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Un financier nous écrit

le samedi, 15 juin 1940. Dans Autres

Cher monsieur,

Je viens de tomber sur un de vos numéros de Vers Demain. Vraiment j'en ai été renversé ! Je vous avouerai bien franchement que j'étais parfaitement hostile au Crédit Social et que j'avais ramassé votre journal "qui traînait" pour le réfuter et en faire paraître la réfutation indiscutée sur les journaux. Malheureux que je fus ! Je tombai en bas de mon cheval frappé par une lumière aveuglante que je ne pus éviter. Je me relevai alors et toute la fougue que j'avais préparée contre votre doctrine se tourna subitement en sa faveur ; et l'article que je devais composer aura certainement un but contraire.

Ceux qui combattent le Crédit Social le font pour deux causes en autant que j'en puis juger par moi-même : parce qu'ils ne le connaissent que par la propagande des journaux (jusqu'ici je n'ai pas vu grand'chose d'écrit en sa faveur sur les journaux quotidiens) ; et ensuite parce que le Crédit Social semblait s'opposer à la condition de ceux qui possèdent, comme c'était le cas pour moi-même.

J'ai perdu de l'argent en 1929, j'en possède encore et m'étais déjà demandé si une autre crise économique ne se produirait pas. J'avais attribué cet effondrement à la surproduction, effondrement fatal, et comme la surproduction vient de périodes en périodes je me suis demandé quand la nouvelle crise arriverait et si elle nous prendrait par surprise comme la dernière. Cette pensée ne m'avait pas préoccupé outre mesure, étant donné que je me tenais toujours sur mes gardes pour les valeurs que j'ai placées. Mais vous affirmez et prouvez que les crises sont le jeu de quelques financiers qui sont d'autant plus sûrs de leur coup qu'ils frappent avec des moyens nouveaux et insoupçonnés. Alors à quoi sert notre prudence si nous ne pouvons pas prévoir les crises financières ; dans quels placements, dans quelles spéculations serons-nous frappés ? Puisque certains financiers ont perdu jusqu'à quelques millions en 1929, le seul fait de posséder un peu d'argent ne nous protège pas.

J'ai repassé ces réflexions dans ma tête et les comparant avec un article où vous démontriez que le Crédit Social ne s'oppose pas à la possession des richesses, je me crois vraiment plus en sûreté avec votre doctrine qui fait disparaître du coup les crises économiques.

Je tiens à ne pas révéler mon identité pour raisons de tact et de nécessité, étant donné que je suis moi-même un capitaliste. Et je souhaite que beaucoup de mes confrères viennent à se convertir par le travail individuel et les insinuations que je me propose d'entreprendre.

Merci,

                            Signé  : Un financier canadien-français

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