Page 53 - La démocratie économique vue à la lumière de la doctrine sociale de l'Église
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Les banques créent l’argent sous forme de dette  53

        lui avait confié demeurait intact dans sa voûte. Les propriétaires de
        cet or se servant de ses reçus dans leurs échanges commerciaux,
        c’est à peine si un sur dix venait quérir du métal précieux.
                                      La soif du gain,  l’envie  de deve-
                                   nir riche plus vite qu’en maniant ses
                                   outils de bijoutier, aiguisèrent l’esprit
                                   de notre homme et lui inspirèrent de
                                   l’audace.  «Pourquoi, se dit-il, ne me
                                   ferais-je  pas prêteur  d’or!»  Prêteur,
                                   remarquez bien, d’or qui ne lui appar-
                                   tenait  pas.  Et comme il n’avait  pas
                                   l’âme droite de saint Eloi, il couva et
        mûrit cette idée. Il la raffina encore davantage: «Prêteur d’or qui ne
        m’appartient pas, et avec intérêt, va sans dire! Mieux que cela, mon
        cher maître (parlait-il à Satan?) — au lieu d’or, je vais prêter des
        reçus et en exiger l’intérêt en or: cet or-là sera bien à moi, et celui
        de mes clients restera dans mes voûtes pour couvrir de nouveaux
        prêts.»
            Il garda bien le secret de cette découverte, n’en parlant même
        pas à sa femme qui s’étonnait de le voir souvent se frotter les mains
        de joie. L’occasion de mettre ses desseins à exécution ne tarda pas,
        bien qu’il n’eût pour s’annoncer ni «La Presse» ni «Le Star».
            Un bon matin, en effet, un ami de l’orfèvre se présenta chez lui
        pour réclamer une faveur. Cet homme n’était pas sans biens — une
        maison ou une propriété en culture — mais il avait besoin d’or pour
        régler une transaction. S’il pouvait seulement en emprunter, il le
        rendrait avec un surplus en compensation; s’il y manquait, l’orfèvre
        saisirait sa propriété, d’une valeur bien supérieure au prêt.
            L’orfèvre ne se fit prier que pour la forme, puis expliqua à son
        ami, d’un air désintéressé, qu’il serait dangereux pour lui de sortir
        avec une forte somme d’argent dans sa poche: «Je vais vous don-
        ner un reçu; c’est comme si je vous prêtais de l’or que je tiens en
        réserve dans ma voûte; vous passerez ce reçu à votre créancier et
        s’il se présente, je lui remettrai l’or; vous me devrez tant d’intérêt.»
            Le créancier ne se présenta pas généralement. Il passa lui-mê-
        me le reçu à un autre. Entre temps, la réputation du prêteur d’or
        se répandit. On vint à lui. Grâce à d’autres avances semblables par
        l’orfèvre, il y eut bientôt plusieurs fois autant de reçus en circulation
        que d’or réel dans les voûtes.
            L’orfèvre lui-même avait bel et bien créé de la circulation moné-
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