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Taudis et famille

le mercredi, 15 mai 1940. Dans Autres

Le régime des loyers, généralisé, fait qu’on n’est jamais parfaitement chez soi, on vit chez les autres.

Et quand ce logis, par ailleurs, n’a rien d’agréable, qu’on y vit dans la malpropreté, dans la fumée et la poussière, dans le laid, avec la vermine, dans le froid ou la chaleur, insupportables, sans soleil, sans intimité ou dans une promiscuité trop grande, sans ce minimum de bien-être dont parle encore Léon XIII, il est impossible aux enfants aussi bien qu’aux parents de s’attacher à la maison. La maison répugnante, on la fuit. On n’aime pas s’y retrouver ensemble, on ne s’y sent pas chez soi.

Les enfants vivent dans les rues, les ruelles ; les gangs s’y forment ; et la cour des jeunes délinquants entend quelques-uns des échos de leurs activités.

Une des causes du vagabondage, de la désertion du foyer pour l’aventure, c’est encore le taudis. Il n’en coûte pas de partir quand on n’a pas de chez-soi et que ce qui en tient lieu n’a rien qui attire.

Vagabondage des plus jeunes auquel répond le vagabondage beaucoup plus grave des plus vieux, des parents eux-mêmes. On part. On se fréquente dehors. On va oublier le semblant de maison au cinéma, au restaurant, à la salle de danse, à la taverne, partout où la lumière, un semblant de propreté, de bien-être attire.

Ou bien il arrive qu’à la maison même ! on ne veut plus voir, on veut oublier. Et l’on cherche dans l’ivresse quelques heures d’évasion.

La jeune fille est prête souvent à accepter toutes les propositions, toutes les courses en auto, à les solliciter pour sortir d’un chez-soi qui n’en est pas un.

Tout ce que j’écris ici, je l’ai vu, quoique pourtant je n’aie jamais fait d’étude spéciale du problème.

Je n’oublierai jamais cette nuit où, après avoir reçu le dernier soupir d’un jeune homme, j’ai dû consoler sa sœur qui était arrivée juste après la mort. Pourquoi n’était-elle pas restée pour l’agonie ?

Elle était sortie, sortie. Elle s’était évadée de la maison trop petite, trop peu accueillante, malgré toute la bonne volonté de la mère.

Le taudis, c’est là aussi où l’on meurt. À l’hôpital des infectieux, j’ai regardé la carte de la ville de Montréal toute pointillée d’épingles rouges, bleues, jaunes. Il y en a autant qu’il y a de cas. Et certains quartiers sont couverts de ces épingles tragiques. Ce sont les quartiers pauvres, les quartiers des taudis.

Un taudis c’est comme une morgue.

On n’aime pas y rester.

On n’aime pas y rester et quand on y reste, la nuit, souvent ce sont les âmes elles-mêmes qui meurent, qui s’y infectent à cause de la promiscuité. On ne peut pas ne pas y voir des choses qui doivent rester cachées, on ne peut pas ne pas y être exposé à des tentations de la chair qui naissent du rapprochement nécessaire des corps.

Inutile d’insister. Tous savent assez toutes les conséquences contre nature de ce logis contre nature.

Ce qu’on voit moins, ce sont les révoltes intérieures, les mécontentements qui grondent sourdement contre un ordre social qui ne sait pas plus donner un toit aux familles, qu’il ne sait faire parvenir à ceux qui ont faim le blé que l’on détruit.

L’Église, quand Montréal a grandi au début du siècle, a su multiplier les paroisses, créer au moins les cadres d’une vie religieuse, qui, avec le temps, pourra s’y développer. C’était son affaire, son domaine.

Et l’Église reste encore la maison où beaucoup de pauvres aiment aller pour y oublier leurs taudis.

Mais les pouvoirs civils ont-ils fait dans leur domaine ce qu’on était en droit d’attendre d’eux ?

Rév. P. Maurice-H. BEAULIEU, s.j. dans "L’Ordre Nouveau".

Que veut-on que fassent les pouvoirs civils dont le Trésor est toujours à sec ? Comme les particuliers, ils ne peuvent avoir d’argent que celui qui naît à l’état de dette impayable. Ce sont des pouvoirs sans "pouvoir".

Libérez la source de l’argent. Donnez aux familles les dividendes nationaux auxquels elles ont droit, d’après la population des foyers : vous n’aurez plus besoin des pouvoirs civils pour rendre les logis humains.

N. D. L. R.

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