EnglishEspañolPolskie

Nos positions doctrinales

Théophile Bertrand le dimanche, 15 mars 1942. Dans Philosophie

Est-ce que nous promouvons, au Québec, une doctrine créditiste différente de celle qu'on ensei­gne ailleurs  ? Le Crédit Social se présenterait-il sous différents états allotropiques  ?

Système et Plans

Il est bon de distinguer, en premier lieu, entre une doctrine prise en soi, considérée en elle-même, et son application à tel ou tel milieu. C'est là la distinction fondamentale entre l'essence et l'indi­vidu, entre une doctrine et son individuation. Une même technique monétaire, tout en ayant le même objectif et en suivant les mêmes lignes générales, doit, dans ses modalités d'application, s'assouplir aux contingences des divers milieux.

On peut présenter un système et des plans pour appliquer ce système. Un plan étant une tentative d'individuation d'une doctrine, les plans varient nécessairement.

Douglas, le père du Crédit Social, a formulé les principes fondamentaux du système créditiste  ; mais il a aussi à l'occasion offert des plans sujets à modification sur essais  ; ainsi un plan de réforme monétaire pour l'Écosse et un autre pour régler so­cialement le problème des mines anglaises. Ces plans ne doivent pas être confondus avec le Crédit Social comme tel  : ils ne sont pas de l'essence du système.

Cette distinction entre système et plans, entre principes et applications, est d'autant plus néces­saire que nous parlons d'une réforme, — monétai­re sans doute, — mais qui doit s'intégrer dans le social et dont les répercussioris sont d'ordre social.

Cadres Complets

Un catholique, convaincu de la justesse des prin­cipes monétaires du Crédit Social, ne peut pas ne pas souhaiter voir intégrée dans un cadre doctrinal complet la vérité monétaire que le créditisme ap­porte.

Certes la vérité propre d'une théorie, même d'or­dre moral, ne dépend pas formellement de la reli­gion du théoricien. On a bien vu l'Église adapter à la mentalité catholique les principes du scoutis­me de Baden-Powell. Et il est arrivé qu'un païen, Aristote, a élaboré l'ensemble des principes de la vraie philosophie  ; puis saint Thomas a baptisé et complété l'aristotélisme, à la lumière et sous l'in­flux du catholicisme. Apport objectif et confor­tations subjectives.

Ce sont-là des exemples que les créditistes du Québec ne perdent pas de vue. Ils se seraient éton­nés davantage de voir naître le Crédit Social dans une tête protestante, s'ils n'avaient connu la dis­tinction classique entre l'appartenance au corps et l'appartenance à l'âme d'une institution.

Le Sens de la Vie

Pour ma part, en face du Crédit Social, j'ai rai­sonné de la façon suivante  : "Nous, catholiques, nous ne sommes pauvres que de l'étendue de nos carences. En effet, nous sommes les seuls à détenir une doctrine philosophique et sociale, la philoso­phie et pas un système, qui peut assumer tout le vrai, tout ce qui communie au vrai, dans la trans­cendance des principes éternels, dans la sérénité de cadres de pensée intégraux. Prendrons-nous en face de toute vérité sociale nouvelle, réaliste et dy­namique, une attitude négative, peureuse, chagri­ne, au risque d'être toujours devancés dans les ré­alisations pratiques par des étrangers à notre foi  ? Redonnerons-nous au monde, de nouveau païen, le spectacle d'une chrétienté qui, comme celle de l'Europe, laisserait le champ ouvert aux élucubrations de n'importe quels aventuriers de la pensée et du social, simplement parce que nous dormirions sur nos principes  ? Simplement parce que nous n'aurions pas eu le réalisme et le cran d'incarner nos principes dans une doctrine concrète, vivante, adéquate aux besoins immenses qui montent, au lieu de nous contenter de la contemplation béate et insuffisante de ces mêmes principes  ?

"Ne vaut-il pas mieux nous réveiller, descendre en pleine vie, après mûre réflexion sans doute et bardés de nos principes, mais ouverts aussi à tou­tes les exigences sociales du monde moderne, à tou­tes les vérités qui vont à la dérive et que nous som­mes les seuls à pouvoir rescaper et vivre pour le véritable bien commun  ?"

Telles étaient mes réflexions. Je songeais aux pa­roles cinglantes du chanoine Pfliegler  : "La fai­blesse et l'irrésolution de l'Europe chrétienne en face de la détresse humaine est déconcertante."

