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Vers une nouvelle démocratie

Louis Even le mardi, 01 août 1939. Dans Août

Ce titre n'est pas absolument exact. C'est "Vers la démocratie" qu'il faudrait écrire, car la démocratie, la véritable, où est-elle ? Mais comme on est habitué à nommer démocratie la caricature grimacière dont sont à peu près dégoûtés les humains au Canada comme ailleurs, il faut coller l'adjectif "nouvelle”, pour bien faire entendre qu'il ne s'agit pas de l'absurde chaos qui nous écoeure au point d'en faire les faibles soupirer vers une dictature sinon souhaiter une révolution.

Le mot "démocratie', par son origine, implique la puissance résidant dans le peuple. La puissance suppose l'union des éléments pour obtenir des résultats. Lorsque dix hommes se joignent pour déplacer un objet très lourd, si quatre tirent dans un sens et six dans l'autre, ou si quatre s'obstinent à vouloir employer un levier tandis que les six autres prétendent qu'il est mieux d'ériger un palan, croyez-vous que l'objet va être déplacé avec la même efficacité que si tous s'entendaient?

DÉMOCRATIE ACTUELLE

Or que voit-on dans notre démocratie canadienne, comme dans tous les pays qui osent afficher l'étiquette démocratique ? Le système de partis. Un groupe qui dit toujours oui pendant que l'autre dit toujours non, un groupe qui voit rouge pendant que l'autre voit bleu. Est-ce la division du peuple en partis qui va consacrer sa puissance?

Les partis

La seule idée de partis est contraire à l'idée de démocratie. Qu'on ne vienne pas riposter que c'est le seul moyen pour la majorité des citoyens de faire valoir ses droits. C'est tristement démenti. Il arrive, au contraire, que ce que tous veulent, ce que tous réclament, est précisément la chose qu'ils n'auront pas, parce qu'on attire leur attention sur des accessoires, sur des questions de méthode où ils passent leur temps à se chicaner pendant que la chose uniquement réclamée reste là.

Exemple: qui ne veut aujourd'hui l'abaissement du coût de la vie, la diminution des taxes, la suppression du chômage indigent, l'écoulement de la production tant désirée dans toutes les maisons ? A-t-on cela ? Tout le monde peste contre le manque d'argent, mais on a soin que les législateurs et ceux qui leur confient un mandat se divisent en deux, trois ou quatre camps et délibèrent sur des choses plus ou moins connexes, sans s'entendre d'ailleurs, alors que la manufacture d'argent-dette, d'argent plus que rare, continue non molestée.

Un groupe va dire: Il vaut mieux prendre l'argent aux Pierres pour le donner aux Pauls. L'autre groupe dira: Non, cela paralyserait le commerce des Pierres ; il vaut mieux faire les Pauls fabriquer des munitions avec du crédit des Jacobs, puis prendre l'argent aux Pierres pour récompenser les Jacobs. Et pendant tout ce temps l'argent reste rare. Démocratie ! Deux grands partis, chaque groupe ayant la permission de dire le contraire de l'autre ; combien réconfortant dans un régime de privations !

La véritable démocratie ne serait-elle pas, au contraire, celle qui unit au lieu de diviser, celle qui consiste à trouver ce que tout le monde, d'un commun accord, veut avoir en fait de résultats et à commander aux techniciens de l'accorder ?

Le dictionnaire Larousse définit "parti" : union de plusieurs personnes contre d'autres qui ont un intérêt opposé.

Pour admettre l'idée de partis, il faut donc admettre que nous sommes associés ensemble pour poursuivre des intérêts opposés. C'est absurde. Sûrement les Canadiens ont des intérêts communs, et c'est pour cela qu'ils forment la nation canadienne. Mais la politique mal comprise s'est évertuée à les diviser sur des questions secondaires et leurs intérêts communs sont immolés. L'exemple donné ci-dessus pour l'argent, pour le fonctionnement de l'économie générale, le prouve très bien.

Évidemment, si l'administration publique devient une course au fromage, une ruée sur des "jobs" payantes dans un monde où les emplois sont plus rares que les aspirants, on va trouver des intérêts en opposition. Il n'y a que cinq os pour dix chiens ; alors, en bons démocrates, cinq chiens vont s'unir en un parti pour faire la lutte aux cinq autres, pour décider à quel groupe iront les cinq os.

Le spectacle devient tragique et inexplicable quand, au lieu de chiens ce sont des hommes, alors que leurs greniers débordent de blé, que les possibilités techniques à leur disposition les combleraient tous de biens si, au lieu de se diviser pour avoir l'honneur de servir la clique organisée qui barre au monde la distribution de cette abondance, ils s'unissaient pour nettoyer la place.

