«La terre et toute la création sont un don précieux que Dieu a mis entre les mains des hommes, mais, en définitive, on abuse de la nature parce que la personne humaine n’est plus au centre et qu’on rend un culte idolâtre à l’argent.» |
Le Pape François va rendre publique dans quelques semaines sa deuxième lettre encyclique, qui portera sur l’écologie, ou le respect tant de l’environnement que de la personne humaine. C’est un thème très actuel, qui fait ressortir les contradictions du système financier actuel, grande cause de la pollution et de la destruction de l’environnement: d’un côté vous avez les économistes et politiciens qui disent qu’il faut consommer davantage pour créer des emplois, et de l’autre des environnementalistes qui disent qu’il faut consommer le moins possible afin de sauvegarder l’environnement. (L’environnement sera sauvé, mais il y aura moins d’emplois.)
Comme le comprennent les créditistes de Vers Demain, c’est l’environnement qui est la réalité, et l’argent n’est que le signe, et pourtant, c’est la réalité qui est sacrifiée en faveur du signe dans le système actuel. Comme le dit un vieux proverbe amérindien: «Lorsque la dernière goutte d’eau sera polluée, le dernier animal chassé et le dernier arbre coupé, l’homme blanc comprendra que l’argent ne se mange pas.»
Bien sûr, lorsqu’il est question dans les médias du respect de l’environnement, on entend parfois des discours extrêmes où on va jusqu’à dire que c’est l’homme qui est l’ennemi numéro un de la planète, et que c’est lui qui devrait être éliminé. Voici des extraits d’un discours de Mgr Dominique Rey, évêque du diocèse de Fréjus-Toulon en France, prononcé à l’Acton Institute de San Diego (USA), le 23 janvier 2015, qui nous aide à voir clair dans toues ces idées qui circulent, et qui mettent en quelque sorte «la table» pour la prochaine encyclique du Saint-Père:
par Mgr Dominique Rey
Mgr Dominique Rey |
Le thème que je vais aborder avec vous, est celui de l’écologie, c’est-à-dire le regard que l’homme porte sur lui-même et sur son environnement, les menaces qui pèsent sur l’avenir de la planète, sur son éco-système sociétal et humain.
L’écologie est un des domaines d’application de la Doctrine sociale de l’Église, dont le premier principe est la centralité et la dignité de la personne humaine. C’est parce qu’il y est question de l’homme et de sa vocation, de son milieu de vie, de son écosystème, que nous ne pouvons pas nous désintéresser de l’écologie. Le mot écologie recouvre des réalités diverses. Il faut donc adopter un regard critique sur les conceptions de l’écologie qui sont incompatibles avec la foi chrétienne. Pour reprendre les mots de Chesterton, l’écologie moderne est en effet pétrie d’idées chrétiennes devenues folles…
Depuis saint Jean-Paul II, nous sommes appelés à une réelle conversion écologique. Benoît XVI a magistralement résumé cela dans l’encyclique Caritas in veritate à propos des relations entre l’homme et son environnement naturel (nn. 48-52). La conversion nécessaire aujourd’hui ne consiste pas dans le fait de savoir si l’on est convaincu ou non que nous nous trouvons face à une urgence écologique pour sauver la planète, mais à revenir à une théologie de la création.
Si le Pape François s’inscrit bien dans la droite ligne de ses prédécesseurs sur les questions dites écologiques, la nouveauté de son magistère tient assurément dans le ton employé, la vigueur de ses analyses, et la radicalité des moyens proposés. L’encyclique sur l’écologie qu’il prépare aura à n’en pas douter ces mêmes accents prophétiques.
Son homélie de la Toussaint 2014 restera comme un constat douloureux de notre capacité à dévaster la terre: «dévaster la création, dévaster la vie, dévaster les cultures, dévaster les valeurs, dévaster l’espérance». Le pape dénonce cette «folle course à la destruction» opérée par «l’homme qui s’empare de tout et se prend pour Dieu». Le Saint-Père cite notamment les effets dévastateurs de la déforestation, l’appropriation de l’eau, les pesticides inadéquats, le changement climatique, la perte de la biodiversité… Il n’hésite pas à voir à la racine de cette attitude l’idolâtrie du dieu argent. «Un système économique axé sur le dieu argent a besoin de piller la nature pour soutenir le rythme frénétique de consommation qui lui est propre.» Les premières victimes des catastrophes écologiques sont toujours les pauvres, les plus vulnérables économiquement.
