60 années de don total à la défense de la "Justice"
Gérard Mercier s'est éteint ici-bas. Vie édifiante
Gérard Mercier avait, comme d'habitude, avec l'enthousiasme et la ferveur qu'on lui connaissait, dirigé notre grand congrès international, qui a été, au dire de tous, l'un des plus beaux de l'histoire du Mouvement.
Dès le lendemain de ces trois jours de joies intenses, mais aussi de grandes fatigues, Gérard Mercier est entré à l'hôpital, où, après avoir reçu les derniers sacrements, il s'est éteint, en donnant encore les directives du combat tout en plaisantant avec ceux qui l'entouraient. Un héros mort sur le champ de bataille. Mais les media n'en ont pas parlé. Nul n'est prophète dans son pays.
Dès 1938, Gérard Mercier a adhéré à l'Œuvre et, avec Louis Even et Gilberte Côté, ils constituaient le trio inébranlable qui a permis à la fondation de survivre malgré les persécutions et les attaques des adversaires.
On ne disait pas de Gérard Mercier qu'il avait du feu pour l'Œuvre, mais qu'il était le feu de l'Œuvre. Louis Even le surnommait le "Boulet de feu" parce qu'il enflammait tout sur son passage. C'était lui, Gérard Mercier qui, depuis son adhésion à la Cause, allumait la flamme de l'idéal dans le cœur des jeunes et des moins jeunes ; il stimulait les engourdis, il réveillait les endormis, il entraînait tout le monde au combat, étant toujours lui-même sur la première ligne de feu.
Gérard Mercier est né d'une noble famille de fermiers, solidement établie sur le patrimoine ancestral, à Sainte-Anne de Beaupré, où se trouve le célèbre sanctuaire élevé à la gloire de sainte Anne, patronne de la province de Québec. C'est pourquoi Gérard Mercier avait une si grande dévotion envers la bonne sainte Anne.
Marie des Anges Côté était le nom de sa sainte mère, elle est née en la fête des anges, le 2 octobre 1873. Elle avait le culte de l'état de grâce et l'inculquait à ses enfants. Quand "son Gérard" passait l'embrasser au travers de ses courses de pèlerin, elle lui demandait, chaque fois : "Toujours en état de grâce, mon Gérard ?" Cette maman de Gérard Mercier, même âgée de 98 ans, était très attachée à la mission de son fils apôtre, elle lui disait encore : " Ne lâchons pas, mon Gérard !"
Le père, Alphonse Mercier, était un fier Canadien français, qui avait le sens de l'honneur. Il ne voulait pas qu'une seule de ses six grandes filles aillent gagner la vie en dehors du foyer. On avait la foi et le sens des valeurs dans cette maison des ancêtres, bâtie sur la côte, dominant le fleuve St-Laurent.
Gérard Mercier fit ses études chez les Frères des Écoles Chrétiennes, puis chez les prêtres du Collège de Lévis où il reçut une solide éducation chrétienne.
À 24 ans, il travaillait au bureau des Annales de Ste-Anne de Beaupré, propriété des Pères Rédemptoristes. Un emploi enviable en plein dans le temps de la crise économique, alors que la plupart des jeunes gens étaient au chômage.
En 1938, rien que pour faire plaisir à un ami, Gérard Mercier s'est abonné aux "Cahiers du Crédit Social", édités par Louis Even. Comme il s'occupait des Mouvements d'Action catholique, il n'avait pas le temps de les lire, et les "Cahiers" s'empilaient sur le bureau de sa chambre. Un soir, machinalement, avant de se mettre au lit, il prit l'un des Cahiers et se mit à le lire. Il l'a tout dévoré d'un seul coup, tant il était intéressé. La lecture ne s'est terminée, qu'à 3 heures du matin. Une grande lumière venait d'éclairer son esprit, c'était le Crédit Social. Comme cela tombait bien dans son cœur, lui un chef de la JOC (Mouvement de la Jeunesse Ouvrière Catholique). Il venait de trouver la solution pour tous ces jeunes en chômage qui retardaient leur mariage, parce qu'ils n'avaient pas d'argent pour fonder un foyer.
Quelques heures après, au réveil, la bataille a commencé pour lui. Il était à la porte du bureau des Annales de Ste-Anne et il prêchait déjà le Crédit Social.
Gérard Mercier n'était pas un homme aux demies mesures. Chasse, pêche, excursions, cigarettes dont il était très friand, furent mises de côté tout de suite et, dorénavant, ses temps libres étaient consacrés totalement à l'idéal qui l'avait conquis. Il parlait du Crédit Social à tous ceux qui voulaient ou ne voulaient pas l'entendre et il abonnait les gens aux "Cahiers du Crédit Social".
