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Quelques souvenirs de ma mère

Gilberte Côté-Mercier le vendredi, 01 mars 2002. Dans Hommage aux Apôtres décédés

Madame Rosario Côté, décédée à la Maison Saint-Michel

Ma Mère était avec nous pour la fondation. Elle nous a toujours aidés, Louis Even et moi.

Louis Even a fondé son œuvre en 1935. II travaillait alors à Garden Vale, Ste-Anne de Bellevue, près de Montréal. En 1936, Louis Even fit paraître les premiers "Cahiers du Crédit Social". En décembre, 1936, le Crédit Social me fut présenté par madame Berthe Louard, une Belge établie à Montréal. J'habitais Montréal, 1657 bvd St-Joseph est, avec ma mère et mon frère Rosaire. Mon père était décédé en 1932 à l'âge de 51 ans.

Première rencontre

Le 28 février 1937, ma mère et moi nous assistions pour la première fois à une conférence donnée par Louis Even à la grande salle paroissiale d'Hochelaga, où il y avait plus de mille personnes. Le Révérend Père Archange, Franciscain, était aussi au programme comme orateur. Après la conférence, avec maman j'allai saluer monsieur Even, et nous l'avons demandé pour venir dans notre maison expliquer le Crédit Social à nos amis. Les 17 et 24 mars suivants, Louis Even donnait des conférences à 75 personnes chaque fois dans le grand salon de ma mère, 1657 bvd St-Joseph Est. Nous n'avions pas invité les mêmes gens les deux fois. Ce qui veut dire que 150 personnes de nos amis entendirent Louis Even en mars 1937. II y avait des pères Jésuites, des Franciscains, amis de ma mère, et des avocats et médecins de notre cercle.

Louis Even est donc venu dans la maison de ma mère pour la première fois en l'année 1937. II y aura exactement 40 ans en mars cette année. Ce fut un grand honneur pour nous. À partir de ce moment, notre maison devint son refuge à Montréal, sa famille habitant Vaudreuil puis St-Hyacinthe.

Une automobile

En juillet 1938, ma mère et moi nous allions à Chicoutimi rencontrer un jeune homme qui était prêt à donner tout son temps à l'apostolat. Pour faciliter son travail, ma mère acheta une automobile toute neuve. Puis, toutes deux, ma mère et moi, nous quittions la région laissant le jeune homme à son enthousiasme. Mais, l'expérience ne fut pas heureuse, et Louis Even prit la place du jeune homme. Le 15 août 1938, Louis Even quitta son emploi à Garden City Press, où il était typographe, contremaître et professeur. Louis Even, à 53 ans, se dédia à plein-temps pour la cause du Crédit Social, prêt à se lancer sur la route 365 jours par année, sans aucune sécurité financière.

La grande crise économique sévissait depuis 1929. Ceux qui avaient un salaire se gardaient bien d'abandonner leur travail. Mais Louis Even fit cette folie, n'ayant absolument rien devant lui pour lui permettre d'assurer la subsistance de sa femme et ses 4 enfants. Il vendait des cartes de membres pour la Ligue du Crédit Social, à $ 1.00 par année. Mais il n'en vendait pas gros. Ma mère lui fit des chèques pour les premiers mois. : Le bureau pour les "Cahiers" prit l'adresse de 1657 bvd St-Joseph est, Montréal, dans la maison de ma mère.

Gardienne

Le 2 janvier 1939, je me lançai à mon tour à plein-temps pour la propagande du Crédit Social. C'était ma mère qui gardait le bureau, répondait au téléphone, etc. Elle restait seule à la maison, mon frère s'étant marié le 2 juillet 1938. Et mon frère, de son côté, quittait sa femme pour nous conduire Louis Even et moi dans les campagnes autour de Montréal, durant l'hiver de 1939.

Au mois d'août 1939, maman avait loué une maison de campagne à l'Annonciation, comté Labelle, où nous nous réfugions auprès d'elle les soirs, après avoir tenu des assemblées dans les rangs des paroisses avoisinantes. Ma mère couchait par terre.

Louis Even faisait sa correspondance le jour. Moi, je préparais deux assemblées pour chaque soir. M. Even en tenait une, et moi l'autre.

