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Baptiste découvre son héritage

le vendredi, 01 novembre 1940. Dans Autres

Nous avons vu, dans un article précédent, qu'il y avait trois façons de rendre l'argent au peuple.

Faire fabriquer l'argent par les banques, qui le prêtent au peuple. Le système actuel. Prêter 100 dollars, puis, après trente ans, en demander 300.

Faire fabriquer l'argent par le gouvernement, puis, après, le faire gagner au peuple (Père Lamarche).

Faire fabriquer l'argent par le gouvernement, puis, après, le donner au peuple.

Ç'a-t-il du bon sens, ça, donner l'argent au peuple ?

S'il s'agissait d'un héritage, tout le monde comprendrait que ç'a bien du bon sens qu'on donne l'argent au peuple. Voyons, un héritage, ça se prête pas, ça se gagne pas, mais ça se donne.

Mais, ici, s'agit-il d'un héritage ? Voyons, Baptiste, prends ta tête dans tes deux mains et penses-y comme il faut. Y a-t-il un héritage, dans cette histoire-là ?

Baptiste médite

J'suis là, moé, Baptiste, dans l'Canada de mes pères. Ce sont mes pères qui ont découvert c'Canada-là. Y était tout en bois quand les premiers sont arrivés. Ça valait pas grand'chose, c'bois-là. Pour faire quéques cabanes, ça n'en prend pas effrayant. Mes pères ont sacré la hache dans ça, pi y en ont abattu tant qu'y ont pu.

Fallait ben faire de la terre pour nourrir la marmaille qui emplirait les cabanes bétôt.

Ouais, y ont travaillé en torvisse nos pères depuis trois cents ans. Ben sûr que les premiers se reconnaîtraient pas, si y r'venaient tout d'un coup. Tout s't'abatti qu'y a de faite, à c't'heure. Pi, des chemins partout. Pensez donc, eux-autres, qui faisaient brûler d'la belle épinette pi du beau pin. Voir qu'aujourd'hui, ça s'vend si cher. Y pensaient pas que c'était une richesse, dans c'temps-là.

Les chutes que y'a à c't'heure, y étaient, étou, dans ce temps-là. Mais qui's qui aurait pensé que c'était une grande richesse pour les petits enfants d'aujourd'hui ?

Les mines, ben sûr que ça leur a pas coûté à nos pères de nous laisser ça. Ça valait pas grand'chose, dans le temps.

Bonguienne qu'y a raison notre député quand y dit que le Canada est un pays riche. Comment que ça se fait, batêche, que les Canayens sont si pauvres ? Voir que nos pères nous ont laissé tant de choses. C'est-y qu'on est bête, ou qu'on a pas travaillé ? Pourtant, j'ai toujours entendu dire que les Canayens étaient des diables à l'ouvrage. Il paraît que les "capitalisses" les trouvent de leur goût dans les manufactures.

Y'a pas à dire, on a travaillé depuis trois cents ans. On voé ben, aussi, que y'a de l'ouvrage de faite.

Les banques ont tout râflé

Y'a un gars qui me disait, l'autre jour, que tout c't'ouvrage-là qu'on a faite, nous autres, les Canayens, c'était pas à nous autres. Y disait qu'on la devait toute aux banques. C'est un "créditisse" qui me disait ça. Y disait que le pays devait aux banques 8 milliards ( $8,000,000,000).

Y disait, encore : Mais que l'pays arrête de s'endetter et qu'il commence à payer aux banques l'ouvrage que les Canayens ont faite depuis trois cents ans, en supposant qu'y remette un million par année, ça prendrait 8,000 ans à payer. Cré torvisse, si c'est vrai, ça, j'aime autant sacrer mon camp à la guerre tout de suite.

Comment que ça se fait, à c't'heure, que l'dé-puté nous a pas dit ça ? C'est un bon homme, pourtant, il est ben rouge.

Moé qui pensait que nos pères nous avaient laissé c't'a terre-là pour travailler t'sus et l'agrandir, pour être prospères plus tard. Y'me disaient souvent qu'on avait hérité le Canada de nos pères. J'voé ben, à c't'heure, que ce sont les banques qui sont "hériquières".

