Page 223 - Sous le Signe de l'Abondance
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Chez le marchand détaillant 223
Mais ce n’est pas le consommateur qui doit traverser la fron-
tière, c’est le produit. Et le produit traverse quand le consommateur
présente un passeport. Ce passeport, tout le monde le sait, c’est
l’argent.
Si le produit est d’un côté et l’argent de l’autre, si les étagères
du marchand sont bien garnies et si la poche du client est bien four-
nie le comptoir devient un lieu animé, à la grandé joie du marchan
d comme de l’acheteur.
Mais si le produit manque, si l’étagère est vide; ou si l’argent
manque, si les poches sont vides, le comptoir est terne comme un
désert.
Un désordre criminel
Des étagères vides, ça ne se voit qu’en temps de guerre, parce
que les hommes qui travaillent à fournir des produits aux étagères
sont trop occupés à fournir des cadavres aux cimetières.
En temps de paix, les étagères se remplissent à mesure qu’on
leur prend quelque chose; la production afflue de tous côtés, les
producteurs se disputent le privilège de remplir les étagères.
Malheureusement, les porte-monnaie ne sont pas au même
régime que les étagères. C’est en temps de guerre, devant des éta-
gères peu chargées, que l’argent se présente le plus libéralement
au comptoir. Et en temps de paix, avec des étagères chargées à
craquer, les porte-monnaie sont presque vides.
En temps de paix, on assiste, chez le marchand, à ce spectacle
étrange:
Derrière le comptoir, l’ordre. Devant le comptoir, le désordre.
Derrière le comptoir, des produits qui se renouvellent à la de-
mande du marchand. Devant le comptoir, des consommateurs ont
besoin des produits, de produits faits pour eux, mais qu’ils ne peu-
vent avoir.
Derrière le comptoir, des prix attachés aux produits, et des prix
exactement en rapport avec les produits. Des prix résultant d’une
comptabilité conforme aux faits, depuis la matière première jus-
qu’au profit légitime du marchand.
Devant le comptoir, de l’argent pour acheter, mais sans rapport
avec les produits. Devant le comptoir, aucune comptabilité pour
tenir le pouvoir d’achat en fonction du prix des produits.
La comptabilité de la production est bonne, la comptabilité de
la distribution est mauvaise.