Page 62 - Une lumière sur mon chemin - Louis Even
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60    8. Argent perverti

        fabrique.
            Les mêmes bras, les mêmes cerveaux, les mêmes entrepre-
        neurs, passeront d’une production à une autre, d’un commerce à
        un autre, si le premier cesse de payer et si le second rapporte de
        l’argent. De tracteurs aujourd’hui à canons demain; de nourriture
        fortifiante  aujourd’hui  à  de  l’alcool  empoisonneur  demain.  Selon
        que ça paye.
            L’ouvrier est, comme son patron, soumis au service de ce même
        dieu. Il court où il y a un salaire: construction de maison ou usine
        de guerre. C’est son pain qu’il veut assurément. Mais son pain, le
        pain de sa femme et de ses enfants, il doit aller le chercher là où
        il y a de l’argent au bout de sa semaine, quel que soit le genre de
        travail qu’on lui commande, travail de vie ou travail de mort. Peut-
        il même s’en inquiéter quand il ne sait pas, la plupart du temps, à
        quoi servira le produit de son travail?
            Le bûcheron dans la forêt, le chimiste ou le manœuvre dans le
        moulin à papier, sont là pour l’argent de leur salaire. Que le papier
        produit doive servir à des mandements de carême ou à des publi-
        cations pornographiques, la responsabilité du travailleur est limitée
        à l’enveloppe de paye. Ce n’est pas l’ouvrier que nous blâmons. Il
        n’est que l’esclave, condamné à servir la production qui rapporte
        de l’argent, sous peine de crever de faim avec sa famille.
                                Argent-tyran

            Ce dieu-là ne réclame pas seulement la place suprême dans
        les décisions économiques. Comme le Moloch des Ammonites ou
        le Minotaure des Grecs, il lui faut des victimes humaines. Ses vic-
        times ne se comptent plus. Son comportement peut freiner toute
        activité de production, paralyser la distribution des produits, jeter
        des millions d’êtres humains dans la faim et les privations de toutes
        sortes en face d’une abondance de produits. C’est même quand
        les produits sont accumulés devant des besoins pressants que ce
        dieu tyrannique semble prendre le plus de malin plaisir à mettre les
        familles en pénitence. Les centaines de mille chômeurs du Canada
        en savent quelque chose.
            Le pouvoir de l’argent peut entraver les meilleures entreprises
        même celles des apôtres de l’Évangile. Les mains tendues de nos
        missionnaires, et même de directeurs d’œuvres de chez nous, n’en
        sont-elles pas la preuve quotidienne?
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