J'demandais au créditisse qui me contait ça : Qui's'qui a ben pu changer c'testament-là ? C'était marqué d'sus qu'on étaient les hériquiers, et on doit tout aux banques !

— C'est le gouvernement fédéral, qu'y me dit, qui a tout donné aux banques.

— Comment's qu'y a fait ça ?

— Ben, y a passé une loi qui donne aux banques le droit de faire l'argent qui manque dans le pays. Quand on était pas beaucoup, au Canada, y'avait moins de monde pour travailler. Ça faisait moins de produits. Pi, dans ce temps-là, c'était pas d'avance pour faire des produits, on faisait tout à la main. Y'avait quasiment pas de machines.

Pi, avec le temps les Canayens ont eu ben des p'tits. Ça fesait plus de monde à l'ouvrage, donc, ben plus d'produits. Pi, quand y'a plus d'monde, pi plus d'produits, ça prend plus d'argent. Y vient un temps qu'y en manque. C'est pour ça qu'y faut en faire d'la nouvelle pour la mettre par dessus la vieille.

Donc, depuis que le gouvernement a donné aux banques le pouvoir de faire l'argent qui manque, les banques sont ben contentes. Y font l'argent, pi après, c't'argent-là est à eux-autres.

Pauvres dans un pays riche

Les Canayens, eux-autres, y font des p'tits, pour faire plus d'ouvrage. Pi, quand l'ouvrage est faite, c'est pas à eux-autres. C'est ben facile à comprendre. Y peuvent pas travailler si y ont pas d'argent pour les mettre à l'ouvrage. Les banques yeux en prêtent. Pi, comme c't'argent-lâ est à eux-autres, aux banques, ben, y ont toute. Et les Canayens ont rien.

Ouais, ben, j'comprends, à c't'heure, pourquoi que les Canayens sont si pauvres dans un pays si riche. C'est l'testament qui est croche. Pi c'est l'gouvarnement fédéral qui l'a crochi quand y a donné aux banques le pouvoir de faire de l'argent. Y peuvent ben être contentes, les bougresses.

Ça va arrêter, c't'affaire-là. Y a assez longtemps que ça dure. Mais que l'député vienne nous voir, dans quatre ans, on va lui montrer si c'est le banquier qui est hériquier de nos pères ; si c'est lui qui a fait tout c't'abatti-là, pi ces chemins-là ou ben si c'est nous autres, les Canayens.

D'abord, on va y faire arranger l'testament comme qu'y devrait être. C'est-à-dire, en faveur de tous les Canàyens. Pas rien que pour une "gang". Pour ça, y a rien qu'à changer c't'a maudite loi-là qui donne aux banques le pouvoir de faire l'argent qui manque dans le pays. À l'avenir, c'est l'gouvarnement qui va faire c't'argent-là. On est ben mieux d'engager un bon homme, qui sait compter comme il faut, pour faire l'argent. On va le payer cher pour pas qu'y aye envie d'nous voler. Mais, l'argent qu'y va fabriquer, ça sera pas à lui, ça sera au pays.

Et pi, si l'banquier s'la donnait à lui c't'argent-là, dans l'temps qu'il la faisait à la place du gouvarnement, j'voé pas pourquoi's que les Canayens s'l'a donneraient pas aussi à eux-mêmes, à c't'heure que c't'eux-autres qui la font.

C't'argent-là qu'on fait parce qu'y en manque, elle est à tout le monde. Parsonne l'a gagné. On a travaillé, c'est ben vrai, mais on a été payé pour notre travail. C'est de l'argent qui doit nous r'venir par-dessus nos gages. Autrement, ça sert ben à rien nous appeler des hériquiers.

Ouais, ben j'voé ben, à c't'heure, que faire gagner l'argent nouveau au peuple ; pour le rendre au peuple, c'est pas correct pantoute... Faut donner direc'aux hériquiers c'qui leur appartient.

Eugène FORTIN, médecin

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