Dieu merci, chez nous, le communisme est encore un sujet d'horreur. Il pourrait prendre possession du pays, il est vrai, plus vite même que l'on s'imagine, car ses manières sont soudaines et violentes, mais au moins il répugne à la masse, il n'est pas accepté.
On ne peut en dire autant du socialisme d'État. Socialisme d'État, le terme ne fait plus peur. Socialisme tout court — on regimberait encore. Mais socialisme d'État — n'est-ce pas une chose fort légitime, puisque c'est le gouvernement qui l'établit ?
Puis, demandera-t-on, est-ce qu'il ne vaut pas bien mieux avoir le socialisme d'État que le communisme ? Comme s'il n'y avait de choix qu'entre le communisme et le socialisme d'État !
D'autres montreront les succès du socialisme d'État dans les pays où il est un fait accompli. Ils compareront, par exemple, la sécurité économique de la masse dans l'Allemagne d'avant-guerre, où tout le monde travaillait, avec la pauvreté abjecte des millions de chômeurs de nos démocraties pendant la même période. Comme s'il n'y avait pas d'autre alternative, comme s'il était impossible de jouir de la production, pourtant abondante, tant que l'État n'enrégimente pas les travailleurs libérés par le progrès.
Mais qu'est-ce que le socialisme d'État ?
"Le socialisme d'État, aussi appelé étatisme, n'est ni plus ni moins que le procédé par lequel l'État s'efforce de se substituer peu à peu aux individus dans la possession de tous les biens ou l'administration de toutes les fortunes, surtout dans la gestion de la grande industrie.... Le Socialisme d'État signifie l'ingérence graduelle et dissimulée du pouvoir public dans tous les domaines des affaires qui doivent demeurer privés." (Damien Jasmin, La Propriété Privée et les Systèmes Opposés, de Platon à Lénine.)
Ainsi défini, il y a socialisme d'État avant même qu'on en soit rendu au totalitarisme. Le socialisme d'État ne vient pas par une révolution sanglante, comme le bolchévisme ; ni par un coup d'État, ni par un soulèvement des masses. Il vient par une "ingérence graduelle et dissimulée".
Le socialisme d'État se présente comme un correctif. Il introduit une série de mesures pour remédier à des conditions insupportables. Au lieu de supprimer la cause des conditions devenues insupportables, il les prend comme point de départ, blâme l'industrie privée et cherche à la remplacer. Cela fait partie du grand plan pour l'établissement du super-État universel.
La stratégie de la puissance occulte qui joue les cartes est très simple, mais efficace. Premier degré : créer des conditions insupportables ; deuxième degré : ingérence de l'État avec des améliorations économiques qu'il fait payer par des pertes de liberté. La puissance occulte, qui se sert du système financier pour mettre l'entreprise privée en mauvaise posture, relâche opportunément le même système financier en faveur de l'entreprise d'État pour lui gagner la faveur.
Ou bien encore, le gouvernement invisible verra à ce que le gouvernement visible reste immobilisé pendant des années de détresse générale. Le mécontentement se généralise. Les éléments anarchiques s'agitent. C'est le moment psychologique : les mesures de socialisme d'État sont présentées comme une planche de salut, "pour empêcher la révolution communiste".
Le major Douglas, l'initiateur des théories créditistes, exprime la même idée dans le Social Crediter du 17 avril dernier :
"Généralisée, l'idée consiste à développer une situation intolérable, puis à vous en sauver en vous en faisant accepter une à peine tolérable. Vous êtes menacé d'aller jusqu'à Moscou si vous n'acceptez pas d'aller à mi-chemin de Moscou. Si vous n'aimez pas Churchill, essayez Emmanuel Shinwell."
On verra probablement — on l'a déjà vu — recommander l'adoption de plans Beveridge, ou Beveridge canadianisé par Marsh, pour éviter le désarroi d'avant-guerre qui pousserait à la révolution.
Pour éviter un plus grand mal, dit-on, et que ne permet pas cette formule ! Se faire couper les bras pour conserver sa tête. N'est-il donc plus possible de garder sa tête sans sacrifier les bras ?
Deux facteurs contribuent à l'ascension rapide du socialisme d'État : ses apparences inoffensives et ses succès matériels.