Un soir, nous avions eu notre assemblée à Labelle, sur le perron d'une maison. On nous avait lancé des pierres, et on avait désoufflé les pneus de notre automobile. Ce n'était pas très prospère, comme vous voyez. Le lendemain, alors que je courais les rangs, ma mère gardait la maison. Elle reçoit la visite d'un homme de Labelle qui voulait nous voir. Il lui dit qu'il regrettait bien que de telles persécutions nous aient été faites la veille, et que lui-même avait confiance que le Crédit Social était une bonne chose. Cet homme n'a jamais su combien il fut le délégué de la Providence, ce jour-là, pour consoler ma mère, qui avait beaucoup à souffrir de tous les crachats lancés à la face de sa famille. Car il ne faut pas croire que d'avoir entrepris de lutter contre la dictature bancaire mondiale, comme le faisait Louis Even, il ne faut pas croire que cette audace était bénie par tous ! Elle ne l'était même pas par ceux qui auraient dû comprendre cet apostolat pour la justice sociale.

C'est ma mère qui recevait tous les coups. C'est à elle qu'on venait dire que sa fille était une folle, une coureuse de chemins, etc, etc. Elle me défendait comme elle pouvait, et elle pleurait en cachette. Mais elle avait confiance en l'oeuvre de Louis Even, malgré tout ce que pouvaient en dire ses amis d'autrefois, même ceux pour qui elle avait été une grande bienfaitrice.

Vers Demain apparaît

Nous étions là dans cette maison louée, à l'Annonciation, quand nous apprîmes la déclaration de guerre en août 1939. Les gens disaient : Vous ne pourrez plus aller aux maisons, ni tenir des assemblées. La censure de guerre va vous arrêter ! Mais Louis Even réagit promptement et dit : "Eh bien ! nous allons fonder un journal régulier pour continuer le combat, un journal qui remplacera les Cahiers du Crédit Social."

Nous sommes donc retournés dans la maison du bvd St-Joseph à Montréal, où se fonda Vers Demain.

En 1941, nous suivions ma mère dans une autre maison située à 4885 Chabot, Montréal. C'est jusqu'en 1963, pendant 25 ans que ma mère logea gratuitement les bureaux du journal Vers Demain. Bureaux et personnel. Et elle payait les factures de téléphone, électricité, et bien d'autres.

Nous en avions grandement besoin. Sans ma mère, nous n'aurions pu subsister financièrement. Dans nos bureaux, maman faisait le ménage, lavant les planchers, faisant la cuisine pour sa fille, pour Louis Even, pour son gendre Gérard Mercier, et pour les Plein-Temps qui passaient. Toutes les fins-de-semaine, elle répondait à la porte et au téléphone. Elles recevait les mauvaises nouvelles comme les bonnes. Elle était toujours inquiète quand nous partions. Par la fenêtre, elle nous regardait aller et revenir. Elle nous attendait toujours. Elle avait peur que les adversaires nous fassent du mal. Et elle priait, priait, priait, de sorte que saint Michel nous a conservés malgré les épreuves.

La police

Deux fois que ma mère était seule gardienne, elle reçut la visite de la Gendarmerie Royale, qui a perquisitionné dans tous les coins et recoins de sa maison. La première fois, c'était bvd St-Joseph. Nous étions soupçonnés d'être des communistes. Dans ce temps-là, en 1939, il n'y avait que les créditistes à être traités de communistes au Québec. Aujourd'hui, tout le monde sait qu'il n'y a que les créditistes qui ne sont pas communistes. Comme vous voyez, travailler pendant 40 ans peut toujours donner un certain résultat !

Louis Even, mon frère et moi, nous rentrons un soir d'une grande tournée.

Et toute la maison de ma mère était sens dessus dessous. Ma mère nous raconta calmement ce qui s'était passé. Les policiers avaient cherché partout dans les garde-robes et les tiroirs pour trouver des communistes. Et ils n'en avaient point trouvé.

