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Autour de l’achat chez nous

le mardi, 15 octobre 1940. Dans Autres

L'achat chez nous. Mais va-t-on nous faire accroire qu'il va suffire de crier sur tous les toits et sur tous les tons; d'inscrire sur des rubans qu'on épingle aux murs ; d'écrire des articles indéchiffrables et incompréhensibles pour 90% de la masse ; va-t-on nous faire accroire que tout ce tintamare va provoquer une ruée sur nos maisons canadiennes-françaises ?

Prêcher l'achat chez nous à nos masses ouvrières et agricoles ! Allez donc prêcher l'achat chez nous à la mère de famille d'ouvrier, quand avec son budget de misère elle a peine à entretenir une lueur de vie à sa dizaine de marmots déguénillés et puant le taudis dix pieds à la ronde. Allez donc prêcher l'achat chez nous au cultivateur qui en est rendu à vendre le bien paternel à des immigrés juifs, quitte à servir ses nouveaux maîtres moyennant un salaire de paria.

Achat chez nous. Mais s'imagine-t-on, en certains milieux, que du fait que l'histoire du Canadien-Français du Québec est toute parsemée de traits héroïques, l'on puisse exiger de la génération actuelle, la plus bafouée et la plus piétinée de toutes, de l'héroïsme à jet continu et 365 jours par année. L'héroïsme est l'affaire d'un jour, pas de toute une vie. Serions-nous par hasard, parce qu'un peuple de martyrs, devenu un peuple de saints ? La première patrie à laquelle tout homme se doit, c'est celle qui gémit entre les quatre murs de sa maison. Et c'est à cette extrémité-là que notre peuple est acculé. Heureux encore quand cette petite patrie est la sienne. Plus souvent, hélas ! elle est hypothéquée ou même n'est que louée.

Et l'on voudrait que la lutte économique parte de là contre la puissance de la finance internationale ! Allons, les Canadiens-Français, ne serait-il pas temps que nous mettions fin à cette série ininterrompue de fausses conceptions ? L'opération n'est-elle pas urgente à pratiquer à l'endroit que l'on sait, avant qu'on nous convie tous à dresser une fois pour toutes un monument à notre ineptie ?

Au risque de provoquer le scandale du jour et de voir se dresser contre un hystérique les maîtres ès science et économique de l'heure, j'ai cette audace de proposer à tous ceux qui ressentent quelque fatigue de nos éternels recommencements tout simplement l'étude de cette nouvelle doctrine qui fait pâmer de rage les financiers, pouffer de rire les orgueilleux et se mourir de mépris les ignorants prétentieux, la doctrine du Crédit Social.

Eh oui, c'est bien ça, le Crédit Social, je ne me trompe pas. Vous êtes ébahis ? Revenez-en, ne sommes-nous pas ahuris, meurtris, roulés, bousculés, écrabouillés et handicappés par le régime monétaire actuel ?

Eh quoi, vous voulez le relèvement économique des nôtres ? Le relèvement économique des nôtres, nous l'aurons lorsque le Crédit Social aura procuré à tous et à chacun la sécurité économique. Utopie, la sécurité économique de tous et chacun des membres de la société ? Messieurs, chapeau bas ! Le plus grand utopiste du siècle, c'est Sa Sainteté le Pape Pie XI. N'est-ce pas lui qui proclame, dans Quadragesimo Anno, que « l'organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin, alors seulement qu'il procurera à TOUS et à CHACUN de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'orientation vraiment sociale de la vie économique ont le moyen de leur procurer."

Le deuxième utopiste du siècle, c'est Jacques Maritain qui prétend, dans toute son ignorance de thomiste arriéré, que, dans une société où ce n'est pas la queue qui remue le chien, en vertu de la loi de l'usus communis, les individus ont droit de s'attendre au nécessaire à la vie, même quand ils n'ont pas participé directement à la production.

De grâce, qu'on nous fiche donc la paix avec toutes les histoires de lois économiques du siècle passé. L'économique n'est pas, que l'on sache, une science statique. Que nos vieilles barbiches et ceux qui s'obstinent à sentir le moisi à quarante ans cessent donc de bourrer le crâne de nos gens avec leurs théories désuètes. Pardieu, nous ne sommes plus au siècle des ânes et des mulets. Pourquoi vouloir adapter les faits d'aujourd'hui aux théories des vieux banquiers jaunes des siècles passés ? Des facteurs nouveaux sont venus compliquer le mécanisme ; on s'obstine à n'en pas tenir compte. On voudrait le progrès et le progrès nous jette dans la confusion. Le progrès nous a valu l'abondance, et l'on s'en meurt.

On détruit l'abondance sous prétexte de ramener la prospérité. On se bat pour passer nos produits aux quatre frontières, et des gens par milliers n'ont même plus la force de maudire leur misère. Le pays s'endette de plus en plus parce que l'abondance nous étouffe. Les financiers conseillent aux gouvernements d'éviter les extravagances, puis ils prétendent que, si les affaires ne marchent pas, c'est que la confiance manque.

Et le peuple est là, dans l'attente que la lumière nous viendra de la finance, des contrôleurs du crédit. Si le peuple canadien est jamais canonisé, ce sera à cause de sa patience.

Dr Eugène FORTIN M. D.

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