Page 213 - La démocratie économique vue à la lumière de la doctrine sociale de l'Église
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Le dernier écrit de Jacques Maritain  213

            Il reste à l’honneur de la papauté, qu’à une époque où la civilisa-
        tion du marché, qui avait commencé son règne au XIIe siècle, était
        décidément triomphante, Benoît XIV a publié en 1745 la fameuse
        Bulle Vix pervenit, prohibant une fois de plus le prêt à intérêt, et
        déclarant que c’est un péché d’admettre que dans un contrat de
        prêt, celui qui prête a droit à recevoir en retour plus que la somme
        avancée par lui.
            Et plus tard encore, alors que florissait le capitalisme du XIXe
        siècle, Léon XIII  dénonçait dans l’encyclique  Rerum novarum
        «l’usure rapace» comme un fléau de notre régime économique.
            Cependant le monde des affaires se moquait bien des prohibi-
        tions de l’Église, et dans les temps modernes le système du prêt
        à intérêt a fini par s’imposer avec une force irrésistible au régime
        économique de la société, dont il est devenu le nerf essentiel et qui
        sans lui était désormais impossible et inconcevable...
            Penser que, une fois qu’il a porté son fruit, une somme d’argent
        surajoutée, fruit de la fécondité de l’argent investi par le bailleur de
        fonds, est dû à celui-ci à titre d’intérêts rapportés par le capital, est
        une illusion. L’argent n’est pas fécond...
            D’autre part, une fois qu’on est entré dans le système du prêt à
        intérêt, on aura beau accumuler les études théoriques et les essais
        empiriques pour porter remède à tous les vices de celui-ci, on n’y
        arrivera jamais, parce qu’il est fondé sur un faux principe, le prin-
        cipe de la fécondité de l’argent.
                                                                             Jacques Maritain
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