La deuxième fois, nous étions soupçonnés de fabriquer de l'argent. Vu que nous savions très bien comment les banques fabriquent l'argent, nous les créditistes, il devait être facile pour nous d'en fabriquer. Les adversaires du Crédit Social ont donc fait porter des soupçons de "faussaires" contre nous ! Comme quoi, on peut être accusés de tout quand on se fait les témoins de la vérité. Ma mère m'apparaissait dans ces moments douloureux comme la femme forte de l'Évangile qui garde la maison contre les voleurs, remettant tout entre les mains de Dieu.

Des bandits

Dans la nuit du 22 au 23 décembre 1946, Louis Even avait été arraché brutalement de sa chambre dans un hôtel de Sorel, puis on l'avait assommé dans le corridor, et bousculé pour le faire passer par un escalier de service. Louis Even, couvert de sang, nu-pieds et en vêtements de nuit, avait réussi à se lancer dans la rue enneigée pour s'enfuir avec un taxi. En même temps, Gérard Mercier était assailli par des fiers-à-bras et traîné de force dans un local retiré de l'hôtel, où il fut incarcéré jusqu'à 10 heures du matin, questionné et menacé de tortures. Moi-même j'ai pu fuir dans la neige.

Ma mère entendit ces nouvelles à la radio dans la journée. Et le soir, elle nous vit revenir à Montréal dans un état pitoyable, Louis Even blessé à la tête, etc.

On comprend les souffrances morales de ma mère. Elle passait au travers de tout cela en nous encourageant, malgré ses larmes, à continuer le combat. Elle fut toujours celle qui attendait dans l'angoisse à la maison, pendant que nous étions sur le champ de bataille.

Elle déménage à 80 ans

En janvier 1963, maman subit une grave opération chirurgicale, à l'âge de 80 ans. Nous habitions Montréal alors. Sortie de l'hôpital, ma mère fit elle-même tous ses paquets pour déménager à Rougemont. Ce fut un sacrifice pour elle que de se transporter ainsi. On a de la peine à se déraciner à 80 ans !

Elle vécut avec nous à la Maison St-Michel jusqu'à la fin. Jusqu'à 92 ans, elle faisait encore son lavage de linge et le mien, et sa petite cuisine et bien d'autres choses. Et surtout, elle priait, elle récitait 6 chapelets par jour, plus le chapelet de saint Michel, courant les groupes qui le disaient à la chapelle à tour de rôle.

Jusqu'à 89 ans, elle assistait à la messe de l'église paroissiale tous les jours. En 1971, c'était dans la Maison Saint-Michel même qu'elle entendait la sainte Messe. Elle en était si heureuse ! Elle disait : "Maintenant, c'est le Bon Dieu lui-même qui vient dans notre maison ! Quelle récompense !"

En juin 1975, elle tomba gravement malade. À partir du 3 novembre 1975, elle garda le lit continuellement, incapable de se servir elle-même. Vingt mois de grandes souffrances ! Elle me dit tant de belles choses durant ces mois d'agonie !

Entre autres : "Quand j'arriverai au Ciel, je leur dirai : Ce n'est pas une reine qui arrive, c'est une servante." C'est qu'elle n'avait jamais voulu se faire servir, et elle était bien humiliée de devoir accepter de l'aide sur son lit de malade.

Un autre jour, elle me dit : "J'ai deux secrets à te dire : premièrement, ils veulent faire de moi une sainte et ils ne sont pas capables ; deuxièmement, crois-tu dans l'eau miraculeuse de la Sainte Vierge ? Moi, j'y crois. Toi, il faut que tu y crois !" Elle gardait toujours près d'elle de l'eau de Lourdes ou de San Damiano qu'elle prenait pour soulager ses douleurs. Elle avait une très grande confiance en Notre-Dame des Sept-Douleurs, et en Notre-Dame de Lourdes. Et elle aimait beaucoup la petite Bernadette de Lourdes à cause de la grande humilité de Bernadette.

Depuis de longues années, elle demandait à aller au Ciel. Un jour, je lui dis : "Maman, tu n'as pas peur de mourir ?" Elle me répond : "Non, je n'ai pas peur. Crois-tu, que le bon Dieu va me dire quand j'arriverai : Tu n'a pas peur, toi ma petite fille, viens ici que je te fasse peur !"

