Page 28 - Vers Demain mars 2024
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u      Elle  éprouve  un  vif  désir  de  perfection.  Malgré   sentent; on la presse de se remarier pour renflouer
        le  dévouement  d’épouse  exemplaire  dont  elle  fait   ses finances. Cependant, après quelques moments
        preuve, elle ressent ce tiraillement évoqué par saint   d’hésitation, elle décide de suivre son attrait pour la
        Paul: Celui qui n’est pas marié a souci des choses du   solitude et fait vœu de chasteté. Elle se met à lire des
        Seigneur,  il cherche  à  plaire au Seigneur; celui  qui   livres spirituels, à converser intimement avec Dieu.
        est marié a souci des choses du monde, il cherche à   Soudain, le Seigneur fait irruption dans sa vie. Elle-
        plaire à sa femme, et il est partagé (1 Co 7, 32-33)  même raconte l’expérience mystique qui produisit ce
            Marie est animée d’un grand zèle pour faire régner   qu’elle appelle sa «conversion».
        la crainte et l’amour de Dieu dans sa maison et dans     Un matin qu’elle se rendait à ses occupations, une
        l’atelier, et «pour fermer, dit son historien, toutes les   force irrésistible fond sur elle et l’arrête au milieu de la
        issues par lesquelles le péché puisse y pénétrer». Par   rue. En un moment, les yeux de son esprit s’ouvrent
        sa charité et par la délicatesse de ses attentions per-  et toutes ses fautes et imperfections lui sont montrées
        sonnelles, elle sait gagner l’affection des employés.   avec une «clarté plus certaine que toute certitude». Au
        Elle insiste discrètement pour qu’ils se confessent   même moment, elle se voit plongée dans le Sang ré-
        souvent.  Comme  elle  possède  talent,  discrétion  et   dempteur du Fils de Dieu. Elle se confesse au premier
        facilité pour s’exprimer, ce                                                prêtre  qu’elle  trouve  dans
        qu’elle  dit  est  compris  et                                              la  chapelle  des  Feuillants  et
        reçu.                                                                       s’en retourne, si puissam-
            Tandis qu’elle agit, la Pa-                                             ment  changée  qu’elle ne  se
        role de Dieu reste présente                                                 reconnaît plus.
        à  son  esprit:  «Ayant  médité                                                 Marie aspire à une vie
        les Psaumes, il m’en venait à                                               de recluse, mais sa sœur
        tout moment des passages à                                                  Claude, mariée à Paul Buis-
        la mémoire, dont je me ser-                                                 son, marchand, l’invite en
        vais dans les rencontres…                                                   1621 à vivre chez elle. Elle
        Allant  donc  vaquer  à  mes                                                accepte cette offre pour as-
        affaires,  je  me  recomman-                                                surer sa subsistance et celle
        dais à Dieu par cette aspira-                                               de son fils, mais entend me-
        tion qui m’était ordinaire: En                                              ner  une vie  d’abnégation et
        Vous, Seigneur j’ai mis mon                                                 de service. Ainsi, au début,
        espérance; que jamais je ne                                                 elle se place dans une situa-
        sois confondue » (Ps 30, 2).                                                tion  de  «servante  des  servi-
            À  dix-neuf  ans,  en  avril                                            teurs», prenant à sa charge
        1619, Marie donne le jour à                                                 les tâches les plus ingrates et
        un fils, prénommé Claude                                                    fatigantes de la maison.
        comme son père; six mois                                                        Tour à tour cuisinière,
        plus tard, ce dernier meurt,                                                femme de chambre, garde-
        miné sans doute par la failli-   Portrait de Mère Marie de l’Incarnation,   malade, elle s’attable avec
        te  de  son  atelier  de  soierie.   attribué à Hugues Pommier, 1672        une  trentaine de  «rouliers»
        Veuve à vingt ans, Marie doit                                               (manœuvres) pour les empê-
        s’occuper de la liquidation des affaires de son mari.   cher de blasphémer, et les soigne comme une mère
        Il s’agit de terminer des procès, de satisfaire clients   quand ils sont souffrants. Cependant, cette même an-
        et  débiteurs, de  prévoir  l’avenir.  «Toutes  ces  croix,   née, les grâces mystiques la conduisent à une union
        dira-t-elle, étaient naturellement plus grandes qu’une   plus étroite avec le Christ. Déjà liée à Dieu par le vœu
        personne de mon âge et de mon sexe, de ma capacité   de chasteté, elle prononce aussi ceux de pauvreté et
        et de mon peu d’expérience, les eût pu porter. Mais   d’obéissance.
        l’excès de la bonté divine mirent dans mon esprit et     Cependant, ses talents d’administratrice sont re-
        dans mon cœur une force et un courage qui me firent   connus; en 1625, Paul Buisson lui confie la respon-
        tout supporter. Mon appui était fondé sur ces paroles   sabilité de son entreprise de transport fluvial. Voilà
        saintes: Je suis avec ceux qui sont dans la tribulation   Marie plongée dans un «tracas d’affaires», en conver-
        (cf. Ps 90, 15)… Ainsi, je venais à bout de tout ce que   sation avec un grand nombre de clients, sur les quais
        j’entreprenais.»                                     de la Loire. Cependant, elle expérimente «un paradis
                     Une force irrésistible                  intérieur» et reçoit des révélations ineffables concer-
            Marie se retire chez son père, et son désir d’entrer   nant le mystère de la sainte Trinité. Elle a vingt-sept
        dans un couvent revient, impérieux. Mais l’état pitoya-  ans et son fils Claude, huit. C’est un petit garçon frêle,
        ble de ses affaires et son fils au berceau la retiennent   timide, que sa mère prépare doucement à la sépara-
        dans le monde. De nombreux prétendants se pré-       tion définitive.


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