Un ordre social vraiment humain et chrétien suppose non seulement des personnes humaines sociables, attirées par un bien commun sous la conduite d'une loi promulguée par une autorité compétente, mais encore des institutions sociales destinées à faire aboutir "cet intense mouvement de vie sociale qui s'épanouit en une riche et harmonieuse floraison de groupements les plus divers." (Pie XI)
1. La personne humaine est naturellement portée à créer les associations nécessaires à la satisfaction de tous ses besoins corporels et spirituels.
a) L'homme a besoin des biens matériels qu'il tire de la nature par son travail ; des biens corporels aussi, tels que la santé et le bien-être ; des biens de l'esprit enfin, qu'il s'assure par une culture appropriée. Or, ces différents biens, supérieurs aux énergies natives dont il dispose personnellement, deviennent autant de "biens communs" à réaliser avec le concours des autres.
b) De là "cette tendance chez les hommes à se grouper d'une manière plus intime en vue de défendre et de promouvoir leurs différents biens communs généraux et particuliers." (Code Social, 1934, No. 168).
2- La personne humaine, dès lors, en plus des grandes sociétés dans lesquelles la nature la fait entrer, a besoin, pour vivre et bien vivre, d'une foule d'associations privées ou de "groupements d'un rang inférieur" à celui de l'État.
a) Nous connaissons déjà ces grandes sociétés naturelles : la famille, la cité, la communauté des nations organisées en états, et, sur le plan surnaturel, l'Église.
b) Or, au sein de la société civile ou de la cité, considérée pour le moment comme le type de la société parfaite, "des sociétés subordonnées" émergent, selon le vœu de la nature, qui poursuivent des fins particulières : scientifique, artistique, professionnelle ou charitable, d'ailleurs ordonnées au bien commun général.
c) Ces nouvelles sociétés sont nécessaires parce que les biens poursuivis par elles sont requis pour l'épanouissement intégral de la personne humaine et ne peuvent être obtenus que par la coopération. Ce sont autant de "biens communs".
d) Elles constituent, par ailleurs, des sociétés distinctes de la famille, de l'État, de la communauté des nations et de l'Église, parce que les fins qu'elles poursuivent ne s'identifient pas avec celles de ces grandes sociétés : ce sont des biens communs particuliers seulement.
3. Cependant, pour que les personnes humaines y trouvent leur plein épanouissement, il importe que ces associations privées ou ces sociétés intermédiaires se considèrent et soient reconnues comme autant d'institutions sociales.
a) Ces sociétés distinctes de l'État ne constituent pas autant d'États dans l'État. "Les groupements ainsi formés s'organisent sur des bases légitimes quand ils se comportent comme une partie de l'organisation plus générale de la cité et quand ils tendent à l'union avec les autres classes. Leurs fins particulières ne sont pas, en effet, au rang suprême dans la hiérarchie naturelle des fins sociales." (Code Social, No 169).
b) Par ailleurs, l'État a tout intérêt à les reconnaître, à les encourager, à leur laisser le plus d'autonomie possible pour qu'elles assurent ces biens communs particuliers nécessaires.
Qu'il "abandonne aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l'excès son effort ; il pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement, les fonctions qui n'appartiennent qu'à lui parce que lui seul peut les remplir " (Pie XI)
c) De plus, lorsque l'État a non seulement accepté leur but et leurs statuts particuliers, reconnu les moyens d'action dont ils peuvent librement disposer, mais encore donné une consécration définitive à leurs activités en leur assurant une portée juridique et officielle, ces "institutions privées, douées à la fois de stabilité et de souplesse, sont devenues de véritables "institutions sociales". Dès ce moment, elles peuvent remplir parfaitement leur rôle propre au sein de l'État.
d) Il importe de remarquer que ces institutions sociales sont nécessaires aussi sur le plan de la vie internationale : tel, par exemple, le Bureau International du Travail ; et dans l'Église, pour l'épanouissement de la vie surnaturelle : les congrégations religieuses et cette institution nouvelle qu'on nomme l'action catholique.
4. Les institutions sociales ainsi créées deviennent une pièce essentielle de tout véritable ordre social chrétien.
a) Sans elles, la liberté créatrice et l'initiative personnelle se trouvent enchaînées dans un champ de l'activité humaine.
b) Elles incarnent un droit qu'il serait injuste de nier ou très dommageable de ne pas exercer.
c) Elles assurent la hiérarchie des divers groupements humains et permettent à chaque groupement supérieur de remplir, sans écart excessif ni heurt violent, vis-à-vis des groupements inférieurs, ce que Pie XI appelle "la fonction supplétive de toute collectivité".
Père Thomas-Marie LANDRY