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La centralisation en progrès

Louis Even le mercredi, 15 novembre 1939. Dans Politique

La centralisation existe-t-elle ? Où la constate-t-on ? D’où part-elle ? Comment la combattre ?

Y a-t-il réellement tendance à la centralisa­tion ? Sans hésiter, OUI ; mais cette tendance part de beaucoup plus loin, elle est conçue sur un plan beaucoup plus vaste qu’on pense géné­ralement.

Les dénonciations contre les mesures centrali­satrices d’Ottawa n’ont pas manqué au cours de la campagne électorale provinciale. MM. Du­plessis, Gouin et leurs suivants n’ont pas ména­gé leur désapprobation. Le groupe de M. Godbout, sous l’aile tutélaire des grands chefs d’Ot­tawa, s’est naturellement abstenu de telles cri­tiques.

L’Honorable Duplessis se servait largement du mot "assimilation". Il disait à Sherbrooke le 11 octobre :

"L’assimilation, c’est la taxe sur nos res­sources naturelles ; c’est la banque du Canada ; c’est la banque de régie des prêts hypothécai­res ; c’est la prime sur le blé."

Le même jour, l’honorable Anatole Carignan à Lachine, puis Paul Gouin à Longueuil, faisaient des déclarations analogues. Paul Gouin ajoutait que seule l’institution d’une banque provinciale nous soustrairait à cette domination. Encore eût-il fallu définir quoi entendre par une banque provinciale. S’il s’agit simplement d’une onzième banque à charte fédérale, opérant nécessaire­ment au pas des dix autres, ce n’est pas la pei­ne d’en parler. Ce n’est pas tant la propriété de la banque que le contrôle de son objectif qui im­porte. La propriété complète de la Banque Cen­trale du Canada par le gouvernement fédéral canadien n’a pas empêché celui-ci de s’endetter tout comme lorsqu’elle était propriété privée — et le Canadien n’a pas un sou de plus dans sa poche.

Il reste qu’on se plaint à bon droit de la cen­tralisation, et cette centralisation, si l’on y re­garde de près, s’exerce toujours au moyen de l’argent, elle n’est pas le fruit de l’éducation ! On donne comme raison la poursuite d’une plus grande efficacité ; mais tout ce qu’on en retire, c’est une diminution de liberté, une emprise de la dictature, sans la moindre amélioration du ni­veau de vie des individus et des familles, seul critère pourtant qui permette de passer jugement sur la valeur des mesures adoptées.

D’OÙ PART LA CENTRALISATION ?

Si la centralisation se manifeste à Ottawa, le mot d’ordre émane de plus loin et les puissan­ces centralisatrices opèrent sur un palier mon­dial.

Il ne s’agit rien moins que des puissances d’ar­gent internationales dont les divers gouverne­ments dits souverains, gros et petits, ne sont que les féaux serviteurs. Et lorsqu’une adminis­tration non souveraine, plus près du peuple, tel un gouvernement provincial, cherche à se déme­notter dans l’intérêt du peuple, le gouvernement central se hâte d’intervenir. M. Duplessis n’est pas le premier à l’avoir expérimenté ; son con­frère le premier-ministre d’Alberta en a bien d’autres à racon­ter.

Certains croient à l’authenticité des Protocoles des Sages de Sion, d’autres n’y croient pas. Mais nul ne peut douter de l’orientation uni­verselle vers une hégémonie financière qui pla­cera le monde entier sous la main d’une petite clique. Qu’une caste juive fasse sienne cette phi­losophie, c’est possible, mais nos gouvernants et nos financiers chrétiens semblent parfaitement s’en accommoder.

Le 20 avril dernier, l’Association Consultative des Contribuables Unis (d’Angleterre) publiait une étude documentée sur les sombres perspec­tives qu’ouvrirait à l’Europe le déclenchement d’une nouvelle guerre. Ce serait la ruine et la destruction des quatre grandes puissances : An­gleterre, France, Allemagne et Italie ; la domi­nation mondiale des États-Unis ; et, sur les rui­nes de l’Europe, la domination de la Russie, vas­sale politique et économique des États-Unis. (Admettons que les événements actuels semblent bien faire de la Russie, non belligérante, le gros gagnant de la guerre com­men­cée il y a quelques semaines).

D’après l’Association, les États-Unis d’Améri­que et la république des Soviets ont le même maître réel. Le président Roosevelt n’est pas le conducteur des forces en arrière de lui. Les vrais maîtres de l’Amérique, ce sont les gros banquiers de New-York, dont le groupe dominant est la maison Kuhn, Lœb & Cie. Il y a un quart de siècle, le président Woodrow Wilson n’était que le protégé de cette maison, et c’est elle en­core qui conseille le président Roosevelt par l’in­termédiaire de Bernard Baruch et de Félix Frankfurter, tous les deux associés étroitement à Kuhn Lœb et aviseurs quotidiens du prési­dent.

Or c’est justement cette même maison, Kuhn, Lœb & Cie, qui finança la révolution russe d’où est sorti le règne du bolchévisme. Elle encore qui, par la suite, obtint le monopole complet des contrats d’industrialisation de la Russie.

Il serait intéressant, incidemment, de savoir qui finança l’accession d’Hitler, comme aussi celle de Mussolini. L’enrôlement, l’entraînement et l’équipement de troupes de choc, de chemises noires ou brunes, par un simple citoyen, sont des réalisations qui réclament autre chose que de l’enthousiasme et des prières.

Mais passons. Et parlons un peu d’une grande institution centralisante, d’autant plus dan­gereuse qu’elle est entre les mains d’experts. Il convient de savoir où est l’ennemi, après quoi l’on verra s’il faut le combattre seulement par des discours de campagne électorale.