Il assistait au premier congrès du Mouvement, à Québec, le 18 juin 1939, qui a eu lieu au Manège Militaire ; aussi au deuxième congrès de Québec, le 19 juin 1940, au Palais Montcalm.
Il fut l'un des premiers propagandistes du journal Vers Demain lors de sa fondation en 1939 par Louis Even et Gilberte Côté.
Les fondateurs comprirent vite qu'il fallait établir le Mouvement sur les bases solides de l'apostolat et du bénévolat. Pour cela, ils firent appel aux apôtres, dans l'édition du 15 avril 1940 du journal Vers Demain. Le premier à répondre à cet appel : Gérard Mercier.
Chaque membre de l'Institut s'engageait à prendre un abonnement par numéro du journal, 24 numéros par année, donc 24 abonnements par année.
Avec l'enthousiasme qu'on lui connaissait, Gérard Mercier se lança à la conquête d'abonnés à Vers Demain. En peu de temps, il avait recueilli 57 abonnements. Dans Vers Demain du 15 novembre 1940, le nom de Gérard Mercier figure à côté de celui de Maître J. Ernest Grégoire et de celui du bon curé Édouard Lavergne, de Notre-Dame-deGrâce à Québec, comme étant les premiers à avoir atteint et dépassé l'objectif du membre de l'I.A.P. (aujourd'hui Institut Louis Even pour la Justice Sociale).
Dans le temps, Maître J. Ernest Grégoire donnait des cours de conférenciers du Crédit Social, à Québec. Gérard Mercier s'y rendait. Le soir avant de se mettre au lit, il s'exerçait à faire une conférence au grand désespoir de son frère qui partageait son lit. Mais ses sœurs qui couchaient dans la chambre voisine l'applaudissaient. Ce qui l'encourageait, nous dit sa sœur Alice.
Après quelques séances, Gérard Mercier demanda aux directeurs s'il pouvait organiser ces cours à Ste-Anne de Beaupré. La réponse ne se fit pas attendre, et le premier cours de conférenciers du Crédit Social a eu lieu en mars 1941, à Ste-Anne de Beaupré, dans la maison privée de Pierre (Pitre pour les intimes) Simard. Les cours qui suivirent furent donnés dans la salle paroissiale de Ste-Anne de Beaupré.
Le 20 avril 1941, à peine trois semaines après le début de ces cours, les directeurs se rendirent à Ste-Anne de Beaupré pour lancer ces néophytes du Crédit Social à donner leurs conférences sur le perron des églises après les messes. Ils n'avaient même pas encore fini d'apprendre la causerie modèle publiée dans Vers Demain. Tous refusèrent en donnant comme raison qu'ils n'étaient pas encore prêts.
"Et vous, dit Louis Even à Gérard Mercier, allez-vous refuser ?"
Avec le ton énergique qu'on lui connaissait, Gérard Mercier répondit : "Prêt", et, s'adressant à ses compagnons, il ajouta : "Nous sommes tous capables d'aller faire rire de nous aux portes des églises ; si nous ne réussissons pas à parler, nous pouvons au moins prendre de l'abonnement à Vers Demain." (Pourquoi parler sur le perron des églises ? Parce que dans le temps, les fermiers n'avaient pas d'automobile, ils venaient au village une seule fois dans la semaine et c'était à la messe le dimanche. Le perron de l'église était le meilleur endroit pour les rencontrer tous.)
Aucun des futurs conférenciers n'a dormi cette nuit-là, mais, le lendemain, tous partirent au combat. Ils ont parlé sur le perron de l'église après toutes les messes de cinq paroisses et ils sont revenus avec 35 abonnements à Vers Demain.
À partir de ce moment, Gérard Mercier était sur le perron d'une église tous les dimanches pour passer son message à la population, après toutes les messes, à partir de celle de 6 heures du matin jusqu'à celle de onze heures. Rares sont les paroisses de notre province qui n'ont pas eu une conférence de Gérard Mercier sur le perron de l'église. Il en fallait du courage pour affronter les notables et les politiciens de la paroisse, qui n'étaient pas toujours contents et qui voulaient chasser le conférencier en le bousculant ! Mais Gérard Mercier était raide à déplacer, et il n'y a pas un adversaire qui a réussi à le faire.
En 1949, à Ste-Anne de Beaupré, à la porte de l'immense basilique, dans sa propre paroisse, j'ai vu Gérard Mercier, installé avec des haut-parleurs sur le camion de Pitre Simard, qui lui servait de tribune ; il arrêtait les milliers de Pèlerins qui sortaient de la messe, en leur criant : "Un instant, mesdames et messieurs, j'ai un important message à vous communiquer !" Et il enchaînait son discours. Il en avait de l'audace...
