par Mgr William Adrian, Evêque
La montée du crime et de l'immoralité, aujourd'hui si alarmante dans notre pays, est due en grande partie à l'affaiblissement ou à la perte de la foi en Dieu – à l'abandon de la religion. La nature humaine est infestée par un reliquat indéracinable de sauvagerie dont elle sent toujours l'aiguillon. À la première occasion, ce honteux attrait est toujours prêt à rebondir, s'afficher et nous humilier. Ce sont d'abord des individus sans loi et désespérés qui rompent avec toute retenue de la société civilisée ; mais suivent vite des éléments sortis des réputées meilleures classes elles-mêmes.
On se lamente avec raison sur le chaos étendu résultant de l'immoralité rampante, des émeutes, des pillages et autres déchaînements anarchiques ; mais il faut bien reconnaître que rien ne pouvait mieux démolir la thèse de ceux qui prétendent qu'à lui seul, le progrès matériel suffit pour humaniser le monde. Non, et la plupart des meilleurs penseurs soutiennent que, pour être durable, la civilisation doit reposer sur les quatre piliers d'une éthique chrétienne qui sont les vertus cardinales : la prudence, la justice, la tempérance et la force.
Un progrès digne du nom - un progrès moral - ne peut être obtenu en suivant la ligne de moindre résistance. Un tel progrès devra faire face à des oppositions de la plus violente espèce. Il aura à subir le choc de tentations sensuelles. Il devra résister à l'érosion de vagues répétées lancées à l'assaut de la foi. Pour subsister à travers les tourmentes, la morale doit être authentiquement chrétienne, soutenue par une pratique définie et un enseignement d'autorité. Aveugles sont les guides qui prennent la morale comme étant une fondation en elle-même, alors qu'elle est plutôt un toit tendu au-dessus de la société et soutenu par la sanction d'une religion révélée.
Le passage, sur la scène du monde, d'une jeune fille souriante et gaie, mais modeste et pure, exprime souvent plus graphiquement l'excellence de la continence morale, la « force de s'abstenir », conférée par le christianisme, que la vie d'un ermite solitaire qui, retiré du monde, jeûne et prie.
En témoignage de cette réflexion, je choisis le cas d'une vierge de l'époque romaine, d'une adolescente pure et séduisante, dont l'exemple est, pour jeunes et vieux, une attirante invitation à une sainte émulation dans la voie de la pureté : sainte Agnès de Rome.
Je ne pense pas que le monde ait radicalement changé depuis qu'Agnès vécut sa courte vie dans le monde quelque 18 siècles et demi plus jeune que le nôtre.
C'est toujours le même monde, fort et avide, que nous connaissons aujourd'hui. Le même monde à trois têtes, que durent affronter les martyrs des trois premiers siècles du christianisme, obstrue le chemin du Ciel en notre vingtième siècle : l'orgueil, la luxure et la soif du gain se tiennent en armes contre le Royaume de Christ.
« Les temps sont mauvais ». Nous, catholiques, vivons aujourd'hui dans un siècle de paganisme. Notre gouvernement et notre société sont à peu près aussi païens que l'étaient les gouvernements et la société aux jours de la Rome païenne. Bien des hommes n'adorent plus le vrai Dieu - ils adorent plutôt, comme faisaient les Romains, à l'autel de Vénus, ou de Moloch, ou de quelque autre fausse déité des passions humaines.
Ce que le philosophe Denis disait du paganisme de Rome est encore vrai aujourd'hui : « Le paganisme était dû en grande partie à la faiblesse de son contrôle de la conduite morale, du caractère et des passions -- à la sanction accordée à toute concession faite à la bête qui, hélas ! dort dans le cœur de chacun de nous. »
Vers l'an 304, une foule nombreuse et curieuse entourait le tribunal du tout-puissant préfet de Rome. Devant lui, pâle mais calme, se tenait Agnès, à peine âgée de treize ans. Fille d'une éminente famille patricienne de Rome, elle était accusée d'être chrétienne.
Il paraît que les parents d'Agnès étaient encore païens. Mais c'était alors la coutume, chez les parents riches, de confier à une esclave-nourrice les soins et l'éducation de leurs filles jusqu'à ce qu'elles fussent d'âge de se marier. Quelques-unes de ces esclaves avaient une instruction remarquable, surtout celles qui provenaient de la Grèce. Souvent, elles étaient chrétiennes : ce fut évidemment le cas de celle à laquelle fut confiée Agnès.
Quelques jours avant cette séance du tribunal, Phocus, fils du préfet de Rome, allait à la maison d'Agnès — soit sur une invitation du père d'Agnès dans l'espoir d'arranger un mariage avantageux : soit que Phocus s'y soit rendu de sa propre initiative, parce que s'étant infatué de la beauté modeste d'Agnès, il voulait lui déclarer son amour, accompagné des promesses d'une brillante alliance.
En cette circonstance, Phocus a déployé devant Agnès une richesse d'ornements et de bijoux. Mais Agnès a repoussé froidement ses avances, lui disant : « Je suis déjà l'épouse d'un autre Amoureux beaucoup plus noble et plus puissant que vous. »
Cette réponse a stupéfié Phocus. Il demande donc avec une rage de jalousie : « Qui donc peut être cet amoureux plus noble et plus puissant que moi, le fils du préfet de Rome, moi que toutes les filles de l'empire se trouveraient heureuses d'épouser ? »
– « C'est un Prince », répond Agnès. « Un Prince dont l'épouse garde, comme la plus glorieuse des couronnes, une virginité sans tache. À cet Amoureux j'ai juré ma fidélité. » Et sur ce, elle s'enfuit.
