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Les misères de la masse

le samedi, 01 août 1942. Dans Catéchèses et enseignements

Ce ne sont pas les révolutionnaires de Vers De­main qui ont écrit ce qui suit. Nous l'extrayons d'une conférence prononcée par S. E. Mgr Phi­lippe Desranleau, évêque de Sherbrooke, aux Journées d'études sacerdotales de la J.O.C. le 10 février 194e. Nous croyons comprendre que l'évêque de Sherbrooke parlait à des prêtres, particulièrement aux aumôniers de la J.O.C. et de la L.O.C. :

"Il nous faut aller à la masse des ouvriers, par­ce que leur situation matérielle les expose à de plus grandes souffrances, souvent ils n'ont pas les ressources suffisantes pour se faire des conditions d'existence dignes d'un chrétien, et ils manquent aussi de cette tranquillité d'âme qui vient de la sécurité du lendemain." Ce n'était pas de rêverie ni d'utopie que parlait Léon XIII, quand il disait que cette classe souffre de misère imméritée. Le produit et le profit ne tiennent plus aucun compte de l'homme, de la personne humaine.

"Les misères physiques et morales de la masse des travailleurs viennent, la plupart du temps, de la dureté de leur milieu, des privations de leur vie quotidienne, de leur situation matérielle. Les ou­vriers n'ont pas, de façon générale, — j'admets les exceptions, ou, si vous aimez mieux, l'existence d'une aristocratie ouvrière, — le salaire suffisant pour s'organiser une existence d'homme et de chrétien, surtout si l'on tient compte de leurs nombreux enfants. S'ils peuvent se payer un logis capable de contenir honnêtement leur belle fa­mille, ou bien il leur coûte très cher, ou bien il est si éloigné de l'ouvrage, qu'il leur faut ajouter des sacrifices de temps et d'argent tels qu'on est forcé d'économiser sur le chauffage, sur les vêtements et même sur la nourriture. Si la maison ne coûte pas cher, vous savez bien quels en sont la gran­deur, le site et les conditions hygiéniques. Là où quatre personnes seraient à l'étroit, il faut cou­cher le père, la mère, et les six ou dix enfants !

"Des gens qui ont froid, parce que le bois coûte trop cher ; des gens qui grelottent parce qu'ils n'ont pas de sous-vêtements et sont vêtus en plein hiver comme au mois de juillet, j'en ai vu, et j'en ai vu beaucoup ! Et ce n'étaient pas des quêteux.

"Des familles où l'on ne mange pas à sa faim, jamais ; où la mère et les enfants doivent passer à tour de rôle un repas sans manger ; où l'on dit presque naturellement : Ce matin, ce n'est pas à mon tour de déjeûner. Il y en a beaucoup, beau­coup. On manque de pain dans la masse des tra­vailleurs, on est sous-alimenté, — dans la propor­tion de 35 pour cent, les examens militaires l'ont démontré, — parce que le salaire des ouvriers ne leur permet pas de donner une nourriture suffi­sante à toute leur famille, à leur nombreuse fa­mille, fruit de l'honnête observance des lois de la nature.

"Pendant ce temps-là, pour maintenir le prix du blé, et donc du pain, au bénéfice des hommes qui tripotent la finance et le gouvernement, l'État verse des millions aux cultivateurs de l'Ouest pour qu'ils réduisent leurs emblavures. On paie pour avoir moins de blé, et le peuple a faim, manque de pain. Le bon Dieu nous punira.

"Mes chers amis, quand on songe à ces souffran­ces du peuple, on regrette d'être gras, bien nourri, de rouler automobile. On donne tout son argent pour soulager quelques estomacs trop creux et pour couvrir des corps qui gèlent. La misère de­meure, malgré la charité privée ; le mal est dans les institutions publiques, contrôlées et viciées par la haute finance. C'est là qu'il nous faut ab­solument, légalement si possible, changer les cho­ses.

« ...... Tout ce qu'on reproche à la classe ouvriè­re, a sa cause ou son origine, en très grande partie, dans cette misère matérielle et dans cette inquié­tude morale.

"L'ouvrier ne reste pas chez lui, il court aux vues, il traîne dans les restaurants, dans les salles de jeu, dans les endroits où il y a du monde ; il ne vit pas avec sa famille. Mais vous avez vu d'où il sort, l'étendue du parquet de sa cuisine, le cu­bage de sa maison. Physiquement, la famille n'y peut pas demeurer ; il n'y a pas de place et parfois pas assez de chaises. On vient à bout de se tasser autour de la table pour manger, on n'y peut pas­ser la soirée, on s'y retrouvera tout à l'heure pour dormir comme on le pourra. Combien de temps y vivrions-nous, dans ces maisons, nous les criti­queurs ?

"On reproche aux ouvriers de ne pas être pré­voyants, de ne pas économiser, de dépenser leur argent en bagatelles, de boire des petites liqueurs et de sucer des bonbons ou des crèmes à la glace. Mais ils ont toujours faim, ils ne mangent guère à leur appétit, ils ne peuvent se payer un roast-beef, alors ils grugent des pistaches, lèchent des cônes et font accroire à leur estomac que ça suffit. Les mœurs du peuple deviennent païennes, parce que la société, pourrie par la tête, scanda­lise et égare les humbles. Trompé et sollicité par l'exemple des riches, le monde ouvrier perd le sens de la mesure, du ridicule, de la modestie, de la pu­deur, de la justice et de la religion, et, comme son salaire n'y peut suffire, le secondaire prend, là comme en haut, la place du principal.

« ...... C'est à faire pleurer quand on pense que ce sont des frères, des Canadiens, des catholiques, qui tombent ainsi dans le désordre et la misère. Le plus angoissant, c'est qu'il y a bien peu de per­sonnes dans les autres classes qui voient ces tris­tesses et qui en souffrent. Tout au contraire, chez nous en Canada, comme ce le fut dans d'autres pays, la corruption du peuple est l'œuvre de la tête, de la classe bourgeoise, des professionnels, des hommes qui ont eu l'avantage d'étudier, de s'instruire, de se rendre compte et de compren­dre".

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