LA BANQUE DE BÂLE

Pour la documentation suivante, nous sommes redevables à un récent ouvrage d’A. St-Martin, Frankenstein ou Consommateurs. L’auteur y fait l’historique, pas à pas, de cette banque des ban­ques centrales, ou plutôt de ce Board de vingt-trois membres qui forme le "cerveau pensant et agissant de la caste bancaire". Soulignons seu­lement ici son caractère centralisateur.

Née le 15 juin 1929 comme simple sous-com­mission pour effectuer les transferts nécessaires aux paiements des réparations allemandes d’a­près le plan Young, l’institution dite des Règle­ments Internationaux a évolué rapidement. Elle avait eu soin d’ajouter dans son projet de cons­titution une petite fonction à ses attributions premières :

"Le but et les pouvoirs de cette sous-commission seraient de promouvoir la coopéra­tion entre banques centrales."

Et dès le 13 décembre 1930, son président, McGarrah, disait à l’Académie des Sciences Po­litiques de New-York :

"Les virements de fonds des réparations sont déjà considérés comme une affaire de routine et d’importance secondaire, et les fonds pour fins de réparations ne représen­tent plus que le cinquième du total de son actif. Ce qui signifie que la Banque des Règlements Internationaux est déjà engagée dans les fonc­tions plus amples de régulariser et stabiliser le mouvement international des fonds, tel qu’envi­sagé par ses fondateurs."

Ce n’est plus la petite sous-commission du dé­but.

Enfin, le 28 février 1931, McGarrah expliquait le caractère international de la Banque, transi­geant en 22 devises, et 32 banques prenant part à ses opérations, à quoi il ajoutait :

"Quoique dans l’opinion publique les activités de la banque en rapport avec le paiement des dettes allemandes soient considérées comme ses principales opérations... le fait est que cette par­tie de ses fonctions est devenue la moindre par­tie de son travail. Toute la pensée et toute l’é­nergie de la banque convergent vers d’autres ho­rizons financiers. C’est une erreur de penser que cette institution en est une pour manipuler les soi-disant dettes entre alliés."

C’est donc en toute connaissance de cause, avec la poursuite tenace d’un objectif entrevu dès le commencement, que le Board des 23 s’est constitué le pulsateur, le cœur financier de l’u­nivers.

1931 : l’année même où le grand Pape Pie XI écrivait son immortelle encyclique dénonçant la concentration du contrôle de l’argent et du crédit entre quelques mains !

On nous prône les corporations, corporations professionnelles et de métiers, etc. Avouons que la fraternité des banquiers compose une vérita­ble corporation : les actionnaires des banques liés à leurs banques respectives, celles-ci à la banque centrale de leur pays, les banques cen­trales soumises au Board de Bâle, dont elles ac­ceptent et suivent les directives. La corporation rédige sa propre charte, ses propres règlements et les États les sanctionnent.

Et l’esprit de corps règne dans la corporation : les membres sont solidaires, professent et sou­tiennent une même doctrine monétaire, le Board pratiquant la direction spirituelle à cette fin. Le Board recommande aux banques

"d’échanger les renseignements, de s’abstenir de tout acte qui pourrait aggraver les ennuis d’une banque voi­sine ; que chaque banque fasse rapport, pour le bénéfice des autres, sur le développement des événements dans son propre pays".

Le Board agit en silence, dans l’intérêt des Banques Cen­trales,

"refusant de publier les détails géogra­phiques de la distribution des fonds, pour ne pas divulguer l’existence des faiblesses auxquelles la Banque remédie."

La corporation des banques existe pour le bien des banquiers, les résultats le démontrent, mais les résultats ne démontrent pas moins qu’elle se fiche des intérêts des autres corporations et non-corporations dans lesquelles végète l’humanité.

DÉCENTRALISATION

Il est bon de dénoncer cette force centralisa­trice ; c’est même un préambule nécessaire pour s’as­su­rer la collaboration dans toute mesure des­tinée à la contrecarrer.

Jusqu’ici, on constate trop que les dénoncia­tions sont surtout le fait d’individus dont la voix ne porte pas très loin. S’il fait bon entendre un homme du commun exposer et condamner le monstre bancaire qui asservit les nations, com­bien plus de poids aurait la voix d’un maire de grande ville, d’un chef provincial, dans l’exercice même de ses fonctions !

Les revendications entendues au cours de la campagne électorale provinciale sont trop res­tées dans un vague qui n’a pas beaucoup dérangé les puissances d’argent. On accusait Ottawa, et on avait raison, car c’est Ottawa qui légifère en matière bancaire et monétaire ; mais on aurait dû aller plus loin et signaler, au lieu de la su­prématie que s’arroge Ottawa vis-à-vis des pro­vinces, la basse servitude dans laquelle croupit Ottawa vis-à-vis des contrôleurs de l’argent et du crédit.

L’honorable M. Duplessis approchait du point sensible lorsqu’il reprochait à Ottawa de n’avoir pas d’argent pour employer les chômeurs alors qu’on en trouvait soudain pour financer la guer­re.

Mais il faut faire plus que stigmatiser. Il faut se dégager de la force centralisatrice si l’on veut mettre fin à la centralisation. Se dégager du système bancaire tel qu’établi. Si l’on n’a pas juridiction pour le changer, édifier dans la pro­vince un système provincial, sans sortir des li­mites tracées par la constitution, pour faire con­currence au monstre ; et inviter, par l’éducation, la population à cesser de transiger avec le mons­tre pour transiger avec un organisme établi pour le peuple.

C’est ce qui se fait en Alberta, et avec succès.

Louis Even

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