Sous ce titre d'une actualité angoissante, M. René Bergeron, conférencier de l'École Sociale Populaire, publiait récemment un volume qui mérite plus qu'une lecture hâtive, mais une méditation profonde. Je n'entreprends pas ici la critique de son livre : il me semble qu'on ne doit qu'apprécier un tel travail ; je poursuis simplement tout haut cette méditation dans laquelle sa lecture m'a jeté. À la suite de M. Bergeron, je vous entretiendrai aussi du corps mystique de l'Antéchrist, en ouvrant une perspective qui m'apparaît capitale.
Le corps mystique de l'Antéchrist est une hydre, un monstre à plusieurs têtes. M. Bergeron en mentionne trois : le communisme, la franc-maçonnerie, le nazisme. Je crois lui en connaître une quatrième, de beaucoup la plus importante : le système monétaire qui commande encore l'ensemble d'un monde pseudo-civilisé.
Hélas ! si aucun parmi ceux qu'on a accoutumé d'appeler les bien-pensants, n'irait contester les horreurs du nazisme et du communisme et la nocivité presque inimaginable de la maçonnerie, un trop grand nombre ignore l'illogisme, la stupidité et la pourriture encore plus inimaginable de notre système monétaire.
Depuis quelque temps, j'ai lu la plupart des volumes qu'ont publiés ici nos hôtes français, et quelques autres volumes moins récents, écrits en France, avant le désastre, sur les grands problèmes du jour ; j'ai pu y toucher du doigt, au sein d'une science incontestable et d'une connaissance avertie du problème social, dans des pages d'une grande érudition et d'autres d'une grande profondeur, l'ignorance officielle d'un certain monde français, du problème monétaire à son plan propre. Tout au plus quelques allusions plus ad hoc que la texture des clichés et des poncifs, mais très générales et très lointaines la plupart du temps. L'ensemble parque, il va de soi, dans les cadres d'une économie orthodoxe périmée.
À noter surtout certains de ces auteurs montrent une connaissance matérielle remarquable du problème monétaire : dates de crises et autres, statistiques au point, spéculations de coulisses et tractations secrètes, etc., tout y passe ; mais presque tous affichent une ignorance flagrante du problème formellement pris.
Et si l'on songe que la France est, pour ainsi dire, le meilleur endroit pour tâter le pouls de la pensée universelle, nul créditiste ne s'étonnera que je souligne, devant une telle aberration ou une telle conspiration de l'intelligence française, que, en toute vérité, "le monde n'échappe pas aux anges."
C'est là la grande vérité que monte en épingle M. Bergeron, et qu'il trouve regrettable, avec raison, de ne pas voir prêcher d'une façon plus concrète et plus vivante.
Entre parenthèses, espérons que les bons anges réussissent, sur ce point, à battre les mauvais, dans la France de Pétain. En effet, le vénérable vieillard qui préside aux destinées de la France, immensément plus grand au gouvernail d'un navire qui prenait eau de toutes parts qu'il ne l'était dans la splendeur de Verdun, a donné un coup de barre monétaire et financier dans le bon sens, si l'on en juge d'après certains de ses discours et des réformes déjà posées. En France, comme ailleurs, il n'y a pas que les penseurs officiels.
Oui, le monde n'échappe pas aux anges et c'est souvent la seule explication plausible que l'on puisse donner à la profondeur, à l'universalité et à l'enchevêtrement de certains, problèmes, n'en déplaise aux esprits émancipés, à la fois libres et forts penseurs.
Il arrive de plus, et c'est un confirmateur, que certains de ces problèmes sont de soi les plus simples, d'une connaissance directe, au moins dans leur ensemble, et que ainsi, seul un appel à des puissances occultes, préternaturelles, peut expliquer l'aveuglement obtus et à peu près universel de gens par ailleurs intelligents, savants même dans tel ou tel domaine particulier. Que voulez-vous ? Dans les temps de folie que nous vivons, nous sommes tous plus ou moins maboules : on devient à ce point barbouillé de savoir qu'on en perd le sens commun, le simple bon sens.
Tel est bien le problème monétaire. Il est analogiquement dans le cas du problème de l'être, dont la connaissance directe est la plus simple et la plus commune, la connaissance réflexe la plus difficile et la plus rare.
Si l'on songe au mystère dont on s'est plu à entourer la question de l'argent, à la spécialisation outrancière et inhumaniste de ceux qui ont créé, ou plutôt consacré la doctrine monétaire en cours, aux pionniers et aux maîtres de la finance moderne, le plus souvent de simples aventuriers pour ne pas dire davantage, on s'aperçoit que ce n'est pas pour simplifier le problème.
Et la réussite apparente, pragmatiste, est si puissante même sur les intellectuels qui se prétendent le plus éloignés de tout pragmatisme ! L'accord avec le monde des potentats du jour, dans le savoir et dans la vie, donne tant de sécurité et par de si multiples voies !
Une des principales demandes à faire à Dieu pour le salut de la chrétienté et de la civilisation, c'est bien la suivante : "Seigneur, dépouillez nos penseurs et nos maîtres de l'esprit géométrique et donnez-leur l'esprit de finesse !"
Bien souvent, il fut rappelé, et on l'a fait ici même dans ce journal, que satan est singe de Dieu. Comme il est la plus puissante des intelligences créées, nous comprenons qu'il comprenne que les méthodes divines sont les meilleures. D'ailleurs, Lucifer n'a-t-il pas voulu et ne veut-il pas toujours prendre la place de Dieu. Ut Deus ! Comme Dieu !
