Page 116 - Sous le Signe de l'Abondance
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116   Chapitre 26

        de joie. L’occasion de mettre ses desseins à exécution ne tarda pas,
        bien qu’il n’eût pour s’annoncer ni «La Presse» ni «Le Star».
            Un bon matin, en effet, un ami de l’orfèvre se présenta chez lui
        pour réclamer une faveur. Cet homme n’était pas sans biens — une
        maison ou une propriété en culture — mais il avait besoin d’or pour
        régler une transaction. S’il pouvait seulement en emprunter, il le
        rendrait avec un surplus en compensation; s’il y manquait, l’orfèvre
        saisirait sa propriété, d’une valeur bien supérieure au prêt.
            L’orfèvre ne se fit prier que pour la forme, puis expliqua à son
        ami, d’un air désintéressé, qu’il serait dangereux pour lui de sortir
        avec une forte somme d’argent dans sa poche: «Je vais vous don-
        ner un reçu; c’est comme si je vous prêtais de l’or que je tiens en
        réserve dans ma voûte; vous passerez ce reçu à votre créancier et
        s’il se présente, je lui remettrai l’or; vous me devrez tant d’intérêt.»
            Le  créancier  ne  se  présenta  pas  généralement.  Il  passa  lui-
        même le reçu à un autre. Entre temps, la réputation du prêteur d’or
        se répandit. On vint à lui. Grâce à d’autres avances semblables par
        l’orfèvre, il y eut bientôt plusieurs fois autant de reçus en circulation
        que d’or réel dans les voûtes.
            L’orfèvre lui-même avait bel et bien créé de la circulation moné-
        taire, à grand profit pour lui-même. Il triompha vite de sa nervosité
        du début qui lui avait fait craindre une demande simultanée d’or par
        un grand nombre de détenteurs de reçus. Il pouvait jouer dans une
        certaine limite en toute sécurité. Quelle aubaine, de prêter ce qu’il
        n’avait pas et d’en tirer intérêt — grâce à la confiance qu’on avait
        en lui et qu’il eut soin de cultiver! Il ne risquait rien tant qu’il avait
        pour couvrir ses prêts une réserve que son expérience jugeait suf-
        fisante. Si, d’autre part, un emprunteur manquait à ses obligations
        et ne remettait pas le prêt l’échéance venue, l’orfèvre acquérait la
        propriété gagée. Sa conscience s’émoussa vite et les scrupules du
        début ne le tourmentèrent plus.
                             Création de crédit
            D’ailleurs, il crut sage de changer la formule et quand il prê-
        ta, au lieu d’écrire: «Reçu de Jacques Lespérance...» il écrivit: «Je
        promets de payer au porteur...» Cette promesse circula comme de
        la monnaie d’or. Incroyable, direz-vous. Allez donc, regardez vos
        billets de banque d’aujourd’hui. Lisez le texte qu’ils portent. Sont-ils
        si différents et ne circulent-ils pas comme monnaie?
            Un figuier fertile, le système bancaire privé, créateur et maî-
        tre de la monnaie, avait donc poussé sur les voûtes de l’orfèvre.
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