Programmes de méthodes

La deuxième farce de la démocratie, celle d'ailleurs qui permet à des partis de se présenter comme tels, comme adversaires, ce sont les programmes de méthodes placés devant la multitude.

Voici un territoire habité dans lequel se pose la question de la construction d'un chemin de fer. Qui est-ce qui doit décider si le chemin de fer est ou non une chose désirable ? Qui, sinon la population elle-même ? La plus grande autorité pour dire si la population désire un chemin de fer, c'est assurément la population. Le chemin de fer, c'est le résultat, et ce sont ceux que touche ce résultat qui doivent pouvoir exprimer leur volonté. Mais la manière de construire le chemin de fer ? Les méthodes à employer ? La consolidation de la voie sur terrains mous, les remblais, les déblais, la jetée de viaducs ou le percement de tunnels, sont affaire de techniciens. Si l'on pose ces détails devant le public et qu'on attende de lui l'accord avant de commencer, quand aura-t-il le chemin de fer ?

La masse sait ce qu'elle veut, la meilleure manière de le lui donner est du ressort de la technique. Pourvu que la population du territoire considéré ait un chemin de fer qui transporte efficacement choses et voyageurs, pourvu que la voie offre de la sécurité, que le service soit bon, que la locomotive ne happe pas les autos, les vaches et les piétons, le public sera satisfait.

Il y a là une base d'entente commune, le résultat. La majorité, sinon l'unanimité s'accordera là-dessus. Mais les méthodes, c'est une autre affaire. Aussi ceux qui ont intérêt à maintenir la division dans la multitude, ceux qui trouvent leur engraissement, ou la préservation de leur puissance usurpée dans le maintien des partis, dans la division, ceux-là poussent ou font pousser devant le peuple des programmes de méthodes.

L'un vient avec le tarif, pour protéger, dit-il, l'industrie domestique. Un autre prétend la mieux développer en augmentant le pouvoir d'achat de la clientèle par le relèvement de l'emploi, et à cette fin, dit-il, il faut des marchés à l'étranger, donc des traités de commerce et l'abaissement des tarifs à la frontière. On groupe le peuple autour de ces deux méthodes ; un parti l'emporte une année, l'autre quatre ans après, et les résultats ? Sont-ils bien différents ? L'un préconise des travaux de chômage pour mettre de l'argent en circulation ; l'autre veut la diminution des dépenses pour ne pas surcharger le contribuable. L'un prélève sur les revenus, l'autre diminue la source des revenus. Les deux épuisent le pouvoir d'achat. C'est pourtant plus de pouvoir d'achat que tout le monde réclame. Et l'on continue d'agiter les méthodes.

Le peuple découragé ne sait plus qui écouter, à qui faire confiance. Grillé par l'un, noyé par l'autre, il en est venu à mépriser ses politiciens. Pas surprenant dans une démocratie qui consiste dans la division, qui s'amuse avec des méthodes de surface, alors que le véritable maître, celui qui ne paraît pas devant le public, veille soigneusement à ce que la principale chose, reste intouchée. Combien de partis dans l'Association des Banquiers ? Quand soumettent-ils un programme de méthodes à leurs clients ?

La caisse électorale centrale

La première chose qu'un député apprend en arrivant à Ottawa, c'est qu'il doit oublier ses électeurs et suivre en tout les directives du whip du parti. Sinon, il n'aura pas l'appui financier nécessaire pour la prochaine campagne électorale.

Une élection coûte de l'argent au candidat. S'il n'appartient à aucun parti, il faut tirer de sa poche, et Dieu sait si, en général, les poches honnêtes sont garnies aujourd'hui ! Ou bien il lui faut demander aux électeurs eux-mêmes de défrayer les dépenses : est-ce l'habitude ?

La caisse électorale centrale n'est pas fournie par les oboles du peuple, mais par des contributions provenant de puissants intérêts privés. Le candidat qui reçoit mille à deux mille dollars, ou plus, se trouve lié d'avance envers ceux qui lui permettent ainsi de financer sa campagne.

Si l'élu était au moins sûr de se faire réélire au prochain appel sans le secours de la caisse électorale, aux frais des électeurs eux-mêmes satisfaits de sa compétence et des résultats obtenus, il pourrait se dégager de cette servitude. Mais par le fait même que, sous notre système financier boiteux, il est impossible de donner au peuple les résultats qu'il attend, nul membre du parti ne peut se reposer sur des résultats pour une réélection ; il lui faut une autre force, la caisse du parti.

