Pierre et Louis parlent de la guerre. Il faut bien parler de la guerre quand tout le monde ne parle que de cela, que nos gouvernements ne discutent que de cela, et que les journaux n'écrivent que de cela.
Pierre et Louis parlent de la guerre. Sur les événements d'outre-mer, passés ou futurs, ils répètent ce qu'ils lisent dans les journaux. Ils traduisent littéralement tout, faits et commentaires. Que voulez-vous qu'ils disent d'autre ? On ne connaît que ce qu'on apprend, et les journaux sont de grands professeurs de notre peuple.
Pierre et Louis, répétant ce que les journaux écrivent, ce que les journaux des alliés écrivent, expriment naturellement des idées tout autres que celles qu'ils exprimeraient s'ils vivaient en pays ennemi, car les journaux nazis disent exactement le contraire des journaux alliés.
Parce que Pierre et Louis sont en pays allié, on peut donc conclure qu'ils pensent dans leur esprit justement le contraire de ce qu'ils penseraient s'ils étaient en pays nazi. Mais on ne peut pas conclure que Pierre et Louis ont un esprit personnel, on ne peut pas dire qu'ils ont développé leur faculté de penser. Ils sont incapables d'analyser ce qu'ils lisent.
Sur les faits qui se passent au gouvernement, sur les lois votées par nos grands hommes d'État, Pierre et Louis répètent, en partie seulement, ce que, les journaux disent. Sur les faits qui les affectent directement, le vote de la loi de mobilisation par exemple, sur ces faits, Pierre et Louis réagissent un peu. Et si les journaux, n'expriment pas exactement ce que Pierre et Louis sentent, Pierre et Louis se permettent d'exprimer leurs sentiments personnels.
Pierre et Louis sentent vivement ce qui les atteint dans leur chair. Et pour cela, on peut dire que Pierre et Louis ont un corps en propre, un corps qui sent.
C'est dommage que Pierre et Louis, en plus de ce corps qui sent ne possèdent pas un esprit qui pense ! Alors Pierre et Louis ne seraient pas le jouet de gens qui pensent pour eux. Pierre et Louis sauraient prendre des positions personnelles et réagir à temps vis-à-vis des faiseurs d'opinions. Et Pierre et Louis n'auraient pas à souffrir dans leur corps ce que l'esprit des autres leur a préparé.
Comme ils sont nombreux les Pierre et les Louis dans notre province de Québec !
Pourquoi donc nous a-t-on formés à tout gober ce que les autres disent, à nous incliner toujours, à nous soumettre à toutes les autorités, compétentes ou non, pour la seule raison qu'elles sont des autorités "reconnues" ? Nous avons tellement l'habitude de ne pas nous servir de notre propre jugement que nous n'en avons plus de jugement.
Faudra-t-il une catastrophe comme celle qui se prépare chez nous pour que nous apprenions à réfléchir avec notre tête et non plus avec celle des autres ?
Il semble qu'en ces temps de trouble et d'effroi, cette pensée mérite d'être méditée, et longuement méditée.
MARIE