Il Le singe donc, et il n'est pas une vérité religieuse, un dogme, un moyen de salut éternel, qu'on ne puisse retrouver renversé, à rebours, dans cette contre-Église de la terre que s'efforce de construire le prince des ténèbres. Satan grimace les sourires du Christ, il parodie son amour.
Ainsi l'argent, le monde de l'argent tel que constitué, figure le sang du Christ, en est la singerie horrible. Sa possession mène à tout, permet tout, rachète les pires vilenies, ouvre toutes les portes et assure la domination en un monde où tous, individus comme sociétés, à commencer par les gouvernements, manquent sans cesse d'argent.
Nous reviendrons sur ce point, car nous voyons déjà lever les objections dans l'esprit de ceux qui crient dans le désert, comme nous-mêmes pour la vérité particulière que nous prêchons, que la clef du succès, c'est d'abord le travail, la compétence. Loin de nous la pensée de nous insurger contre un tel truisme. Il suffit de distinguer pour constater que les deux énoncés peuvent être vrais en même temps.
Poursuivons un brin l'analyse de notre assertion que le monde actuel de l'argent est le serviteur de la contre-église.
Le corps mystique de l'Antéchrist est un fait. Il a, comme le corps mystique du Christ, sa tête, son Église, ses temples, son culte, ses organes, son sang, son esprit. Il a même ses Écritures.
Sa tête : Satan. Son Église, et une, et sainte, et catholique, et apostolique.
Une ! Elle est la même partout, identique à elle-même, mystiquement fidèle à ses idéaux, à son esprit, à ses dogmes, à sa morale, à sa liturgie. Et d'une unité proprement mystique. C'est ce qui explique qu'elle s'accommode de doctrines, de camps en apparence ennemis, qu'elle ait aidé l'avènement du nazisme comme celui du communisme, même si le nazisme croit et semble, à une réflexion superficielle, lui avoir échappé. C'est ce qui explique qu'elle cultive la franc-maçonnerie comme la prunelle de ses yeux. Ici aussi, la distinction vaut entre l'âme et le corps de la contre-Église,
En surface, ces clans peuvent paraître opposés. Du niveau d'où nous les regardons, dans la fumée des batailles et des polémiques, ils nous apparaissent comme les touches noires et blanches d'un immense clavier dont le démon tire la cacophonie que nous connaissons. Cacophonie pour nous, mais incomparable harmonie pour ceux qui voient, pour leur profit immédiat, les peuples s'embourber dans des maquis de dettes impayables, les gouvernements pousser plus avant dans le labyrinthe des crédits fictifs, truqués et usurpés, crédits assis sur d'autres crédits, qui eux s'asseoient sur d'autres encore, pour être basés en définitive sur rien, sur la pire fumisterie de l'histoire.
Finance bâtarde, salmigondis de turpitudes, de mensonges, de savoir sans âme, fruit du viol de la vraie science !
Qu'on me passe pour le moment, car l'espace manque, l'explication des trois autres notes de la contre-Église. Quant au reste, tous connaissent assez ses temples, parmi lesquels on peut aussi compter, toujours comme dans l'Église véritable, des cathédrales et des basiliques ; tous connaissent son culte, son Esprit et ses Écritures.
L'argent actuel, i.e. le crédit pour environ 95%, est le sang du monstre qu'est cette société. L'organisation financière, ses multiples institutions et ses canaux, représente le cœur, tout le système de circulation du sang. Les autres organes sont toutes les hérésies qui peuvent courir le monde, abstraites ou incarnées.
D'où l'on voit sur-le-champ tout ce qu'il y a d'irréel, de fictif, de foncièrement inorganique, de mensonger, dans un corps en un perpétuel devenir en quelque sorte négatif, mais lequel devenir lui permet de tirer profit de tout dans un opportunisme essentiel.
Un singe demeure toujours un singe, une singerie une singerie.
Nous pourrions tirer des lignes précédentes l'explication mystique du fait que les enfants de ténèbres peuvent réussir plus facilement, dans le monde, que les enfants de lumière, mais dans un sens pragmatiste qui mène l'univers au désastre.
Dans notre monde présent, il va de soi que le communisme, la franc-maçonnerie et le nazisme sont les trois principaux de ces organes bâtards. Tout de même, le cas du nazisme est particulier. Nous en reparlerons. Satan est encore plus fin qu'on ne le pense généralement et, comme il craint la défaite précisément au moment où il semble triompher car l'expérience du passé l'a rendu circonspect, il se ménage des portes de sortie. Le nazisme pourrait bien en être une.
Enfin, rappelons qu'il n'est pas de l'essence de l'argent de jouer dans le monde le rôle irrationnel et diabolique qu'il joue. Prétendre le contraire serait du manichéisme. L'argent est une créature faite pour servir à sa place, pour servir l'économique, le politique, l'homme, et non pour être servie par eux.
Le comprennent en acte vécu concrètement, ceux-là seulement qui savent bien qu'il n'existe pas de phénomène économique ou financier pur, car toutes les formes d'activité sont étroitement liées.
Aussi faudrait-il écrire au fronton de l'édifice de l'économie nouvelle, surtout créditiste : que nul n'entre ici, s'il n'est qu'économiste ou financier. "T'es trop petit, mon ami !"
"Les amateurs d'arithmétique primaire préfèrent l'amour des profits au culte de la personne." Le Crédit Social hiérarchise les deux amours.