Page 128 - Sous le Signe de l'Abondance
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Chapitre 29

              La science appliquée, bien commun


            (Article de Maître J.-Ernest Grégoire, paru dans Vers Demain
            er
        du 1  décembre 1943.)
            Qui de nous ne s’est arrêté quelquefois — malgré toutes les
        occupations, les précccupations et les soucis qui rendent la médita-
        tion difficile — qui de nous ne s’est arrêté un jour ou l’autre à se po-
        ser des questions comme celles-ci: Comment se fait-il qu’avec tant
        de progrès dans tous les rayons de la production — progrès dans
        l’agriculture, progrès dans l’industrie du vêtement, des chaussures,
        du bâtiment, progrès dans la médecine, progrès dans le transport,
        progrès dans l’entreposage — comment se fait-il qu’avec tout cela,
        on soit encore aux prises avec les inquiétudes du lendemain, quand
        ce ne sont pas celles du jour même?
                     Inquiétude, soucis, vie fiévreuse
            Et remarquez bien qu’il ne s’agit pas d’inquiétudes apportées
        par la guerre. La guerre, au contraire, diminue l’inquiétude du pain
        quotidien dans bien des foyers. Il s’agit de l’inquiétude en temps de
        paix, lorsque les élévateurs regorgent de blé, lorsque les vitrines
        étalent des produits de toutes sortes, lorsque les annonces nous
        invitent à prendre l’abondance avide de s’écouler.
            Comment se fait-il qu’avec l’invention de tant de machines per-
        fectionnées pour le servir, l’homme soit obligé, ou de mourir de
        faim en croisant les bras, ou de travailler comme un forcené dans
        des usines, dans des trous de mine, le jour, la nuit, le dimanche,
        quittant sa maison en vitesse de grand matin, ou tard le soir, pour
        être rendu au coup de sifflet; quittant l’usine fatigué, ahuri, aigri par
        les exactions sans cesse croissantes de ses employeurs, ceux-ci
        eux-mêmes en proie à des activités et des calculs enfiévrés?

                            La science qui punit
            A quoi bon la science, à quoi bon les inventions, à quoi bon les
        machines, à quoi bon l’électricité, à quoi bon la chimie, si tout cela
        ne sert bien l’homme que pour la tuerie, si tout cela laisse l’homme
        dans la misère et le besoin dès que cesse la destruction d’hommes
        et de choses sur une grande échelle?
            La science est devenue un agent de souffrance et de mort, par-
        ce que les bienfaits de la science n’atteignent pas le consommateur,
        la masse des consommateurs.
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