Il existe pour l'homme, pendant son séjour sur cette terre, trois ordres de vie qu'il importe de bien distinguer si l'on veut aborder intelligemment leur étude et éviter la confusion :
En premier lieu, vient la vie spirituelle — domaine des relations de l'âme humaine avec son Dieu, cause première et fin dernière de toute vie. Cet aspect de la vie est, pourrait-on dire, la vie elle-même, c'est la fin de l'homme. Les deux autres aspects de la vie, dont l'un est subordonné à l'autre, le sont tous les deux à la vie spirituelle.
Vient ensuite la vie sociale — domaine des relations des hommes entre eux. Dans cet aspect de la vie entre la famille ; y entrent aussi toutes les autres sociétés, poursuivant des biens communs divers, et la société civile elle-même, la municipalité, la province, la nation, l'ensemble des nations.
Vient enfin la vie économique — domaine de l'adaptation des biens terrestres aux besoins humains.
Quelle que soit la diversité des aspects que peut prendre la vie économique, elle n'existe qu'en fonction de la vie sociale et de la vie spirituelle. Elle ne sert les besoins temporels de l'homme que pour lui permettre, ces besoins urgents étant satisfaits, de s'élever et d'atteindre des fins bien supérieures à celle du boire et du manger.
Il reste donc que la fin réelle de l'économique est le service de la personne humaine. L'économique doit tendre à affranchir la personne humaine de la matière, à la libérer, autant que le permet le progrès humain, de la nécessité de consacrer du temps et des énergies au service de la simple vie animale. C'est ce que nous entendons par l'expression "mettre les machines et la science appliquée au service de l'homme." Il ne s'agit pas tant de procurer à l'homme une foule de choses dont il peut se passer, que de lui procurer des loisirs pour s'occuper de sa vie spirituelle. Ce qui fait toute la différence entre ceux qui voient la perfection de l'économique dans l'emploi de tous les bras valides et les créditistes qui voient la perfection de l'économique dans la plus grande libération possible de l'homme.
Aujourd'hui, l'économique est détraquée par le système financier. La satisfaction des besoins est réglée, non pas par la présence du bien, mais par la présence d'un argent lui-même réglé par l'action des créateurs et destructeurs de l'argent.
Puis l'argent étant la condition de la distribution, et l'emploi étant la condition de l'argent, il ne peut être question de libération de l'homme, mais de sa soumission aux aléas de l'emploi. Le progrès tendant à éliminer l'emploi, sauf en temps de guerre, on voit où conduit pareille réglementation.
Étudiez les principes de la religion ; puis regardez les conditions économiques modernes, et dites s'il est possible de pratiquer une vraie religion ? Non ! à moins que tous possèdent l'héroïsme qui garde les moines dans les couvents. Nous n'avons, pour nous en convaincre, qu'à lire la conférence de Mgr Desranleau (sur les misères de la masse) aux aumôniers de l'Action Catholique, et tous les écrits des Souverains Pontifes sur la question sociale et économique.
Étudiez les principes de la philosophie sociale, puis regardez de près l'économie actuelle et son maître l'argent ! Et dites si les principes de la philosophie sociale sont applicables ! Non, parce qu'il n'y a qu'un seul maître dans l'économique, le BANQUIER, qui, après avoir constitué les grands monopoles qui contrôlent l'emploi et les prix, domine la politique, désaxe la vie sociale, oriente tout en fonction de la fécondité de l'argent et de la consolidation de sa puissance.
Aussi croyons-nous que ceux qui cherchent des réformes sans opérer d'abord la réforme de l'argent, dans le sens créditiste du mot, sont aussi intéressants que ceux qui content des histoires à dormir debout.
Le Crédit Social, lui, en enlevant la puissance financière aux banquiers pour la mettre entre les mains du peuple, ne fait que placer entre les mains de celui qui est la fin même de l'économique le moyen de commander à l'économique et de faire les choses servir l'homme.
Les autres réformes, dont la réalisation fut empêchée jusqu'à ce jour par la puissance de l'argent, n'en seront rendues que plus faciles ; elles sont même entraînées presque automatiquement par les réalisations du Crédit Social. Quand donc les coopérateurs, les syndiqués, les prédicateurs de l'achat chez nous, etc., s'en apercevront-ils ?
Par ces considérations, nous avons voulu rappeler que la liberté, l'affranchissement de la personne humaine constitue la raison d'être du Crédit Social.
Mais, si le Crédit Social a l'homme pour fin, il est vrai aussi que des hommes sont le moyen, la cause efficiente et même instrumentale pour avoir le Crédit Social.
Si nous sommes dans le mouvement créditiste, si nous travaillons pour la cause créditiste, nous sommes les instruments par lesquels le Crédit Social sera donné au monde.
Sachons donc, soldats de la cause, mettre de côté toutes nos susceptibilités, nos petites manières de voir souvent intéressées même à notre insu, pour n'envisager que le succès de la cause, le salut des Canadiens français.
Nous servons dans un mouvement à idéal sublime, quoi qu'en disent les "ignorants", fussent-ils instruits. Nous entreprenons de redonner aux Canadiens français le patrimoine qui leur a été volé ; et, tout en refaisant la Nouvelle-France, nous entendons bien remettre l'économique dans les données du plan divin de la création : l'homme maître des choses, et non les choses maîtres de, l'homme.
Pour le triomphe de la noble cause que nous servons, sachons donc faire les sacrifices qu'exige la discipline du mouvement organisé. L'esprit de critique n'a pas sa place chez nous. Nous avons confiance en ceux qui dirigent le mouvement, non seulement parce que nous sommes sûrs de la pureté de leur objectif, mais parce que nous devons bien reconnaître qu'ils ont toujours marché de l'avant. Aussi nous fions-nous à eux pour juger de nos capacités respectives et confier à chacun la fonction qui lui convient le mieux.
Si, dans une paroisse, nous sommes désignés comme officiers, faisons notre possible comme officiers. Si, un jour, la direction constate que la cause gagnerait à passer la fonction à un autre, sachons céder notre place et rentrer dans les rangs en nous y dévouant avec encore plus d'ardeur. Ce ne sont pas les honneurs que nous cherchons, mais le Crédit Social.
Amédée DAIGLE