La caisse électorale est la grande arme du parti. Et c'est la grande maîtresse du parti. Avez-vous vu bien des députés, membres d'un parti, s'en venir, entre les élections, pendant les quatre ou cinq années de leur terme, étudier les questions publiques avec leurs électeurs, demander à ceux-ci quels résultats ils désirent, s'ils sont satisfaits, ce qu'ils veulent le voir réclamer à Ottawa ? Allons donc ! C'est le parti qui doit lui dicter sa ligne de conduite, non pas ceux qui l'ont élu. Et le parti, d'où tire-t-il ses instructions ? Qui fait le programme ? Et qui surtout contrôle et tamise les mesures législatives ?

La caisse électorale du parti est un puissant agent de centralisation, d'autant plus que ce sont les mêmes sources qui alimentent les deux caisses électorales des deux grands partis. Or tout ce qui centralise est antidémocratique.

À mesure que le gouvernement s'éloigne du peuple, il devient moins démocratique. La plus belle forme de démocratie, c'est l'administration municipale dans nos paroisses où l'on n'a pas encore appris à se diviser en deux partis. Le maire et les conseillers étudient ensemble les questions d'intérêt commun et décident au mérite, d'après le jugement de la majorité, sous les yeux de leurs concitoyens, Montez plus haut, vous êtes plus loin du peuple, vous trouvez la division pour la course au pouvoir et la centralisation autour de deux caisses qui, en réalité, ne sont que les deux bras d'une même volonté.

Aussi la finance internationale, qui mène le monde et veut l'étreindre de plus en plus dans ses griffes dominatrices, cherche-t-elle partout la centralisation. Centralisation du système bancaire dans un organisme qui porte un nom national, mais qui est la banque des banquiers pour lier le système bancaire du pays à la banque universelle. Centralisation des pouvoirs, surtout financiers, entre les mains du fédéral, plus loin du peuple, plus près des quelques créanciers de l'univers.

Toute centralisation est antidémocratique, parce qu'elle permet de moins en moins au peuple d'exprimer sa volonté, son cri se perd en route.

La grande finance centrale est nécessairement opposée chez nous à l'autonomie provinciale et elle profite du pétrin financier dans lequel elle a placé les institutions provinciales et municipales pour préconiser la centralisation des emprunts, la surveillance centralisée des portefeuilles.

Tant que nous n'aurons pas une députation élue sans l'appui des gros intérêts financiers, nous n'aurons pas une députation au service du peuple ; nous aurons des agents des intérêts privés pour consommer l'immolation du peuple et légaliser cette immolation.

Antidémocratiques, les partis qui divisent le peuple et en le divisant l'affaiblissent.

Antidémocratiques, les programmes de parti, programmes de méthodes pour diviser un peuple qui s'entendrait admirablement pour demander des résultats.

Antidémocratiques, les caisses électorales centrales qui lient les représentants du peuple et en font des députés à l'envers.

NOUVELLE DÉMOCRATIE

Que doit donc être la nouvelle démocratie ? Elle doit être une démocratie sans partis, sans caisse électorale centrale, l'union des citoyens autour d'un objectif commun.

Démocratie sans partis

Peut-on concevoir une démocratie sans partis ? Et cela veut-il dire que tous les représentants du peuple doivent toujours penser la même chose, être toujours du même avis ?

C'est dans un système de partis qu'on fait taire les idées personnelles ou le respect des idées des administrés.

Dans une démocratie sans partis — du moins dans une démocratie où la majorité des parlementaires est détachée de toute affiliation à des partis politiques, l'étude des questions se fait au mérite, le groupement des députés en chambre autour du sujet étudié, non autour d'une couleur.

Supposons que la Chambre des Communes se compose de deux cents représentants n'appartenant à aucun parti et de quarante-cinq idolâtres, les uns bleus, les autres rouges. Vient une question ─ celle d'une nouvelle législation monétaire, à savoir si le gouvernement va régler le volume de l'argent d'après la production, ou si les banques vont continuer de faire ou refuser les émissions de crédit selon qu'elles y trouvent où non du profit. Il est probable qu'autour de cette question, la plupart des députés sans partis, et même quelques reliques des vieux partis, vont se déclarer pour la première alternative et les autres biaiser.

Une autre fois, c'est une question de reconnaissance de l'usage de la langue française au Canada. Il est probable que tous les députés de la Province de Québec et, ceux des districts de langue française dans les autres provinces, plus un nombre plus ou moins grand des députés de langue anglaise, vont admettre le principe et en réclamer l'application dans le cas en question. Le groupement sera différent du groupement dans le cas de l'argent; mais on aura tout de même un meilleur résultat que si seuls les députés d'une couleur dans la province de Québec s'étaient prononcés favorablement.

Et ainsi de suite pour tous les sujets, le gouvernement devant en chaque cas agir d'après la majorité.

