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Autour du drame monétaire - Digression ?

Théophile Bertrand le vendredi, 01 décembre 1939. Dans Autour du drame monétaire

III. DIGRESSION ?

Dans notre dernier article, nous avons dit quel est pour nous le problème social actuel, le problème tout court : la misère au sein de l'a­bondance.

Notre énoncé a pu sembler énigmatique, voire simpliste, même empirique, aux grands écono­mistes officiels et à certains sociologues, qui se grisent quotidiennement, dans la tiédeur de leur chambre, de la splendeur inaccessible de leurs thèses sans fissures.

Aujourd'hui, nous ouvrons une digression qui n'en est pas une en réalité, à nos yeux, car nous nous attaquerons à l'un de ces demi-jugements, à l'une de ces interprétations partielles et par­tiales de volatiles et aériennes compétences, "bien à l'abri derrière le bouclier de leur intel­lectualité" ; — jugements avortés et interpré­tations bâtardes, qui bloquent toute tentative efficace de réforme véritable, bref qui embour­bent notre Problème dans le maquis d'une Pen­sée sociale chrétienne tronquée et trahie, in­consciemment et bien naïvement la plupart du temps. Corruptio optimi pessima, répéterons-nous.

Distinguer

Et qu'on nous entende bien ! Nous n'avons pas l'inconscience et l'ingénuité de vouloir faire la leçon à l'Église enseignante. Nous savons que, en général, les catholiques sont toujours au moins cinquante ans en retard sur leur Chef et sur leurs chefs. Nous distinguons entre la Doctrine Sociale de l'Église, splendidement cou­ronnée par les grandes encycliques universelle­ment connues, et la piètre conduite des catho­liques, leur inconséquence et leur peu d'empres­sement à travailler à la concrétion de cette doc­trine.

Nous songeons à l'attitude chloroformante de certains apôtres sociaux, qui semblent croire qu'une action sociale n'est chrétienne qu'en au­tant qu'elle possède l'art byzantin de noyer les hardiesses verbales dans l'inefficience fla­grante de formules obstinément et définitive­ment abstraites ; l'art de louvoyer avec subtili­té entre les appels de la misère qui monte et la "bienfaisance" d'un "ordre" de choses dont ils vivent.

On joue à la bascule, avec élan et sincérité, entre l'enfer des gueux et le ciel des bourgeois, dans la caresse alternée ou symétrique de la chèvre et du chou. Acrobatie épuisante que celle de ces pauvres encaqués du moralisme formel, qui excorient avec prudence les problèmes trop compromettants, et radoubent un monde nau­fragé, à grands renforts de salive, de résolu­tions, d'écrits poussifs et de sociétés acadé­miques.

Oh ! les chamarrures et les passementeries du pharisaïsme social !

Pas de méprise

Ajoutons encore, pour éviter toute méprise, au grand dam des vrais coupables, le plus souvent par omission, qui cherchent toujours un bouc émissaire à sacrifier à leurs lâchetés et à leur  orthodoxie, que les  lignes précédentes ne camouflent aucun soupçon d'anticléricalisme. Nous ne visons pas des grou­pes, mais nous par­lons à des personnes. Et il est telle chose que nous avons appelée "la démission du laïcat". Pour nous en tenir au Québec, qu'on se rappelle les magistrales conférences de messieurs l'abbé Groulx, Esdras Minville et Victor Barbeau, sur la démission de notre bourgeoisie et, en plaçant ces conférences dans la perspective d'un catho­licisme intégral, donc pensé et repensé, vécu et social, l'on démêlera plus sûrement le fil des responsabilités.

D'ailleurs, il n'appartient pas, que nous sa­chions, au clergé, comme tel, d'élaborer la tech­nique d'un ordre économique et d'un système financier acceptable à la raison. En outre, il faut se garder de la manie, par trop facile et trop répandue, de damner globalement tel grou­pe ou d'encenser sans mesure tel autre. La vie est plus "vivante", plus fine et plus nuancée. Il faut s'élever vraiment au plan des person­nes, sur lequel plan il apparaît à l'évidence qu'on doit juger chacun à ses actions, et non par rapport à sa classe sociale. La valeur so­ciale d'un homme est, en effet, fonction de sa personnalité, de sa sincérité, de son dynamisme au service d'un idéal. Il se rencontre des pleu­tres dans tous les cadres, comme il se trouve, dans tous les milieux, des VALEURS pour s'élever au-dessus de la médiocrité de leur en­tou­ra­ge.

Et si l'on peut porter des jugements d'ensem­ble sur les différents groupes sociaux, pour faire de la philosophie sociale, il reste qu'un jugement définitif, relatif assurément, et existentiel, et efficace, est fonction de la personne.

Nous voici au seuil de l'analyse d'un de ces jugements avortés, auquel le naturalisme chré­tien, le pharisaïsme social et un reliquat de jan­sénisme ont réduit le plus dense des aphorismes du Christ : "Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît".

Le naturalisme chrétien

Commençons par le naturalisme chrétien, dans lequel nous nous empêtrons depuis au-delà de trois siècles.

"D'abord le Royaume de Dieu..." Tous nos catholiques du jour, entêtés bourgeois, font jus­tement le contraire. Ils cherchent du travail, une bonne position, le succès, quand ce n'est pas la jouissance et le plaisir. Ils espèrent le Royau­me des cieux par surcroît. Encrassement géné­ral et tenace !

Les pires sont les humanistes ratés de nos officines à diplômes. (Qu'on ne voie pas dans cette chi­que­naude la condamnation particulière de nos institutions d'enseignement. Elles ont au moins l'a­van­ta­ge de bénéficier du ferment de la Vérité catholique et elles enseignent les ru­diments d'une méthaphysique, grâce aux ma­nuels ad mentem sancti Thomae.) Tentez d'entamer, de manière ou d'autre, la cuirasse de leur aveuglement et de leurs préjugés ; ils vous jetteront à la face ce sarcasme décisif : "Vos théories sont belles, mais peu pratiques". Et voilà ! Vous êtes un idéaliste, un pour­fen­deur de chimères. Eux, ils sont les réalisateurs aver­tis, dont le sens du concret permet à votre cer­veau mité d'échafauder les naïves constructions de vos rêves vains.

Vous voyez la méprise. Ils confondent pratique et pragmatisme. Le pratique est, en effet, un de ces termes oblitérés par l'usage, profanés, violés, frère d'infortune des mots  : mystique, dé­mocratie, idée et de combien d'autres.

Et que de confusions nichent dans cette er­reur initiale, dont l'une est celle du bien indivi­dualiste (sic) avec le bien personnel.

C'est simpliste et pitoyable.

Pour les naturalistes chrétiens, i.e. pour nous tous à peu près, "cherchez d'abord le Royaume", c'est une formule toujours de mise dans la bou­che de ceux qui "tirent profit des mérites des saints, et nourrissent de la gloire des crucifiés les lieux communs de leur éloquence "et la pros­périté de leurs entreprises". (Humanisme Inté­gral). C'est la messe du dimanche, des commu­nions assez fréquentes, ne pas blasphémer, ne pas tuer, ne pas commettre d'adultère, etc... ; en un mot, c'est un en-cas, une police d'assuran­ce qu'on prend sur l'autre vie. On ne perd rien et l'on peut tout gagner.

On ne sert pas Dieu, on s'en sert. "Il faut de la mesure en tout et prendre garde de venir fou avec la religion", cette phrase résume le na­turalisme chrétien.

(À suivre)

Théophile BERTRAND   

Théophile Bertrand

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