Le Pape François répète que ce qui prévaut aujourd’hui, ce n’est pas le souci pour l’homme, c’est le culte de l’argent et du profit: Hommes et femmes sont sacrifiés aux idoles du profit et de la consommation. C’est la «culture du rebut». La pauvreté finit par faire partie de la normalité des choses. Le cours de la Bourse est devenu plus important que la vie des personnes: les êtres humains sont mis au rebut, comme s’ils n’étaient que des déchets.
«Cette culture du rebut tend à devenir une mentalité commune, qui contamine tout le monde.» Le consumérisme crée une véritable «industrie de la destruction», où l’on jette les choses que l’on n’arrive pas à utiliser. Dans ce système productiviste, la personne elle-même n’est évaluée qu’en fonction de son utilité, de sa performance. Elle est traitée à la manière d’un bien de consommation. Des styles de vie égoïstes et une mentalité de consommation exagérée ont conduit à cette « mondialisation de l’indifférence» et à la «culture du déchet», bien éloignée du «soin de la fragilité».
Écologie de l’environnement et écologie humaine vont de pair: le Pape n’a pas manqué de le rappeler lors de son discours au Parlement européen. «Respecter la nature nous rappelle que l’homme lui-même en est une partie fondamentale. À côté d’une écologie environnementale, il faut donc une écologie humaine, faite du respect de la personne.» Si la crise actuelle est largement liée à l’environnement, elle touche également l’homme. La personne humaine est en danger. Ceci justifie l’urgence d’une écologie humaine. La crise écologique n’est pas d’abord économique ou sociale, elle est anthropologique.
À de très nombreuses reprises le Pape François a dénoncé le scandale de la faim. La société de consommation nous a habitués à l’excès et au gaspillage, en particulier des aliments, auxquels on finit par ne plus accorder de valeur. Et ceci va bien au-delà des simples paramètres économiques car ces denrées sont en fait comme volées aux pauvres et aux affamés. «On ne peut tolérer que des millions de personnes dans le monde meurent de faim, tandis que des tonnes de denrées alimentaires sont jetées chaque jour de nos tables.» «La faim est un crime. L’alimentation est un droit inaliénable.»
Le Pape n’hésite pas à relier la défense de la nature et la défense de la paix: celle-ci ne sera possible que lorsqu’on cessera de détruire la terre. «Nous vivons la troisième guerre mondiale, mais fragmentée. Il existe des systèmes économiques qui doivent faire la guerre pour survivre. Alors on fabrique et on vend des armes. Ainsi des économies qui sacrifient l’homme sur l’autel de l’idole de l’argent réussissent à se maintenir.»
La référence du Pape François à Benoît XVI est explicite lorsqu’il commente les premières pages de la Genèse et le commandement de cultiver et de protéger la terre, don reçu de Dieu au profit de tous. Culture ou exploitation? «Notre terre a en effet besoin de soins continus et d’attentions; chacun a une responsabilité personnelle dans la protection de la création, don précieux que Dieu a mis entre les mains des hommes. Cela signifie, d’une part, que la nature est à notre disposition, que nous pouvons en jouir et en faire un bon usage; mais, d’autre part, cela signifie que nous n’en sommes pas les propriétaires. Gardiens, mais non propriétaires. Par conséquent, nous devons l’aimer et la respecter, tandis qu’au contraire, nous sommes souvent guidés par l’orgueil de dominer, de posséder, de manipuler, d’exploiter; nous ne la “gardons” pas, nous ne la respectons pas, nous ne la considérons pas comme un don gratuit dont il faut prendre soin.»
En définitive, on abuse de la nature parce que la personne humaine n’est plus au centre et qu’on rend un culte idolâtre à l’argent. L’indifférence s’est mondialisée, car le monde a oublié Dieu. En le mettant de côté, il est devenu orphelin. Nous pensons et vivons de façon horizontale. La crise écologique que nous vivons vient en dernière analyse du fait que l’homme a perdu la juste place qui était la sienne dans une nature qui, à l’origine, était sortie bonne et ordonnée des mains de Dieu. Il ne sera ultimement possible de retrouver cette harmonie perdue qu’en changeant profondément le cœur de l’homme et en réaxant la Création par rapport au Dieu Créateur.
On peut distinguer plusieurs visions de l’écologie dans l’appel à «de nouveaux modes de vie» qui se fait entendre dans la culture occidentale ces dernières années. Certains courants radicaux sont anti-anthropocentriques. «L’écologie profonde» rejette l’humanisme biblique et l’idée de création par Dieu, de même qu’elle refuse le fameux «Dominez la terre» de la Genèse. Suivant ces théories, l’homme n’a pas une place à part, au centre de la Création. Sa supériorité devient contingente. Défendre la nature revient alors à la protéger de l’homme, et non à préserver la nature afin de protéger l’homme.