N'a-t-on pas plus de chance d'avoir justice et ordre de cette façon ? Notre province de Québec, par exemple, ne serait-elle pas mieux protégée à Ottawa par une députation d'hommes de principes, unis par les mêmes grands intérêts ethniques et religieux, que par une députation divisée en rouges, en bleus, en nationalistes, et quoi encore, faite d'individus qui doivent s'éclairer à la même chandelle et se défier des lumières qui pourraient provenir du groupe co-provincial voisin ?

Alors, que dire d'un parti créditiste ? Il n'en peut être question. Parti ─ union de plusieurs personnes contre d'autres qui ont un intérêt opposé. Quel groupe de citoyens a un intérêt opposé à l'objectif du crédit social? Quel groupe de citoyens ne veut pas que chaque Canadien ait le moyen de vivre ? Quel groupe de citoyens ne veut pas que toute la production du pays puisse se vendre tant qu'il y a des consommateurs qui la réclament?

Il arrivera certainement que les citoyens d'un comté où la majorité connaît le Crédit Social enverront au Parlement fédéral quelqu'un qui, en leur nom, place le Crédit Social au premier rang de ses revendications. Mais sur d'autres questions, le représentant de ce comté pourra très bien diverger de vues avec le représentant d'un autre comté qui, lui aussi, fut choisi à cause de l'éducation des électeurs sur la question monétaire.

Et, encore une fois, en se groupant sur la question monétaire, ces députés ne forment pas un parti, ne s'opposent pas aux intérêts légitimes d'une section des citoyens, ne constituent pas un groupe soudé sur toutes les questions débattues en Chambre.

Une démocratie sans partis peut nous paraître étrange à première mention, parce qu'on est habitué à penser à la politique en terme de partis, en terme de division ; on ne peut plus concevoir l'organisme politique comme une union de citoyens pour obtenir des résultats avantageux à la communauté et aux membres qui la composent.

Lorsqu'on parle d'une coopérative, il n'en va plus de même. On songe immédiatement à des individus liés par des intérêts communs, se réunissant ensemble de temps en temps pour délibérer, s'entendre sur un but et transmettre à leur gérant l'ordre de voir à l'accomplissement de ce but, recevoir le rapport du gérant sur l'exécution des ordres précédents, le louer, ou lui faire des remarques sur son administration, le changer au besoin. On n'admettrait guère l'idée d'une coopérative dans laquelle le gérant s'assurerait l'appui constant d'un groupe majoritaire qu'il convierait à des caucus secrets, imposant les décisions aux autres jusqu'à ce que ces derniers aient pu se grouper en nombre suffisant autour d'un autre homme qu'ils pousseraient à la gérance, renversant les rôles. Dans chaque cas, le groupe aligné avec le gérant aurait le droit aux privilèges greffés sur la conduite de l'entreprise.

Telle coopérative irait-elle bien loin ? Pourquoi alors notre démocratie doit-elle consister en une lutte perpétuelle entre des groupes alignés ? N'avons-nous pas des intérêts communs ? N'est-ce pas même exclusivement pour la poursuite de ces intérêts communs qu'existe l'administration ? L'idée coopérative ne doit-elle prévaloir que dans des groupements inférieurs et disparaître à mesure qu'on s'élève, pour faire place, sur le palier national, à des luttes électorales, à des luttes parlementaires, à des combats perpétuels ?

Démocratie sans caisse électorale centrale

Ce que nous avons dit plus haut de la caisse électorale centrale, de la dépendance des élus autour d'un cœur à deux artères financières partant d'une même source, doit suffire pour rendre très acceptable l'idée d'une démocratie sans caisse électorale centrale. D'ailleurs, si l'on appelle les électeurs, avec beaucoup d'éloquence et de publicité, autour des bannières des grrrrands partis politiques, on a encore trop de pudeur pour faire autant de bruit autour de la grrrrosse caisse. C'est pourtant celle-ci qui donne de l'entrain à ceux-là.

Mais peut-on faire une élection sans caisse électorale centrale ? Ce serait dommage que non. Il faut cependant des efforts pour y suppléer ; et parce que c'est plus difficile et que la masse est toujours portée à suivre la ligne de moindre résistance, on est généralement conduit au même poteau.

Ne faut-il pas de l'argent pour faire une campagne électorale? Assurément.

Faudra-t-il donc limiter la recherche d'un candidat parmi des citoyens qui ont assez d'argent pour consacrer quelques centaines de dollars à leurs frais d'élection? Ce serait sacrifier l'aristocratie de la valeur à l'aristocratie de l'argent.

