Page 93 - Une lumière sur mon chemin - Louis Even
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14. Les fanaux des économistes distingués          91

        pour faire le trajet à pied ? — On prend l’auto, ou un siège dans un
        autobus, un train ou un avion.
            Or, notre Anglais vient de se faire assurer que son marchand
        peut lui fournir autant de produits de toutes sortes qu’auparavant ;
        que la production peut lui fournir autant de bois, de charbon, d’hui-
        le, de courant électrique, autant de voitures, de places en autobus
        ou autres moyens de transport qu’auparavant.
            Les mêmes moyens sont là tels qu’auparavant pour répondre
        à ses besoins. Pourquoi donc l’Anglais doit-il maintenant s’en ser-
        vir moins ?
            Si vous posez la question à un politicien, il répondra sans dou-
        te:  «Affaire  de  finance»,  sans  plus d’explication;  étant  perroquet
        par profession, il ne peut que répéter ce qu’il a entendu. Si vous
        osez aborder le sujet avec un économiste distingué, il toisera votre
        ignorance et, d’un air transcendant: «Imposé par la conjoncture,
        monsieur». S’il avait dit «conjonction», vous auriez pu penser à
        regarder votre grammaire ; mais «conjoncture», vous voilà pétrifié
        tout net.
            Mais vous avez peut-être un ami à vous parmi les sous-ordres
        du ministère des Finances. Lui, doit savoir pourquoi l’austérité. Il
        vous répond, en effet, fort gentiment: «C’est pour sauver la livre
        sterling, mon cher, pour empêcher son effondrement complet. Si
        l’on n’y voit pas, la condition peut s’aggraver, infecter tout le corps
        économique, même dans d’autres pays, et amener une crise uni-
        verselle, comme dans les années ‘30.»
            Ah! la livre est malade. Elle peut bien avoir besoin d’une bonne
        saignée. C’est pour cela qu’on nous dit que si le 12 pour cent de
        dévaluation ne suffit pas, on pourra reprendre l’opération, jusqu’à
        30 pour cent s’il le faut.
            C’est la livre qui est malade, mais c’est l’homme que l’on trai-
        te. Lui qu’on saigne vraiment. Lui qu’on met à la diète. Mais, au
        juste, comment appelez-vous cette maladie-là, vous qui entrepre-
        nez d’en guérir la livre ?
            — C’est l’inflation, nous répond-on. Une inflation devenue ga-
        lopante. Et si l’on tombe sur vous pour guérir cette maladie de la
        livre, c’est parce que c’est vous, le public, qui l’avez provoquée. La
        cause est en vous, parce que vous vivez de plus en plus au-dessus
        de vos moyens.
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