La veille de sa mort, le prêtre arrivait pour lui donner la sainte communion, je lui dis : "Maman, le bon Dieu s'en vient." Elle souffrait beaucoup, jour et nuit, elle me dit de sa voix très lente et difficile en serrant son crucifix dans ses mains : "Il a été crucifié."

Deux jours avant sa mort, elle fait venir le médecin. Il fait l'examen. Et il était assis loin du lit. Elle me regarde et me demande : "Est-ce qu'il l'a dit ?" J'ai compris à ce moment-là qu'elle voulait qu'il lui dise qu'elle mourrait bientôt. Alors, le bon Dr Beauregard lui dit fort à l'oreille, car elle était bien sourde : Madame Côté, vous vous en allez au ciel !" Et, de sa voix éteinte, maman s'est mise à chanter : "Au ciel, au ciel, au ciel !"

Elle a été bien souvent malade dans sa vie. Elle reçut les derniers sacrements 16 fois. Un jour sur le point de mourir, elle me dit : "Ne me fais pas administrer, car je ne mourrai jamais !"

Soeur Saint-Rosaire

Elle fut exposée dans son costume de tertiaire de saint François d'Assise. Elle avait pris ce saint habit le 25 mars 1917, année de Fatima. Elle s'appelait Soeur Saint-Rosaire. Elle fêtera le 60e anniversaire de cette consécration dans le ciel le 25 mars de cette année.

Beaucoup, beaucoup de rosaires se sont récités dans la maison de ma mère. Elle avait été choisie pour ça par Dieu sans doute. Louis Even dans sa grande, grande dévotion au Rosaire, avait trouvé la maison de ma mère.

Et Fatima ! Louis Even institua dans le salon chez ma mère la dévotion au 13 de chaque mois. Des prières y étaient récitées toute la journée le 13 de chaque mois en l'honneur de Fatima. Et le nom de Soeur Saint-Rosaire avait été donné à ma mère en l'année de Fatima, 6 semaines avant la première apparition !

Et nous lançons le chapelet perpétuel dans les maisons du monde entier, en janvier 1977. Et ma mère meurt le 15 janvier 1977. Les plans de Dieu sont plus vastes que les nôtres.

Maman était aussi consacrée esclave de Jésus par Marie, selon saint Louis Marie Grignon de Montfort, depuis le 8 décembre 1970.

Elle laisse le souvenir de la grande bienfaitrice de l'oeuvre de Vers Demain. Elle a toujours donné tout ce qu'elle avait. Elle me l'a dit quelques jours avant sa mort : "Tu sais, je n'ai jamais rien gardé pour moi-même, j'ai toujours tout donné autour de moi. Il y a longtemps que je n'ai plus rien du tout. Elle avait compris à la perfection ce mot du poète :

Ce que l'on garde

La mort le prend.

Ce que l'on donne

Le Ciel le rend.

La grande détresse de l'Église d'aujourd'hui la faisait bien souffrir. Sur son lit de douleur de 20 mois, elle offrait tout pour les prêtres.

Et elle souffrait pour les petits enfants qui voient tant de mauvais exemples autour d'eux. Souvent, dans sa vie, elle nous avait répété : "Les mauvaises modes d'aujourd'hui nous attireront de grands malheurs ! Ils sont fous, vraiment, ceux qui s'habillent comme ça !"

Chère maman, tous les créditistes t'ont appelée leur grand-mère. Dieu seul sait tout le bien que tu as fait autour de toi. Nous recevons des lettres qui nous rappellent que tu as fait instruire tel prêtre, que tu as accueilli une orpheline dans ta maison pendant des années. Nous l'avions oublié. Une autre orpheline nous rappelle que c'est toi qui t'es occupée d'elle. Une institutrice écrit que tu as payé pour la faire instruire. Que de grands secrets de charité dévoilés ! Et Dieu récompense au centuple, chère maman. Nous te prions de nous préparer à tous une petite place dans le Ciel auprès de toi. Tu nous as si souvent attendus sur la terre, tu nous attends encore là-haut. Au revoir, chère, très chère maman en or !

Ta fille Gilberte

Gilberte Côté-Mercier

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