Si le peuple veut que ses représentants ne soient redevables qu'à lui, les électeurs d'un comté devront eux-mêmes voir aux dépenses nécessaires à l'élection de celui qu'ils désirent.


M. A et M. B sont tous les deux députés. M. A fit ses frais d'élection grâce à $1500 reçus de la caisse du parti. M. B fit appel à ceux de son comté qui voulaient avoir les services de sa formation et de ses principes; B étant fort estimé, il ne lui fallut que $800 et il les eut par souscriptions de 50 sous à dix dollars. Tous les deux sont au Parlement. Tous les deux touchent les appointements réguliers des députés, pris ceux-là dans la grande caisse des contribuables. Tous les deux devront revenir devant leurs électeurs.


M. A s'est fait dire dès le début de son terme qu'il doit être fidèle en tout temps aux directives du parti. Le parti l'a formé, élevé, financé pour sa campagne: fidélité constante! Comme le parti, même au pouvoir n'améliore en rien la situation générale, comme les seuls avantages qu'ait pu obtenir A se résument à des distributions de faveurs à quelques privilégiés, il sent que, pour la prochaine campagne, il faudra beaucoup d'activités camouflantes et que ça coûtera de l'argent. Il serait téméraire de compter sur l'enthousiasme d'électeurs peu émus par les résultats. La fidélité au parti où l'on trouve les $1500 est certainement de bonne inspiration.

M. B ne doit rien qu'à ses électeurs. Il fut élu pour sa valeur et rien ne l'empêche de la mettre à contribution au maximum. En communion constante avec ses électeurs, dégagé de toute liaison à un parti ou à une caisse, il a les mains libres, et la langue aussi.

Lequel, A ou B, a le plus de chance de bien servir ses électeurs ? Mais combien de B furent élus au Parlement fédéral en 1935?

Démocratie d'union autour d'un objectif commun

Il est impossible de faire l'union de la multitude autour d'une méthode, et ce n'est pas la méthode non plus qui doit l'intéresser, mais le résultat. Elle peut savoir ce qu'elle veut, mais il ne peut être de son ressort de décider quel est le meilleur moyen de l'obtenir.

Je veux une automobile; je la veux grande ou je la veux petite. Je la veux à quatre portières, ou je la préfère à deux portières. Je la choisis couleur marron ou couleur champagne. Pour tout cela, mon goût est souverain. Je dois pouvoir exprimer quelle espèce d'automobile je désire. Mais vient l'exécution de ma commande. M'appartient-il de dicter à l'ouvrier, au fabricant de telle et telle partie comment s'y prendre pour me donner ce que j'ai commandé? Personne ne sait mieux que moi ce que je veux avoir; mais personne ne sait mieux que le technicien comment me fournir ce que je veux avoir.
Voyez-vous les rôles renversés ? Voyez-vous le gérant de la manufacture d'autos venir chez moi et me dire: Monsieur, je vais vous fabriquer une voiture; je veux que vous la préfériez grosse, que vous lui souhaitiez quatre portières, que vous l'aimiez vert bouteille; il faut que ce soit votre goût; maintenant dites-moi comment vous désirez que je m'y prenne pour vous la construire.

Absurde! Nous ne sommes pas dans un asile d'aliénés!

C'est pourtant un peu ce qui se passe dans notre démocratie. On nous impose les résultats que la finance veut que nous ayons, et on nous fait l'honneur de nous consulter sur le choix entre les moyens d'avoir ce résultat. Nous désirons tous l'argent abondant comme la production; on nous fait dire qu'il faut que l'argent soit rare, mais on nous laisse à discuter des meilleurs moyens à prendre pour assurer la rareté de l'argent: plus de taxes, ou moins de revenu.

Dans un gouvernement réellement démocratique et bien ordonné, c'est le peuple qui décide des résultats, on lui fournit l'occasion de dire ce qu'il veut obtenir; mais l'exécution est nécessairement pyramidale. Si tous veulent dire leur mot dans l'exécution, si tout le monde veut commander les moyens, on n'aura qu'un produit amorphe et à beaucoup de frais. Retournez à la manufacture d'autos, et voyez les clients donnant ici et là des ordres aux monteurs de cylindres, aux poseurs de boulons, aux soudeurs de carrosserie, aux finisseurs ─ on va en avoir des gâchis d'autos, et à quel prix de revient!

L'expertise en politique consiste à trouver ce que tout le monde désire unanimement ou majoritairement, et à choisir les experts les plus capables d'accomplir cet objectif avec le moins de dépenses d'énergies. Un gouvernement qui joue à l'expert lui-même, comme celui de Washington, ne peut jamais arriver qu'à un échec. Quelles que soient les bonnes intentions du président actuel des États-Unis, il restera le président de la destruction de l'abondance, de la restriction de la production et de la course aux armements ─ toutes choses à peu près diamétralement opposées à ce que veulent les hommes, les femmes et les enfants des foyers américains.