"Il s'agit de savoir si à la solution purement hu­maine de la détresse sociale tentée par le bolché­visme russe, nous pouvons opposer une solution meilleure à base d'humanité chrétienne."

En un mot, selon le mot de Daniel-Rops, le com­munisme demeure le "dilemme des chrétiens."

Crédit Social

Et je rencontrai le Crédit Social. J'y adhérai non pas tant à cause de sa technique d'abord, qu'à cause de son esprit et de ses idées-forces. Je ne suis venu à la technique qu'ensuite. Enfin je nous voyais en possession d'un système avec lequel nous pourrions lutter avec avantage contre le commu­nisme, non seulement sur le plan des idéologies, mais bien sur "le plancher des vaches". Une doc­trine qui, en outre, pouvait répondre à tout ce qu'il y avait en nous d'exigences personnalistes, univer­salistes, sociales, spirituelles, bref à tout ce vieux fond gréco-latin aéré et affiné encore par le com­merce avec la vraie philosophie.

Me mettrais-je tout de go à l'école de Douglas  ? Je pris, sans emballement, ce qui me parut vrai dans ses théories, conforme au réel, tout en me met­tant en garde contre ce que j'appelle les tendances dissolvantes de la pensée moderne. Ce qui n'enlève rien au mérite et au génie de Douglas.

Modernisme

Nous touchons à un point névralgique. Nous sommes en présence d'un complexe d'erreurs con­nexes et interdépendantes, que je qualifie du terme générique de modernisme. Le protestantisme a créé l'atmosphère idéale à l'éclosion et au rayonnement de l'esprit moderne.

Sur le terrain social, comme sur les autres plans, cet esprit présente toujours les mêmes caractéristi­ques  : empirisme, pragmatisme, libéralisme, démo­cratisme, matérialisme larvé, naturalisme, foi en un Progrès indéfini et fatal. (On trouvera une dé­finition de ces termes en page 6).

La multitude des systèmes sociaux, des ordres nouveaux qui jonchent en vrac le champ de la pen­sée contemporaine, en particulier dans les milieux protestants, (châtiment spéculatif du péché contre l'unité chrétienne), porte la marque de ces tares initiales.

Direction religieuse

Dans ces perspectives, il est facile de compren­dre qu'un vrai catholique, formé à nos disciplines humanistes, adhère, non seulement par obéissan­ce comme il le doit d'abord, non seulement par in­clination de cœur, mais en suivant la pente natu­relle de son esprit, aux directives de ses autorités religieuses. À moins d'être de ces catholiques d'un type spécial et déliquescent, qu'on a classés sous l'étiquette du "libéralisme catholique."

Pie X condamne, dans l'Encyclique Pascendi, comme une grave erreur, l'opinion que "tout ca­tholique, parce qu'il est en même temps citoyen, a le droit et le devoir, sans se préoccuper de l'au­torité de l'Église, sans tenir compte de ses désirs, de ses conseils, de ses commandements, au mépris - même de ses réprimandes, de poursuivre le bien public en la manière qu'il estime la meilleure."

Cette intervention de l'Église pour objet la défense de ses droits inaliénables, l'Église alors garde même l'initiative de l'acte public du catholi­que. A-t-elle pour objet d'éclairer la conscience des citoyens, de leur signaler des dangers, des écueils, de leur rappeler les grands principes sociaux, le catholique doit un respect efficace, non seulement platonique, aux conseils de l'autorité, il les prend comme règle de conduite, tout en gardant l'initiative des actes à poser sur le plan particulier où il trime.

Créditiste du Québec

Les chefs du Crédit Social chez nous se soumet­tent spontanément à ces principes. Les avertisse­ments venus d'en haut ne sont pas vains et nous indiquent des dangers contre lesquels il nous faut nous prémunir.

Ainsi l'inauguration de nos "Cours d'Humanis­me Social" vise à donner spécialement à nos Vol­tigeurs un cadre de doctrine sociale aussi complet que possible. Complément nécessaire à leur forma­tion active. L'esprit dont nous nous efforçons d'im­prégner ces cours est à l'opposé de celui que décè­lent les tendances modernistes soulignées plus haut.

Précisions

Ajoutons, pour plus de précision, les remarques suivantes  :

1o. — Attentifs aux avertissements de nos chefs spirituels, nous veillons à décanter la doctrine cré­ditiste de toutes erreurs adventives qui, dans cer­tains milieux, auraient pu la parasiter par acci­dent. C'est tellement la mode, aujourd'hui où mê­me "les vertus sont devenues folles", de faire "chanter"'des vérités partielles.

