Page 215 - La démocratie économique vue à la lumière de la doctrine sociale de l'Église
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Discours de Thomas Sankara  215

        lisme. Ceux qui nous ont prêté de l’argent, ce sont ceux-là qui nous
        ont colonisés, ce sont les mêmes qui géraient nos États et nos éco-
        nomies, ce sont les colonisateurs qui endettaient l’Afrique auprès
        des bailleurs de fonds, leurs frères et cousins.
            Nous étions étrangers à cette dette, nous ne pouvons donc pas
        la payer. La dette, c’est encore le néo-colonialisme où les coloni-
        sateurs se sont transformés en assistants techniques; en fait, nous
        devrions dire qu’ils se sont transformés en assassins techniques;
        et ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement.
            Des bailleurs de fonds, un terme que l’on emploie chaque jour
        comme s’il y avait des hommes dont le bâillement suffisait à créer
        le développement chez les autres. Ces bailleurs de fonds nous ont
        été conseillés, recommandés; on nous a présenté des montages
        financiers alléchants, des dossiers; nous nous sommes endettés
        pour cinquante ans, soixante ans, même plus c’est-à-dire que l’on
        nous a amenés à compromettre nos peuples pendant cinquante
        ans et plus.
            Mais la dette, c’est sa forme actuelle, contrôlée, dominée par
        l’impérialisme, une  reconquête  savamment  organisée pour que
        l’Afrique, sa croissance, son développement obéisse à des paliers,
        à des normes qui nous sont totalement étrangères, faisant en sorte
        que chacun de nous devienne l’esclave financier c’est-à-dire l’es-
        clave tout court de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourbe-
        rie de placer les fonds chez nous avec l’obligation de rembourser.
            On nous dit de rembourser la dette: ce n’est pas une question
        morale, ce n’est point une  question de ce prétendu  honneur  de
        rembourser ou de ne pas rembourser. Monsieur le président, nous
        avons écouté et applaudi le premier ministre de Norvège lorsqu’el-
        le est intervenue ici même, elle a dit, elle qui est Européenne, que
        toute la dette ne peut pas être remboursée.
            La dette ne peut pas être remboursée parce que d’abord si
        nous  ne payons pas, nos bailleurs  de fonds ne mourront pas.
        Soyons-en sûrs. Par contre, si nous payons, c’est nous qui allons
        mourir. Soyons en sûrs également.
            Ceux qui nous ont conduits à l’endettement ont joué comme
        dans un casino; quand ils gagnaient, il n’y avait point de débat,
        maintenant qu’ils ont perdu au jeu, ils nous exigent le rembourse-
        ment, et l’on parle de crise. Non! Monsieur le Président, ils ont joué,
        ils ont perdu, c’est la règle du jeu, la vie continue!
            Nous ne  pouvons pas rembourser la  dette  parce  que  nous
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