Dès la première année, Gérard Mercier et ses coéquipiers ont mis 200 abonnements à Vers Demain dans Ste-Anne de Beaupré. Et ils rayonnèrent dans tous les comtés environnants.
Puis ce fut le bond définitif. En juin 1941, les fondateurs demandèrent à Gérard Mercier de se donner à plein temps bénévolement. Il accepta sans hésitation, malgré les protestations d'un père qui l'aimait trop pour le voir partir du foyer. "La nuit porte conseil" avait dit le père à son fils. « La nuit porte conseil, avait répondu le fils à son père, pour moi, la décision est prise, laissez-vous vous-même conseiller par la nuit. »
Depuis lors, Gérard Mercier est devenu l'homme de la route, l'homme aux valises, que nous avons connu. Adieu doux foyer familial, gâteries de maman et des chères sœurs, adieu emploi rémunérateur et envié, adieu héritage ; dorénavant, dépouillé de tout, Gérard Mercier courra de ville en ville, de village en village, de pays en pays, les bras chargés de valises et de boîtes de littérature, partageant le pain des pauvres et goûtant au froid de leurs chaumières. « Oh ! un petit canapé, madame, ça me suffit, une croûte de pain et un verre d'eau, c'est tout ce qu'il me faut ! » disait-il. Son zèle l'a fait traverser l'océan, il a fait des tournées dans toutes les régions de la France, de la Suisse et de la Belgique.
Au début, pour se déplacer d'un village à l'autre, en Abitibi, par exemple, les premiers "Plein-Temps" du Mouvement se servaient de vieux chevaux, de vieux "pitons" destinés à être vendus pour de la viande à renard. D'autres se servaient de bicyclettes pour parcourir la Gaspésie. Mais, Gérard Mercier, lui, préférait ses jambes alertes aux vieilles pattes du "piton" et aux roues de la bicyclette. Quinze milles à pied sur la neige, ça ne lui faisait pas peur !
Et jusqu'à ces dernières années, malgré les dons d'automobiles au Mouvement, Gérard Mercier ne s'en servait pas pour accomplir ses missions. Il partait plutôt en autobus ou en train, avec sa valise et sa boîte de littérature au bout des bras. Puis entre deux autobus, ou deux trains, pour une correspondance, s'il y avait dix minutes d'attente, il ne manquait pas de téléphoner à un créditiste de l'endroit pour l'encourager, le stimuler et lui donner les dernières nouvelles du Mouvement.
Sur l'autobus, sur le train, sa conversation ne portait que sur Vers Demain, sur le Crédit Social.
Au commencement, il partait pendant six mois sans revenir au bureau. Au bout d'un mois et demi, le programme tracé étant terminé, il lançait un coup de téléphone aux directeurs en leur criant : "Ça marche !" Et il acceptait un nouveau programme par téléphone, sans revenir à la maison.
Dans le temps, on tenait de multiples assemblées : une le samedi soir, une le dimanche avant-midi après la messe, une le dimanche après-midi et une autre le dimanche soir. Monsieur Even a tenu 22 assemblées en 8 jours dans l'Ouest canadien. Gilberte Côté en tenait autant de son côté. Et Gérard Mercier suivait leur exemple.
Gérard Mercier fut celui qui a tenu sur la route pour l'Œuvre 365 jours par année. Ces dernières années, il y allait encore, mais il était obligé de demeurer plus au bureau pour diriger, avec madame Côté-Mercier, la Maison de l'Immaculée des hommes, et faire les programmes des Plein-Temps de la route et pour stimuler les Pèlerins par sa lettre aux Pèlerins et par ses téléphones. Les mercredis soirs étaient réservés aux téléphones. Tous les Plein-Temps se rapportaient. Gérard Mercier leur donnait les nouvelles du Mouvement et prenait leurs nouvelles pour les transmettre aux autres.
Soixante années de vie de valises ! La route fut sa demeure. Le beau Ciel du bon Dieu fut l'horizon de sa vie. Tout pour Dieu et pour son prochain, sous l'étendard de Notre-Dame et de saint Michel, dans le but d'assurer le pain quotidien à tous les pauvres de la terre, par l'application des principes du Crédit Social.
On sait que de 1939 à 1945, c'était la guerre. La propagande n'était pas facile à cause des lois sévères. Tous les jeunes étaient appelés par l'armée. Gérard Mercier fut conscrit en 1942. Il avait 28 ans. Il savait bien, lui, que ces guerres monstrueuses qui ont massacré les jeunes hommes les plus en santé de nos pays, ne servaient qu'à défendre les intérêts des financiers, et il ne voulait pas servir à cela. Il ne répondit pas à l'appel de l'armée et il continua ses activités en secret.