Il est facile de grouper le peuple autour d'un objectif commun. Tout le monde veut la sécurité économique, tout le monde veut la distribution de l'abondance, tout le monde veut, disons le mot, le Crédit Social, les avantages de l'association.

Imposer un objectif, c'est la dictature, qu'elle soit militaire, qu'elle soit civile ou qu'elle soit financière. C'est là, dans le choix de l'objectif, que réside toute la différence entre la dictature et la démocratie bien entendue. Que ce soit un Hitler ou une association de banquiers qui vous impose des résultats contraires à vos désirs, c'est une dictature, avec la seule différence que la première s'affiche et la seconde se voile sous un manteau bicolore. Allons-nous nous contenter d'ajouter une troisième ou une quatrième couleur à ce joli camouflage ?

L'HORIZON POLITIQUE

La session parlementaire vient de se terminer à Ottawa. Aura-t-on une élection générale avant la prochaine session, et quand ? C'est encore le secret du premier ministre. Quoi qu'il en soit, tous les politiciens ont l'air de pressentir une campagne prochaine. Les députés ont fait un ménage en grand dans leurs bureaux avant de laisser la capitale.

Ceux des organisateurs des partis politiques qui n'ont pas encore perdu foi dans le vieux système de division et de lutte pour l'accès d'un groupe à la distribution des faveurs, se tiennent prêts à un relancement des forces. Mais il en est d'autres, et de plus en plus nombreux, qui s'organisent dans une autre direction, pour assurer le droit de tous à une vie d'honnête aisance dans un pays de richesses, pour un parlement libre de toute attache à des intérêts privés et composé de membres qui n'aient d'autres maîtres que ceux qui les députent.

Le mouvement créditiste

Le mouvement créditiste est bien en train dans plusieurs provinces, mais nulle part, croyons-nous, autant en progrès que dans la province de Québec. Trente-huit comtés, au moins, ont déjà leur structure d'organisation, plus ou moins forte, mais capable de développement rapide en largeur et en profondeur; les vingt-sept autres comtés ne manquent pas d'individus, non encore organisés en groupes, mais capables de le faire sans plus de délai.

Mais le Crédit Social n'est pas un parti politique dans la province de Québec! Non, et c'est justement pour cela que le mouvement créditiste est un mouvement de démocratie nouvelle, un mouvement véritablement démocratique.

Mais la Ligue du Crédit Social de la Province de Québec n'est pas une organisation politique! Non, mais les citoyens formés par la Ligue éducationnelle du Crédit Social sont admirablement préparés pour faire de la politique, de la saine politique, de la politique éclairée; et ils manqueraient au devoir qu'a tout citoyen de s'occuper, dans la mesure de ses capacités, de la chose publique s'ils demeuraient sous leur tente lorsque l'heure est venue de traduire leurs principes dans la réalisation.

La Ligue du Crédit Social groupe des citoyens et des citoyennes en comités pour l'étude et l'action. Ces mêmes citoyens et citoyennes sauront se grouper pour presser l'appel à l'union de tous les électeurs autour d'un programme de résultats et faire la lutte aux prêcheurs de division, aux propagandistes de programmes de méthodes propres à assurer les résultats imposés par la haute finance.

Le Crédit Social porte en lui-même la force la plus dynamique, parce que c'est la force de la multitude éclairée qui s'unit contre un ennemi commun. Cette force triomphera-t-elle ? Tout dépend de ceux qui la tiennent entre leurs mains. Rien ne lui résiste, mais il faut la mettre en oeuvre. L'adversaire est faible en nombre, mais puissamment financé. C'est à nous, qui connaissons le Crédit Social, à nous qu'il incombe d'en répandre la lumière autour de nous. De le faire tout de suite et sans arrêt.

La philosophie des taxes et des dettes pâlit devant celle des dividendes et de la distribution de l'abondance. Les cauchemars des budgets impossibles disparaissent devant la libération des possibilités techniques. Le créditiste est cent mille coudées au-dessus du politicien de la rareté et de la privation.

Allons-y donc hardiment. Il ne tient qu'à nous, par une action enthousiaste mais constante, de balayer de la province de Québec les pygmées de la cour fédérale de Sa Majesté Bancocrate.

Le mouvement Herridge

Mais qu'est-ce que le mouvement Herridge et que faut-il en penser ? N'appelle-t-il pas son mouvement "Nouvelle démocratie" ? Oui.

Comment entend-il la nouvelle démocratie ? Une démocratie sans partis, sans caisse électorale ; un parlement libre pour donner des résultats.