Phocus part, abattu, mais la vengeance au coeur. Il apprend alors qu'Agnès est une chrétienne, et il en fait rapport à son père. Le père ordonne l'arrestation d'Agnès, se vantant qu'il saura bien la faire se soumettre devant la menace de châtiments.
De son siège de juge, le préfet s'adresse donc à Agnès :
« Ma fille, tu es accusée du grave crime d'être chrétienne. Persistes-tu dans cet état ? »
– « Oui », répond Agnès, « Je suis chrétienne. J'ai voué ma fidélité et ma virginité au Christ. »
Le juge, encore calme, dit :
« Je vois que tu es obstinée. Je pourrais employer la force. Mais je respecte ton âge tendre. Va donc, librement, au temple de Vesta, lui offrir un sacrifice, et tu peux dédier ta virginité à cette déesse. »
– « Oh ! Juge », plaide alors Agnès, « ne considérez pas ma jeunesse ; je ne cherche aucune clémence à cause de mon âge. J'ai refusé votre fils, qui est un être vivant ; croyez-vous que je puisse maintenant incliner ma tête devant des idoles, de simples pierres, muettes et sans vie ? »
Le préfet, avec rage :
"Ton blasphème contre les dieux mérite la mort. Mais je te donne une autre chance. Tu choisis. Ou bien tu sacrifies à la déesse avec les vierges vestales, ou bien tu seras traînée sur la place d'infamie, pour être le jouet de ceux qui ont de la virginité une tout autre idée que la tienne. Songe, aussi, à l'honneur de ta famille. »
Agnès reçoit visiblement un choc de cette menace d'être livrée sans défense à la bestialité d'impudiques. Mais elle compte sur le secours de Dieu, et c'est avec calme qu'elle répond :
« Monsieur le Préfet, si vous connaissiez seulement qui est mon Dieu, vous ne parleriez pas ainsi. Il enverra un ange pour me protéger. »
Le préfet-juge se lève alors :
"Que cette jeune fille, Agnès, convaincue de blasphème et de sacrilège, soit dépouillée de ses vêtements et exposée dans la maison de la honte ! »
Or, à mesure que les gardes dévêtent Agnès, disent les « Actes des Martyrs », sa chevelure s'allonge, descend et couvre sa modestie d'un voile pendant qu'on l'amène sous les yeux de la foule montée contre elle.
À peine les gardes l'ont-ils laissée seule dans une chambre de la maison d'infamie, qu'un ange se tient devant Agnès, lui tendant un vêtement d'une blancheur de neige, dont elle s'habille elle-même.
Le premier jeune impudique à s'approcher de la chambre est Phocus. À peine est-il entré qu'un vif éclair le frappe et il tombe mort. Ses compagnons, s'étonnant de son long délai à sortir, ouvrent la porte pour s'informer et voient son cadavre. La nouvelle est immédiatement portée au préfet.
Choqué et enragé, le préfet arrive en courant et crie à Agnès :
« Par ta sorcellerie tu as tué mon fils. Qu'est-il arrivé ? »
- « Votre fils », répond Agnès, « est entré avec de mauvais desseins, et l'ange de Dieu l'a frappé en ma défense ». — « Si cela est vrai, alors tu peux sûrement prier pour que la vie soit rendue à mon fils. »
- « Croyez-vous », réplique Agnès, que votre foi mérite une si grande faveur ? Néanmoins, je ne refuserai pas de demander cette grâce, si voulez me laisser seule. »
Tous alors se retirent. Et quelques minutes plus tard, Phocus s'élance de la chambre et court dans la rue en criant :
« Il n'y a qu'un Dieu — le Dieu des chrétiens ! Vains et inutiles sont nos temples et les dieux que nous y adorons. »
Le père est submergé. C'est volontiers qu'il relâcherait Agnès, si ce n'étaient les clameurs de la populace qui, à l'instigation des prêtres des idoles, demande la mort de la sorcière, ennemie des dieux. (Une scène analogue à celle du Jeudi-Saint devant le tribunal de Pilate.)
Le préfet remet alors la cause entre les mains de son sous-préfet. Celui-ci ordonne qu'Agnès soit brûlée vive sur un bûcher, sur la place publique. Mais les flammes ne touchent pas Agnès, tandis qu'elle prie :
"Je vous bénis Dieu tout-puissant, de ce que, par Votre divin Fils, j'ai échappé aux menaces d'hommes sans foi. Et voici que maintenant, Vous me libérez de toute crainte au milieu des flammes. Mais j'ai hâte d'aller à Vous. »
À la vue de ce miracle surprenant, où les flammes ne touchent pas Agnès, la foule n'en devient que plus furieuse pour demander la mort de la « sorcière ». Le juge alors commande à un garde d'enfoncer son épée dans la gorge de la vierge — « une double victime », devait dire saint Ambroise, « victime immolée pour la fidélité à sa foi chrétienne et à son voeu de virginité ».
N.B. — Cette histoire de sainte Agnès est tirée presque entièrement des écrits des premiers Pères de l'Église, et des « Actes des Martyrs » colligés par le Pape Damase 1er qui régna de 366 à 384, donc dans le siècle même qui avait vu la mort d'Agnès.
Mgr William Adrian, Ev. (Dans "The Wanderer", 29 janvier 1970)