Cet écologisme rend un culte à la nature, non pas celle qui a été humanisée par l’homme à cause de sa connaissance et de son travail, mais à un cosmos qui existe avant l’homme et sans lui. Selon la deep ecology, l’homme devrait reconnaître à la Terre des droits et se soumettre lui-même à l’impératif écologique. La terre finit par être déifiée et l’homme désacralisé.
L’exploitation aveugle et sans retenue des ressources naturelles est clairement éloignée du dessein originel de Dieu. «La domination accordée par le créateur à l’homme n’est pas un pouvoir absolu, et l’on ne peut parler de liberté d’user et d’abuser, ou disposer des choses comme on l’entend.» Il y a des limites dans l’usage de la nature visible. Quand l’activité de l’homme dégrade l’environnement, c’est la création comme bien reçu de Dieu qui est frappé. Or il y a une obligation à faire un bon usage de ce don dans un esprit de reconnaissance. Il implique d’une part une responsabilité vis-à-vis de Dieu, et comme bien commun destiné à tous les hommes, il engendre d’autre part des devoirs à l’égard des autres. On peut donc parler de péché grave contre l’environnement naturel lorsque l’homme, à l’instar de Caïn, affirme: «Suis-je responsable de la création?» (...)
Il nous est impossible de concevoir une écologie authentique autre que centrée sur l’homme et non pas uniquement sur la terre. La protection de la nature passe par celle de l’homme. Une véritable écologie ne peut être qu’humaine. Elle est non seulement respectueuse de la nature, mais aussi de tous les hommes et de l’homme dans toutes ses dimensions. On ne peut jamais considérer la nature comme plus importante que la personne humaine.
La Doctrine sociale de l’Église situe l’écologie environnementale au sein de l’écologie humaine: la corruption de la nature vient le plus souvent d’une dégradation morale. S’il existe bien une responsabilité vis-à-vis de la terre, de l’eau ou de l’air, il est surtout nécessaire de protéger l’homme de sa propre destruction. «La dégradation de l’environnement est étroitement liée à la culture qui façonne la communauté humaine: quand l’écologie humaine est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage.»
«Si le droit à la vie et à la mort naturelle n’est pas respecté, si la conception, la gestation et la naissance de l’homme sont rendues artificielles, si des embryons humains sont sacrifiés pour la recherche, la conscience commune finit par perdre le concept d’écologie humaine et, avec lui, celui d’écologie environnementale. Exiger des nouvelles générations le respect du milieu naturel devient une contradiction, quand l’éducation et les lois ne les aident pas à se respecter elles-mêmes. Le livre de la nature est unique et indivisible, qu’il s’agisse de l’environnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement humain intégral.»
La famille, première structure fondamentale, est la principale réalité au service d’une véritable écologie humaine. C’est là que la personne apprend à se respecter et se découvre comme être de relation, être-pour-autrui, appelée à s’enrichir dans l’amour et dans le don de soi. La défense de la famille fondée sur le mariage indissoluble entre une femme et un homme fait partie de la protection de l’environnement. La famille a vocation à révéler et transmettre l’amour. C’est là que l’enfant apprend à aimer la nature. C’est là aussi que peut se faire l’éducation à la responsabilité écologique.
L’exploitation abusive des ressources du monde n’est que la répétition du péché originel. Elle est le résultat de l’égoïsme et de l’avidité. L’exploitation illimitée des ressources naturelles conduit au consumérisme qui est si caractéristique de notre monde contemporain ainsi transformé en société de convoitise. Il ne s’agit plus de satisfaire les besoins vitaux de l’homme, mais ses désirs sans cesse grandissants et sans fin. L’exploitation des richesses naturelles qui découle de l’avarice et non de besoins vitaux, crée un déséquilibre dans la nature qui n’arrive plus à se renouveler, comme en témoigne les problèmes de la surpêche, de la surproduction agricole, de la déforestation et de la désertification.
Nous oublions trop souvent que l’homme n’est pas seulement un être rationnel, social ou politique, mais qu’il est avant tout une créature eucharistique, capable de gratitude et dotée du pouvoir de bénir Dieu pour le don de la création. Parmi toutes les «attitudes écologiques», la plus urgente est sûrement celle de l’adoration. Revenir à Dieu, vivre de manière radicale en relation avec lui, le mettre à la première place, c’est commencer ce travail de restauration de toute la création.
L’homme ne se réconciliera avec l’environnement que lorsqu’il redécouvrira la dignité et la grandeur de sa vocation: être fils de Dieu. Il n’y a pas d’écologie véritable sans une conversion du cœur de l’homme vers celui de son Créateur et Seigneur.
Mgr Dominique Rey