meilleurs projets de réformes sociales. Celui qui contrôle le crédit n'a pas besoin de parler, il même tout. Celui qui contrôle l'argent contrôle toute nos vies, comme l'a dit Pie XI.

Mais comment le Crédit Social ferait-il cesser cette dictature ? En faisant de l'argent la représentation exacte des choses. En d'autres termes, le Crédit Social ferait de l'argent la comptabilité exacte de la capacité de production du pays. L'argent viendrait à la même vitesse et dans la même proportion que la production elle-même. L'argent ne serait donc plus un problème pas plus que la production n'est un problème aujourd'hui. Et le flot de production serait entretenu puisque la récompense au travail continuerait comme aujourd'hui par les salaires aux employés et par les profits aux entrepreneurs.

L'argent doit être social et non pas bancaire. Le crédit est un instrument social de transfert de produits. Il sert à tout le monde. Tout le monde en a besoin. L'émission, le volume et le retrait du crédit doivent être commandés par les faits, par les choses, par la production et par la consommation.

Le crédit doit être sous le contrôle de la société. Ce soit être un crédit social. Quand le crédit est un crédit bancaire, quand il est contrôlé par la banque, c'est un désordre, c'est de l'usurpation de pouvoir. C'est une injustice, c'est un vol de pouvoir, un vol de crédit. Le système de crédit d'une nation doit être social et non pas bancaire. Les lois qui régissent le crédit doivent être faites par les rois responsables au peuple de sa législation et elles doivent être inspirées par le bien commun et appliquées en vue du bien commun.

Remettre le contrôle du crédit entre les mains du roi ou du gouvernement ne veut pas dire donner à l'État le pouvoir que les banques possèdent aujourd'hui. Ce n'est pas un crédit d'État qu'il faut mais un crédit social. Le rôle de l'État se borne à dicter la politique de crédit en vue du bien commun. Mais l'application de la politique du crédit, l'application, c'est un Office indépendant du gouvernement qui en serait chargé. Un office de crédit aussi indépendant des gouvernements que sont nos cours de justice. Un système de crédit aussi indépendant des gouvernements que l'est notre système judiciaire.

Voilà ce que c'est que le Crédit Social en plus d'être une politique de distribution de crédit à tous les individus par un dividende social assurant à chacun un minimum vital et par un escompte social ajustant constamment le prix au pouvoir d'achat disponible.

Gilberte Côté-Mercier

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