Page 84 - Une lumière sur mon chemin - Louis Even
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82 12. Le prix de la grande folie
Les auteurs du progrès
Le progrès: rues nouvelles, ou élargies, ou améliorées, trottoirs
renouvelés, prolongement des conduites d’eau, nouveaux égouts,
embellissement, etc. Voilà, certes des attestations de progrès maté-
riel réalisé. Mais un progrès qui ne s’est pas fait tout seul. Il a fallu y
mettre des bras, des heures de travail, des ingénieurs, de la direc-
tion. Il a fallu aussi que des producteurs de biens de consommation
fournissent des produits alimentaires, des vêtements et cent autres
choses pour l’entretien de la vie et de la santé des travailleurs affec-
tés directement aux améliorations et développements municipaux.
Ces bras-là, monsieur Champoux, ces ingénieurs-là, ce travail-
là, ces matériaux, ces biens de consommation, sont-ils venus de
ceux à qui vous dites qu’il faut payer le progrès ? Dans un autre
article de vous, dans La Presse du lendemain, vous revenez sur le
sujet. À croire que vous avez l’impression d’être un expert. Vous
citez le maire Jean Drapeau disant à un auditoire de Toronto que
le seul service de la dette montréalaise exigera, cette année, une
somme de 60 millions de dollars.
Soixante millions, c’est certainement une grosse somme,
quand cela ne sert qu’au service annuel de la dette. Soixante mil-
lions qui ne vont rien apporter en retour à la population. Pas un
seul sac de ciment, pas un seul bout de tuyau, pas un seul pouce
cube d’air pur. Et ce morceau du budget annuel, prélevé de gens
qui bâtissent leur ville, qui font tourner la roue de son industrie, qui
édifient son progrès, va être versé à des gens qui ne fournissent à
ces travaux ni matériaux, ni bras, ni cerveaux, ni produits d’aucune
sorte.
Est-ce cela que vous appelez «payer le progrès» ? Avez-vous
l’esprit normal, monsieur ? Raisonnez-vous en termes de réel ?
Ou bien le sens du réel est-il obnubilé chez vous par l’acceptation
aveugle du truc financier qui permet l’exploitation légalisée des
Montréalais ?
Pourtant, il y a dans ce deuxième article de vous, monsieur l’ex-
pert, une constatation qui devrait vous ramener au sens du réel, si
votre cas n’est pas désespéré. Vous remarquez, en effet, que le cas
de Montréal n’est pas unique. Que s’il est frappant, c’est parce qu’il
s’agit de la métropole. Mais que toutes les municipalités, le mo-
deste hameau comme la grosse cité, sont dans la même situation.