Page 114 - Sous le Signe de l'Abondance
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Chapitre 26

                    L’orfèvre devenu banquier,
                           une histoire vraie


            (Article de Louis Even, paru dans les Cahiers du Crédit Social
        d’octobre 1936.)
            Si vous avez un peu d’imagination, transportez-vous quelques
        siècles en arrière, dans une Europe déjà vieille mais peu progres-
        sive encore, ayant surtout cultivé l’art de la guerre et celui des per-
        sécutions,  s’éveillant  néanmoins  peu  à  peu  aux  récits  des  aven-
        turiers  et  des  voyageurs.  C’était  peut-être  l’époque  où  Jacques
        Cartier grimpait au sommet du Mont Réal, conduit par le vieux chef
        qui voulait lui faire admirer le magnifique panorama de forêts et
        de rivières devant lequel même l’âme d’un Peau-Rouge ne pouvait
        rester inerte. Ou était-ce plutôt avant que Christophe Colomb eût
        mis le cap sur le vaste inconnu pour atteindre l’Orient en voguant
        vers l’Occident?
            Toujours est-il qu’en ce temps-là la monnaie ne comptait pas
        pour beaucoup dans les transactions commerciales courantes. La
        plupart de celles-ci étaient de simples échanges directs, du troc.
        Cependant, les rois, les seigneurs, les riches et les gros négociants
        possédaient de l’or et s’en servaient pour financer les dépenses de
        leurs armées ou pour acquérir des produits étrangers.
            Mais  les  guerres  entre  les  sei-
        gneurs ou les nations et les briganda-
        ges exposaient l’or et les bijoux des
        riches à tomber entre les mains des
        pilleurs.  Aussi  les  possesseurs  d’or
        devenus  trop  nerveux  prirent-ils  de
        plus l’habitude de confier la garde de
        leurs trésors aux orfèvres qui, à cause
        du matériel précieux sur lequel ils tra-
        vaillent,  disposaient  de  voûtes  bien
        protégées. L’orfèvre recevait l’or, don-
        nait un reçu au dépositaire et conser-
        vait le métal pour celui-ci, moyennant
        une prime pour le service.
            Naturellement, le propriétaire réclamait son bien, en tout ou en
        partie, quand bon lui semblait.
            Le négociant qui partait de Paris pour Marseille, ou de Troyes
        pour Amsterdam, pouvait se munir d’or pour faire ses achats. Mais
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