Quels résultats ? Les réformes nécessaires pour remplacer l'asservissement des Canadiens aux puissances d'argent par l'assouplissement du système au service des Canadiens.

Si Herridge se présentait en fondateur d'un nouveau parti, avec une caisse électorale centrale, on pourrait soupçonner un nouveau costume pour déguiser le même acteur.

Mais il y a une différence du tout au tout. Aussi n'avez-vous pas vu la grande presse à solde et à consigne faire beaucoup de publicité autour du discours qu'il prononçait à Vancouver le 3 mai dernier.

C'est un mouvement de révolte que prêche Herridge, révolte contre les forces de la réaction, contre les forces qui refusent toute réforme libératrice des puissances d'argent. Et il condamne la politique à caisse électorale :

"L'aile économique de la réaction a toujours donné de l'argent aux vieux partis. Je crois que c'est la pratique acceptée des partis, tant libéral que conservateur, de prendre des contributions financières des intérêts privés. On appelle cela caisse électorale. Cette pratique est si vénérable que bien des gens en sont venus à la considérer comme essentielle au bon fonctionnement du système. Je suis d'opinion contraire. Je maintiens qu'elle paralyse le système. Les partis politiques qui reçoivent des argents des intérêts privés doivent sacrifier leur indépendance en échange. Ces contributions unissent les forces de la réaction en une cause commune, et cette cause n'est pas la cause du peuple.

"Cela saute aux yeux. Pourquoi une grande compagnie fournit-elle de l'argent aux partis, libéral et conservateur ? Est-ce pour leur inspirer de mieux servir le public ? Est-ce pour les persuader de briser les monopoles, d'abaisser les tarifs et les prix ? Je ne le crois pas. Quand une compagnie verse de l'argent, elle a bien l'intention de recevoir quelque chose en retour. Elle poursuit ses propres intérêts."

Herridge réclame un parlement libre qui s'emploie à servir le peuple. Nous ne l'avons pas avec le système de partis :

"Pourquoi notre niveau de vie est-il si honteusement bas ? Seul le Parlement a le droit de réformer le système économique et le rendre apte à distribuer ce que nous sommes capables de produire. Pourquoi le Parlement n'exerce-t-il pas ce droit ? En est-il incapable, ou ne le veut-il pas ? Nulle personne sensée ne soutiendra qu'il est impossible de trouver un moyen de distribuer ce que nous pouvons produire. C'est donc que le Parlement ne veut pas exercer son droit. Et je le crois.

"La réaction contrôle le Parlement. Il ne peut donc y avoir de réforme. Le peuple veut l'action. La réaction veut l'inaction. Le Parlement est ainsi le gardien du laisser-faire, un spécialiste dans l'art de ne rien faire."

Le résultat de cette inaction sous l'empire des forces qui contrôlent le parlement en contrôlant la caisse électorale des partis :

"Nous sommes un peuple exploité. Nous devrions être à travailler pour nous-mêmes dans la nouvelle économie de l'abondance. Nous travaillons pour d'autres dans la vieille économie de la rareté. Nombre de nos patrons ne vivent même pas au Canada. Nous sommes un peuple exploité et, comme tels, nous servons le promoteur étranger. Le chômage règne, mais notre dollar étranger continue de briller. Nous sommes le terrain de chasse apprécié de la finance internationale.

"...Visitez les hôpitaux. Visitez les maisons des pauvres. Vous verrez des choses qui dégraderaient une nation d'esclaves ─ ici, au Canada, dans le pays le plus riche du monde."

Y a-t-il beaucoup de différence entre ce langage et celui auquel nous ont habitués les exposés oraux ou écrits du Crédit Social ? Écoutez encore :

"Jusqu'ici la production a été abaissée au niveau de notre pouvoir d'achat. Il est temps d'élever le pouvoir d'achat au niveau de notre capacité de production. Pour cela, il faut réformer le système monétaire. La Banque du Canada doit être l'instrument pour arriver à cette fin. La finance orthodoxe nous dira que ça ne s'est jamais fait. Elle ne doit pas nous dire que ça ne peut pas se faire, parce que ça se fera, et ça se fera sous le système capitaliste. À l'avenir, ce système servira la prospérité plutôt que les gros profits. Le système capitaliste est un bon système quand c'est le peuple qui le conduit. C'est un mauvais système quand il conduit le peuple.

"... Tout citoyen a droit à la vie... La Nouvelle Démocratie veut la production pour le consommateur, et la distribution basée sur la capacité de production... La seule base de la démocratie est la sécurité économique... Le citoyen ordinaire réclame deux choses : la sécurité et la liberté."

