Page 233 - Sous le Signe de l'Abondance
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Le monnayage du progrès  233

            C’est une spoliation, issue d’une prévarication. Et non seule-
        ment le banquier est-il le premier et principal bénéficiaire du mon-
        nayage et du progrès; mais il en est aussi le bénéficiaire le mieux
        protégé. Il ne peut pas perdre, même si l’emprunteur fait un échec
        de son entreprise, puis qu’il a en main des gages sur des acquisi-
        tions passées de l’emprunteur, et ces acquisitions dépassent tou-
        jours en valeur ce que le banquier a prêté.
            Quelle est la part de l’emprunteur? Lui aussi pourra tirer profit
        du monnayage du progrès, pourvu: premièrement, qu’il réussisse
        à établir le moyen de production projeté; deuxièmement, qu’il soit
        assez habile ou assez violent pour extraire du public plus d’argent
        qu’il y met en circulation.
            Le bénéfice de l’emprunteur est moins assuré que celui du ban-
        quier. S’il échoue dans son entreprise, il en sort plus pauvre, puis-
        que le banquier saisit les biens que l’emprunteur a gagés.
            Et le public? Les membres de la société, dont l’héritage culturel
        commun forme peut-être la partie la plus considérable du progrès,
        n’ont comme tels aucune part au monnayage de ce progrès. Ils n’en
        ont pas, parce que le souverain qui a fait le monnayage a oublié le
        peuple et n’a pensé qu’au banquier.
            Ceux qui travaillent reçoivent un salaire, salaire payé grâce au
        monnayage, oui; mais ils doivent collectivement, comme consom-
        mateurs, payer pour le produit de leur travail plus qu’ils reçoivent
        en  salaires,  puisque  l’entrepreneur  doit  retirer  tout  l’argent  qu’il
        laisse  aller,  plus  son  profit  personnel  fort  légitime,  plus  le  rem-
        boursement au banquier qui s’est approprié dès l’origine le fruit du
        monnayage.
            Comme  ce  remboursement,  pour  être  intégral,  doit  être  su-
        périeur à l’emprunt, et comme il est collectivement impossible de
        rentrer plus d’argent qu’il en sort, il y aura nécessairement quelque
        part banqueroutes, ou ruines, ou accumulation de dettes privées
        ou publiques.
            Toutes ces choses pèsent sur la communauté. La ruine de quel-
        ques-uns est une charge pour l’ensemble. Les dettes privées ne
        se paient qu’en surchargeant les prix pour l’acheteur. Les dettes
        publiques ou les intérêts sur les dettes publiques croissantes ne se
        paient qu’en surtaxant les contribuables.
            Au lieu d’un public qui bénéficie du progrès, on a donc un pu-
        blic écrasé sous un fardeau croissant à mesure que le progrès se
        traduit par un argent-dette. Si la mise en circulation du monnayage
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