Il tenait ses assemblées de cuisine et ne savait jamais si sa conférence ne serait pas interrompue par l'arrivée des "M.P." Cela lui arriva en Abitibi. Il est sorti en courant par la porte de derrière suivi d'un gros policier, mais grâce à saint Michel, le policier glissa sur la glace et tomba. Gérard Mercier en profita pour disparaître dans la forêt.
Il s'est réfugié, avec un confrère à plein temps, chez des Pères Bénédictins. Le bon Père supérieur, un grand ami de l'Œuvre, dans le temps, les a accueillis, sans frais, pendant neuf mois et leur fit donner des cours de philosophie.
Que d'autres faits, nous pourrions citer de la vie de Gérard Mercier en ces temps pénibles ! Mais il s'en est toujours tiré. Il fut finalement pris, à Magog, par douze policiers, quelques jours après avoir reçu son certificat de démobilisation de l'armée. Il passa la nuit en prison. Conduit de Sherbrooke à Québec, menottes aux mains, entre deux policiers armés, Gérard Mercier récitait son chapelet à voix haute. Et les policiers répondaient de temps en temps au chapelet. Arrivé aux quartiers généraux de la Police Montée à Québec, Gérard Mercier rencontra l'avocat Maître. J. Ernest Grégoire, Louis Even et Gilberte Côté. Maître Grégoire fit libérer Gérard Mercier des trois chefs d'accusations qu'on avait portés contre lui, il fut libérer pour la somme de 5 dollars d'amende !
Au porte en porte, Gérard Mercier était l'infatigable. Quand il ne tenait pas d'assemblées, il était au porte en porte sept jours par semaine, de 10 heures du matin à 10 heures, 11 heures du soir et parfois même jusqu'à minuit. À 10 heures le soir, sachant qu'il était trop tard pour aller frapper à une autre porte, il en profitait pour faire une conférence dans la maison où il était. Elle durait bien souvent jusqu'à minuit. Il terminait aussi ses assemblées de cuisine des fois à 3 heures du matin, parce qu'après la conférence, les gens aimaient en savoir davantage.
Ses courtes nuits ne l'empêchaient pas de se lever tôt et d'assister à la Messe tous les matins. Comme nos fondateurs, Gérard Mercier fut aussi un grand fervent du Rosaire. C'était le soldat droit comme une épée, qui savait se tenir debout devant les hommes, mais à genoux devant Dieu. Il s'est consacré à la Sainte Vierge, le 8 septembre 1970, fête de la Nativité de notre Maman Céleste. Et ses funérailles ont eu lieu le 8 septembre 1997, également en la fête de la Nativité de Marie. Notre-Dame s'est souvenue de son consacré.
Jamais, on n'a pu déceler l'ombre d'un découragement sur son visage et dans ses paroles. Il avait un courage de fer. Il était le ressort qui remonte le zèle des autres, le feu qui enflamme les combats.
En 1948, la faction des électoralistes dans le Mouvement, avait entraîné tout le groupe dans une campagne électorale inutile et ruineuse en énergies et en argent. Ce fut une défaite écrasante, presque tous les propagandistes étaient découragés. Dès le dimanche suivant, Gérard Mercier était sur le perron d'une église, après les messes, et il criait : "Ça marche !" Ça marchait certainement, puisque lui, il marchait ! Et c'est lui, Gérard Mercier qui eut à réparer les pots cassés des électoralistes, à remettre à l'action de nouveau les découragés, à remettre à leur place ceux qui trahissaient, etc.
Le Pèlerin par essence, le boulet de feu qui entraîne, le voyageur incessant, le propagandiste convaincu et convaincant, dans le téléphone comme au porte en porte, le défenseur des pauvres, l'assoiffé de justice, le combattant inflexible, tel fut notre directeur Gérard Mercier.
Les jeunes ont besoin de savoir que, dans notre siècle déboussolé, il y a encore aujourd'hui de ces héros qui savent tout sacrifier pour un idéal, et que c'est dans cette vie de don total que se trouve la joie parfaite.
Là-Haut, avec Louis Even, Louis-Philippe Bouchard, Irénée Brun, et tant d'autres qui ont combattu à vos côtés, vous faites partie maintenant de l'Église triomphante, Gérard Mercier. Que votre feu se répande sur toute la terre et qu'enfin sonne pour l'Œuvre l'heure de la victoire définitive, afin que chaque personne sur terre jouisse enfin du pain quotidien si nécessaire à la vie.
Avec notre beau drapeau blanc, rouge et or, nous vous rendons hommage, pour le don de votre vie, Gérard Mercier, en chantant avec fierté : "Vois tes enfants Nouvelle France, la flamme au cœur, le front levé, respirant la foi, l'espérance... ; découverts mis en évidence, les voleurs confus s'en iront... !"
Thérèse Tardif