Conclusion

Il ne faut donc pas s'étonner que les créditistes de l'Alberta et des autres provinces de l'Ouest aient fait un accueil chaleureux à ces déclarations de l'Hon. William D. Herridge. Dans la province de Québec, on n'en a guère eu connaissance. C'est trop important pour nos journaux.

Mais tout cela ne va-t-il pas créer de la confusion et désorienter l'électorat ? La Nouvelle Démocratie ne va-t-elle pas nuire au Crédit Social ou vice versa ? Nous ne voyons pas bien comment le soleil puisse nuire au jour, ou le jour au soleil ?

Si c'est tellement semblable, pourquoi alors des noms différents ? Ce sont deux aspects d'une même solution. Le Crédit Social réclame une réforme économique pour le bien commun, par une législation fédérale faite par un parlement qui serve le peuple au lieu de servir les intérêts financiers. La Nouvelle Démocratie réclame un parlement fédéral libre qui, au lieu de servir les intérêts financiers, serve le peuple en instaurant une réforme économique pour le bien commun.

Que vaut-il mieux prêcher : une réforme économique faite par un parlement libre, ou un parlement libre pour faire une réforme économique ?

Posez la question autrement : Vaut-il mieux insister sur la fin, et montrer ensuite le moyen pour arriver à cette fin ? Ou bien, vaut-il mieux presser l'emploi du moyen en indiquant à quelle fin il conduira ?

Personnellement, nous préférons la première manière ; car si le moyen précède la fin dans l'ordre du temps, la fin précède le moyen dans l'ordre du raisonnement. Aussi nous réjouissons-nous d'avoir contribué pour notre petite part depuis trois ans à éclairer le public du Canada français sur l'objectif économique à chercher. L'exposé des moyens devient un jeu. Il n'y a pas un créditiste qui ne sache ce qu'il faut faire pour instaurer le Crédit Social.

Herridge vient plus tard, c'est plus pressé. Il a moins de temps à donner à l'éducation. Cela fera croire à plusieurs que ce n'est qu'une prédication pré-électorale. Personne ne peut nous faire ce même reproche lorsque nous parlons de Crédit Social.

Les circonstances forcent Herridge, que jusqu'ici nous croyons sincère et droit, à agir comme il fait. Nous, plus heureux, avons eu l'opportunité de faire œuvre éducationnelle plus profonde. Le bénéfice en sera à la population canadienne-française.

Comment cela ? Parce qu'un peuple a les représentants qu'il mérite. Un peuple éclairé aura nécessairement des représentants éclairés. La démocratie sans partis, la véritable démocratie trouvera ses adhérents et des candidats qui se feront élire dans toutes les provinces. Mais les électeurs et les élus des collectivités qui ont étudié le Crédit Social seront mieux éclairés et brilleront, croyons-nous, comme des lumières au milieu des autres. L'Alberta est dans ce cas. Mais le Canada français aussi. Et le Canada français a, de plus, l'avantage de la philosophie catholique que tout homme apprend en étudiant le catéchisme, la philosophie à la base de toute sociologie saine.

Continuons donc de nous instruire de la chose publique, de nous grouper dans les comités ou équipes d'étude et d'action que multiplie la Ligue du Crédit Social de la Province de Québec. L'heure venue, nous fournirons à Ottawa la meilleure députation de toutes les provinces du Canada, une députation d'hommes nourris de principes directeurs, appuyés dans la droite voie par un corps électoral dont le vote sera le résultat de l'étude, dont la vigilance sera maintenue en permanence par la continuation de l'étude, de l'effort intellectuel.

Et si l'on a bien compris la manière dont nous entendons le groupement des représentants du peuple autour des questions à l'étude dans une démocratie sans partis, on nous permettra de conclure, toujours selon notre point de vue, que nous avons là — dans une députation supérieure — un meilleur moyen de faire valoir nos droits qu'en rapetissant les cadres par la formation d'un parti sous un nom quelconque. Il n'y a pas de conflit réel entre les intérêts des membres ou des groupes d'une même nation, lorsque ces membres ou ces groupes tiennent compte du bien commun, surtout dans un régime où l'abondance est possible pour tous sans léser personne. Mais il naît une foule de conflits lorsqu'on se bouscule autour d'une table artificiellement dégarnie, lorsque la politique consiste à se disputer l'honneur d'être les valets rémunérés d'un maître irresponsable.

La philosophie du Crédit Social, philosophie du bien commun dans le domaine de la distribution des biens temporels, apprend naturellement à voir grand, à voir Canadien, à voir social, à voir humain. C'est avec cette vision que l'on construira la démocratie nouvelle, la véritable démocratie, la démocratie de l'ordre dans la cité temporelle.

Louis Even

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