Dans cet esprit  :

2o. — Nous intégrons (ceux qui suivent nos cours en sont témoins) nos principes de réforme monétaire dans un cadre de doctrine sociale com­plet.

3o. — Nous insistons sur la nécessité de toutes les réformes qui s'imposent  : corporations, législa­tion sociale, etc., et surtout formation d'hommes véritables, i. e. révolution dans les esprits et dans les cœurs pour obtenir l'évolution nécessaire dans les institutions. "Les hommes gagnent toujours à posséder des institutions meilleures qu'ils ne sont", mais en fin de compte la réforme des institutions dépend de la réforme primordiale de certains hom­mes.

4o. — Nous croyons tout de même avoir le droit de souligner l'importance capitale de la ré­forme monétaire, mais tout en appuyant fortement (on aimerait tant à nous prêter de ces idées) sur ce qu'il y aurait d'illusoire et d'enfantin à croire que la seule réforme monétaire, de soi, formelle­ment, règle toute la question sociale.

5o. — Nous sommes pour le Crédit Social, parce que nous croyons (certitude de science et non de foi) que le Crédit Social est le seul moyen de sau­ver ce qu'il y a de sain dans le capitalisme et de vivre une juste conception de la propriété privée.

6o. — Comme conséquence, ceux qui lisent sé­rieusement Vers Demain savent qu'il ne s'agit pas du tout par Crédit Social d'égale répartition de la richesse, de centralisation de la monnaie aux mains de l'État (ce qui serait du socialisme monétaire), ni de participation égalitaire aux bien­faits de la science et du progrès, ni d'actionnariat d'État.

7o. — Étant surtout en garde contre la tendance centralisatrice, collectiviste et socialiste, si géné­ralement manifeste aujourd'hui dans les pays où l'on a cru trouver la liberté en s'affranchissant du magistère de Rome, nous gardons jalousement l'au­tonomie de notre mouvement créditiste dans le Québec, même au risque de froisser des groupes amis. D'ailleurs, nous constatons que le major Douglas et tous les principaux auteurs créditistes combattent résolument la tendance centralisatrice et favorisent les autonomies régionales. Par sa technique monétaire, le Crédit Social ne tarit-il pas une des sources principales de toute centralisa­tion  ?

Résumons

En un mot, disons que nous sommes créditistes parce que, pour nous, le sang monétaire né d'une application des grands principes créditistes est nécessaire à l'organisme social formellement cons­titué de corporations, comme un sang est nécessai­re au corps humain monté d'organes. Nous som­mes créditistes, parce qu'il nous paraît que l'essen­ce du Crédit Social est à base de philosophie per­sonnaliste et communautaire, non pas individua­liste. et collectiviste.


Quelques définitions

EMPIRISME : absence de principes premiers qui fait qu'on va à l'aventure. Résultats : le socio­logisme à la place de la sociologie ; ex. la plupart des réformateurs du parlement fédéral ; — l'oppor­tunisme à la place d'une doctrine ; ex. les politiciens dans tous les domaines.

PRAGMATISME : seule préoccupation des résultats ; l'efficiency ; la pratique tronquée ; le réalis­me myope et non spiritualiste.

LIBÉRALISME : la liberté n'est plus un moyen, mâis une fin en soi ; pas de liberté des cons­ciences, mais liberté de conscience.

DEMOCRATISME : le peuple souverain dans le sens qu'il serait même la source de l'autorité. La vérité serait la demi-somme des opinions plus un. La démocratie serait notre parlementarisme tel qu'il fonctionne, "cul par-dessus tête."

MATÉRIALISME LARVE : tout guérir par des techniques seulement. Primauté du social.

NATURALISME : l'homme peut se sauver so­cialement par l'appel à ses seules énergies.

FOI EN UN PROGRÈS INDÉFINI ET FA­TAL : dans un sens absolue, i. e. foi en une mar­che ascendante de l'histoire qui, de fait, par le seul progrès scientifique et technique, libérerait tou­jours davantage l'homme.

Toutes ces erreurs sont intimement liées et, en leur esprit profond, postulent la négation du péché originel et par suite le refus de l'Incarnation et de la Rédemption.

Il convient d'ajouter que beaucoup de catholi­ques, par déficience, combattent ces erreurs de fa­çon inadéquate, par les contraires plutôt que par les contradictoires, en tombant dans une erreur opposée.

Théophile Bertrand

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.

Panier

Dernière parution

Infolettre & Magazine

Sujets

Faire un don

Faire un don

Aller au haut
JSN Boot template designed by JoomlaShine.com