Page 167 - Sous le Signe de l'Abondance
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Question ouvrière, problème d’argent  16

                           L’abondance oubliée
            Et  pendant  que  le  financier,  l’entrepreneur  et  l’employé  sont
        ainsi à couteaux tirés, pour déterminer quelle part ira à l’un, quelle
        part à l’autre, pendant ce tempslà, des montagnes de produits res-
        tent sans preneurs.
            On se rebiffe, on se syndique, on s’envoie mutuellement des
        ultimatums, on réclame ou on refuse des cours d’arbitrage, on dis-
        cute, on remet, on signe des accords provisoires, on les contourne,
        on recommence les luttes, on entre en grèves, on déclare des loc-
        kouts, on monte des assemblées, on prononce des discours viru-
        lents, des haines s’avivent, des moralistes prêchent, des agitateurs
        montrent les vitrines et les belles demeures, des gouvernements
        se préparent à mobiliser des troupes, des masses se tournent vers
        le communisme, des capitaux s’effraient, des enfants meurent de
        faim, des femmes se désespérent, des hommes se suicident, des
        chrétiens se damnent, tout cela parce qu’on n’arrive pas à donner
        satisfaction en essayant de répartir une production de deux mil-
        liards, alors qu’au moins deux autres milliards sollicitent vainement
        des consommateurs et que d’autres milliards n’attendent qu’une
        demande effective pour prendre existence.
            Trois  hommes  se  battent  à  mort,  autour  d’une  livre  de  pain,
        alors  que  deux  autres  livres  de  pain  moisissent  sous  leurs  yeux
        parce que personne ne songe à s’en servir.

                         La lutte autour du signe
            Tout le problème économique moderne est là — le problème
        ouvrier comme les autres: on a déplacé la question économique
        de la chose vers le signe. On s’entredéchire pour un argent rare, au
        lieu de fraterniser pour jouir d’une production abondante.
            On pense en piastres, au lieu de penser en blé, en vêtements,
        en  chaussures,  en  maisons,  en  produits  de  toutes  sortes.  Parce
        qu’on pense en piastres, et que le banquier rend les piastres rares,
        on pense en termes de rareté.
            Il serait si facile de satisfaire tout le monde, d’établir paix et en-
        tente entre producteurs patronaux et producteurs ouvriers, si l’ar-
        gent à répartir était aussi abondant que la production offerte.
            Aurait-on besoin de tribunaux d’arbitrage, ou de mesures de
        violence, pour décider combien de minots de blé, combien de li-
        vres de fromage seront le lot du patron, et combien seront le lot de
        l’ouvrier, quand patrons et ouvriers ensemble sont incapables de
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