L'auteur cité plus haut, Damien Jasmin, écrit dans le même ouvrage :
"Le socialisme d'État est le plus dangereux, parce qu'on ne le discerne pas. Il s'infiltre lentement, mais sûrement, dans toutes les sphères de la société, par les détours les moins perceptibles, l'hypocrisie la plus subtile.
"Il est le serpent qui se glisse sans bruit, s'insinue invisible dans l'herbe jusqu'à sa proie qu'il dévore sans que cette dernière en ait eu connaissance." (Damien Jasmin)
Il prend possession des lieux avant qu'on s'en aperçoive. C'est une fois le coup accompli, une fois la main du gouvernement irrémédiablement appliquée, que le citoyen se rend compte de sa situation. Trop tard. Selon la remarque du même auteur :
"Après s'être introduit graduellement et insensiblement, à un moment donné (auquel nous touchons), le socialisme d'État a un tel pouvoir que les citoyens, un beau matin, s'aperçoivent qu'ils sont ficelés, muselés et réduits à une telle impuissance qu'ils ne peuvent plus jamais se libérer sans une sorte de miracle ou de catastrophe providentielle." (Damien Jasmin)
Le socialisme d'État vise un objectif ; mais pour y arriver, il prend le temps voulu et procède avec astuce. Un observateur attentif de notre pays remarque :
"Le socialisme d'État, pour étendre son emprise, ménage d'abord ceux qui pourraient s'opposer à ses progrès. Ici, il a ménagé l'Église jusqu'à présent. Elle sera étranglée, la dernière, mais elle le sera infailliblement. Si on ne l'opprime pas maintenant, c'est pour qu'elle se taise et ne songe pas à s'opposer au danger grandissant."
Bien candide, en effet, qui croirait qu'une force procédant du diable respectera l'Église jusqu'au bout. Elle manifeste des égards pour le clergé le temps qu'il faut pour ne pas l'avoir devant soi dans sa marche envahissante. Mais une fois solidement en position, elle achèvera son œuvre, sans merci.
Il y a quelques années, un évêque de Montréal, Mgr Gauthier, condamnait publiquement la C.C.F. Depuis, la C.C.F., sans se départir de son objectif, a mis dans son vin l'eau nécessaire pour ne pas soulever l'opposition du clergé dans la province de Québec. Et aujourd'hui, on la laisse faire. Elle obtient même l'usage de salles paroissiales qu'on se fait scrupule de louer aux créditistes.
Le socialisme d'État tire aussi avantage des succès matériels qu'il a obtenus dans certains pays. Nous spécifions bien : succès matériels, c'est-à-dire augmentation de production matérielle et relèvement du niveau matériel de vie des masses. C'est le cas dans les pays de l'Axe avant la guerre, et aussi en Russie où le communisme a pris, sous Staline, une forme plus rapprochée du socialisme d'État.
Si la production matérielle était le seul but de la vie des hommes — comme certains réformateurs de chez nous semblent le croire, à examiner leurs formules — le socialisme d'État ne serait peut-être pas à repousser. N'y recourt-on pas comme mesure de guerre, justement pour pousser la production à son extrême ? Si l'on n'y réussit pas encore au Canada, on y est arrivé en Allemagne.
Mais il y a autre chose pour faire le bonheur de la personne humaine. Passé un certain minimum vital, les hommes qui ont encore le droit de choisir préfèrent généralement garder leur liberté plutôt que la sacrifier à l'accroissement de la production de biens matériels.
Les fervents de la rationalisation à outrance ne comprennent pas cela, et c'est pour eux que le Pape a écrit dans son Encyclique le passage cité ailleurs dans ce numéro (Voir "Plans de Production").
Au Canada, le socialisme d'État n'est, hélas ! plus une simple menace, c'est une réalisation déjà avancée. Mais que ne fait-on pas accepter à une population qu'on a commencé par jeter dans la misère et le désarroi économique ?
Il ne sert pas à grand'chose, non plus, de se lamenter devant les proportions que prend l'étatisme. Le meilleur moyen d'y faire obstacle serait encore de corriger par une autre méthode des conditions économiques devenues intolérables. Et c'est ce que ferait merveilleusement le Crédit Social.