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Le plus grand voleur, celui qu’on n’arrête pas


                         par Louis Even
            Il y a bien des sortes de voleurs, parce qu’il y a
        bien des manières de voler. Les uns pratiquent la fri-
        ponnerie, ou le larcin, ou la maraude; d’autres, la frau-
        de, ou le détournement;  d’autres, la déprédation,  le
        pillage, le brigandage, ou la rapine, ou le cambriolage;
        d’autres, l’escroquerie, ou l’extorsion; et nous ne pré-
        tendons pas avoir épuisé la liste.
            Le voleur qu’on n’arrête pas, que nous dénonçons
        depuis longtemps, mais que les autorités respectent,
        excellent dans les deux derniers genres de vols men-
        tionnés: l’escroquerie et l’extorsion.
            Ces voleurs-là, nos lecteurs réguliers l’ont deviné,
        c’est le système financier actuel. Ses agents opèrent
        au grand jour; mais sa technique perfectionnée, long-  emprunteurs encore plus mal en point pour acquitter
        temps  mystérieuse  pour  les  profanes,  légalisée  par   leurs propres obligations.
        surplus, lui a permis, et lui permet encore, de voler, en   C’est ce qui fait que, globalement, la population
        gros et en détail, sans que ses victimes se rendent bien   du pays est endettée  pour de la richesse qu’elle-
        compte de l’identité du voleur. Elles se sentent bien   même, globalement, elle a produite. C’est le fruit de
        dépouillées, oui, mais le voleur est assez habile pour   l’escroquerie. Devoir payer, et plus que le prix, pour
        les tourner les unes contre les autres et les faire s’accu-  de la production qu’on a soi-même faite, serait im-
        ser mutuellement du mal que lui-même leur inflige.   pensable entre individus; mais c’est le cas entre la
                          L’escroquerie                      population du pays et les créateurs des chiffres qui
            Que neuf-dixièmes de l’argent mis en circulation   constituent l’argent moderne.
        prennent naissance dans des livres de banques, sous      Ceux qui ont le privilège exclusif de créer l’argent
        la plume du banquier; et que l’autre dixième, monnaie   qu’ils  mettent  en  circulation,  obligent  ceux  qui  n’ont
        de papier ou de métal,  n’entre  en circulation qu’en   pas le droit d’y ajouter un seul sou à rapporter quand
        passant d’abord par les banques,  ce n’est  resté un   même plus d’argent qu’il en a été ainsi mis en circula-
        secret que pour les ignorants volontaires. Que tout cet   tion; cette opération équivaut à endetter la population
        argent, à sa naissance, soit considéré par les banques   pour jusqu’à la fin du monde — à moins que l’on décide
        comme leur propriété qu’elles peuvent prêter à profit,   à mettre un terme à cette monumentale escroquerie.
        c’est difficile à nier. Mais y a-t-il bien des gens qui se              L’extorsion
        soient arrêtés à mesurer la portée de cette escroque-    Mais l’escroquerie se double d’une extorsion. Ex-
        rie? Car escroquerie il y a dans le contrat passé entre   torsion — que voulez-vous dire par là?
        le prêteur de cet argent nouveau et l’individu ou la cor-
        poration qui l’emprunte.                                 Vous savez sans doute que certaines organisations
            L’industriel qui emprunte apporte des garanties   de gangsters se font une spécialité de rançonner des
                                                             établissements industriels ou commerciaux; ils mena-
        — une richesse réelle qui est son propre bien. Le    cent les propriétaires de telle ou telle punition s’ils ne
        corps public qui emprunte  apporte  comme garantie   versent pas périodiquement à l’organisation telle som-
        son  pouvoir  et  sa  volonté  de  taxer  ses administrés,   me d’argent, ou tel pourcentage de leur profit.
        hypothéquant  donc  les  propriétés  de  tous  ses res-
        sortissants. Et le banquier,  lui, qu’apporte-t-il? Il fait   Mais c’est exactement ce que pratique notre sys-
        croire à l’emprunteur qu’il apporte l’argent de la ban-  tème financier. Il est impossible aujourd’hui de mobi-
        que, quand il n’apporte que des chiffres sortant de son   liser une capacité  de production quelconque  sans
        encrier,  dont  la  valeur,  d’ailleurs,  ne  repose pas sur   argent  pour payer les opérations avant  de pouvoir
        son encrier, mais sur le travail que produira l’emprun-  vendre le produit. Et toute expansion du système
        teur lui-même.                                       producteur nécessite une expansion du crédit par le
            L’emprunteur  apporte  le  fruit  de  son travail,  le   système  financier.  Or,  le  système  financier  impose
                                                             ses conditions; et si vous n’y consentez pas, il vous
        prêteur n’apporte qu’une écriture; et c’est le prêteur   condamne à la paralysie.
        qui se considère comme devant recevoir une récom-
        pense de l’emprunteur. Celui qui n’apporte rien se fera   Le système  financier,  comme l’extorsionnaire,
        rembourser,  outre  la  somme  toute  neuve  sortie  de   vous dit: Vous me rapporterez périodiquement  telle
        son encrier, un surplus, appelé intérêt, que l’emprun-  somme — signez — et si vous refusez de signer, je
        teur devra arracher de la circulation, mettant d’autres   vous lie les mains, car sans argent vous êtes immo-
                                                             bilisé.

        14     VERS DEMAIN  août-septembre 2019                                            www.versdemain.org
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