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Pourquoi subir le non-sens financier?
par Louis Even Le non-sens financier, c'est la paralysie de la pro-
duction et de la distribution de richesse pour manque
L'universel problème d'argent de ces petites choses qu'on appelle piastres. Des pias-
Quel est le problème le plus général de la vie cou- tres, qui ne sont point des ordonnances du ciel; des
rante? Qu'il s'agisse des individus, des familles, des piastres qui ne sont point une affaire compliquée à
municipalités, des commissions scolaires, des fabri- produire, puisqu'elles sont venues du jour au lende-
ques paroissiales, de tous les corps publics comme main quand on a secoué le non-sens financier pour
des institutions privées, le casse-tête général, c'est le entrer hardiment dans la grande tuerie mondiale.
problème financier — trouver de l'argent. Une décision et une goutte d'encre
Problème d'argent. Problème ni naturel ni surnatu-
rel. Cultiver des légumes, élever des animaux, remplir Pour avoir de l'argent, ni le gouvernement cana-
les magasins de produits, transporter des hommes ou dien ni aucun autre gouvernement n'envoya les hom-
des choses, trouver des bras et du matériel pour bâtir mes dans les mines d'or. Les hommes, c'était pour
— voilà qui pourrait être des problèmes naturels. Or, l'armée et pour les munitions. Le gouvernement n'en-
ils sont tous vite réglés aujourd'hui. gagea même pas d'imprimeurs pour imprimer des dol-
Mais le problème d'argent, problème que ni le bon lars. C'est beaucoup plus simple que cela. Il demanda
Dieu ni la nature n'ont fait, problème artificiel fait de aux banquiers de lui faire de l'argent. En faire, mais
oui. Depuis longtemps, les gens n'en avaient pas, ils
main d'homme, tout le monde s'en plaint et on conti- ne pouvaient donc pas en épargner et en porter à la
nue de le subir comme on subit une sécheresse ou un banque. Les réserves des banques étaient passable-
ouragan. ment à plat. Et pourtant, il fallait des millions, il fallait
L'argent est pourtant facile à produire quand ceux des milliards. Pas d'autre solution que d'en faire.
qui en ont l'autorité le décident. On en a eu l'exemple Pour faire l'argent voulu, les banques n'eurent pas
en 1939. Depuis dix années, toutes les nations civili- à inventer une nouvelle méthode. Elles employèrent
sées étaient dans ce qu'on appelait la crise. Pas une simplement la même technique qu'elles emploient
crise de produits, ni de bras, on avait trop de tout cela. toutes les fois qu'elles prêtent de grosses sommes
Pas une crise de température ni de Providence: rien d'argent à des industriels ou à des corps publics. Dans
n'avait changé de ce côté-là. Mais une crise d'argent. ces occasions-là, elles font l'argent qu'elles prêtent;
Individus, compagnies, gouvernements, manquaient elles créditent l'emprunteur sans débiter personne.
d'argent. On chômait, faute d'argent pour payer le
travail. On n'achetait pas, faute d'argent pour acheter Vous savez tous ce que c'est qu'un compte de ban-
les produits. Pourtant, tous ces pays-là embarquaient que. Quand vous en avez un, vous pouvez payer sans
dans une guerre majeure, et une guerre moderne ma- sortir de l'argent de votre poche. Vous faites un chè-
jeure demande des milliards. que. Celui qui reçoit votre chèque peut le déposer à
sa propre banque. Qu'arrivera-t-il? Votre compte sera
Sitôt la guerre déclarée, le problème d'argent diminué, et le sien sera augmenté. Il n'y aura eu besoin
disparut. Dans tous les pays en guerre, on produisit ni d'or, ni d'argent blanc, ni de nickel, ni de dollars en
tout l'argent qu'il fallait pour conduire la guerre, au papier — rien qu'une addition dans un compte et une
fur et à mesure qu'on en avait besoin, tant qu'on avait soustraction dans un autre compte, et c'est aussi bon.
des hommes et du matériel pour faire la guerre. Le C'est avec cela que marchent les grosses affaires. C'est
«pas d'argent», qu'on entendait tous les jours avant avec cela qu'on a financé la guerre.
la guerre, ne fut pas prononcé une seule fois pendant
la guerre. Mais, direz-vous, pour avoir un compte de ban-
Comment donc le monde passa-t-il ainsi, subite- que, il faut épargner et déposer. C'est une méthode.
Mais il y en a une autre, celle des emprunts.
ment, de la crise d'argent à l'abondance d'argent pour
la guerre? Comment? Mais en fabriquant l'argent qui Supposons que je sois un gros industriel. Je
manquait. Au Canada, dès la déclaration de guerre par veux agrandir mon usine. Il me faudrait tout de suite
un gouvernement à coffres vides, ce gouvernement se 100 000 $. Je vais à la banque. Je m'arrange avec le
fit faire 80 millions de dollars, opération qui ne prit pas gérant pour un emprunt de 100 000 $. Il me demande
cinq minutes. D'autres millions suivirent, et l'on eut des des garanties, évidemment. Mais je n'apporte pas un
milliards, tous les milliards voulus pour changer les sou à la banque. Le gérant me signe un papier. Je vais
chômeurs en soldats ou en fabricants de munitions, au caissier. Je dépose ce papier. Le caissier ouvre son
d'avions, de vaisseaux et autre attirail de guerre. Aux livre, à mon compte, et il inscrit à mon crédit 100 000
Etats-Unis, après l’attaque de Pearl Harbour en 1941, dollars. Je sors de la banque avec un compte de
le président Roosevelt déclara qu'il ne permettrait pas 100 000 $, sur lequel je pourrai tirer des chèques (ou
au non-sens financier d'empêcher la nation de mettre faire des paiements sous forme argent électronique
tous ses hommes valides et tous ses moyens de pro- provenant aussi de mon compte) au fur et à mesure
duction au service de la guerre. que j'aurai des paiements à faire.
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