Nul ne sait ni le jour ni l’heure où il devra comparaître devant Dieu... |
L'histoire suivante est véridique, et rapporte les paroles d'un vicaire d'une paroisse de France en 1943, durant la seconde guerre mondiale. Le fait est rapporté dans le livre «Petites histoires, grandes vérités, Tome 1» par Pierre Lefèvre, aux Éditions Téqui, et dans «Les morts ont donné signes de vie», par Jean Prieur:
Un soir du mois dernier, j’étais écrasé de fatigue. Dure avait été la journée: messe de 6h, mariage, enterrement, catéchisme, malades, baptême, patronage des petits, cercle d’études des grands, confessions, puis visites sur visites, au moins dix personnes venues me confier les situations les plus diverses.
Vers minuit, j’allais enfin terminer mon bréviaire, quand retentit à la porte du presbytère, un coup de sonnette dont la violence me fit malgré moi tressaillir. J’entendis la servante qui ouvrait la fenêtre afin de voir qui se présentait à pareille heure. Ne doutant pas que ce fut pour un malade, je descendis ouvrir moi-même.
Sur le seuil, une femme d’environ quarante ans joignait les mains.
– Monsieur l’Abbé, venez vite, c’est pour un malade qui va mourir!
– Madame, j’irai demain avant la messe de six heures.
– Il sera trop tard! Je vous en conjure, Monsieur l’Abbé, ne tardez pas.
– Bon, écrivez sur mon agenda le nom, la rue, le numéro et l’étage.
Elle pénètre dans le vestibule; je la vis en pleine lumière… son visage était douloureux. Elle écrivit: 37, rue Descartes, au deuxième étage.
«Comptez sur moi, Madame, j’y serai dans vingt minutes.»
La messagère me dit à mi-voix: «Que Dieu se souvienne de votre charité, car vous êtes bien las, et qu’il vous protège à l’heure du danger ». Puis elle s’enfonça dans la nuit…
Le temps de prendre mon manteau et le nécessaire d’Extrême-Onction et je partis à travers les rues désertes et obscures. Une patrouille ayant braqué sur moi le faisceau d’une lampe électrique, je montrai mon laissez-passer permanent et je poursuivais ma route en pressant le pas. Chemin faisant je songeais que j’allais dans une famille inconnue. Le nom, l’adresse donnés par la femme n’éveillaient en moi aucun écho. Elle-même, je me souvenais à peine de l’avoir rencontrée à l’église. Ma souffrance de ne pas connaître tous mes paroissiens se raviva.
Non sans peine je découvris le 37 de la rue Descartes: un grand immeuble de cinq étages aux fenêtres bien camouflées. D’un appartement s’échappait une rumeur étouffée de radio… Le portail d’entrée, n’était, par bonheur, que poussé. Je grimpai l’escalier à la lueur de ma lampe de poche et, arrivé au deuxième étage, je sonnai résolument comme un homme attendu. Un bruit de pas; le déclic d’un commutateur, le grincement d’un verrou de sûreté… la porte s’ouvrit… Un jeune homme de vingt ans me regarde avec une surprise respectueuse.
– Je viens, dis-je, pour un malade en danger de mort. C’est bien ici?
– Mais non, Monsieur l’Abbé, il y a erreur.
– Pourtant! On m’a dit au 37 de la rue Descartes, au deuxième étage.
– C’est en effet 37 de la rue Descartes. Il y a bien un jeune homme, c’est moi (et il sourit). Je ne suis pas du tout mourant.
J’avais apporté mon agenda, je le lui tendis.
– Une femme d’environ quarante ans est venue me prévenir, repris-je, c’est elle-même qui a écrit l’adresse.
– En effet, monsieur l’Abbé. Il me semble… que je connais cette écriture. Elle ressemble à… pourtant non, c’est étrange… Je vis seul avec mon frère qui est actuellement en service de nuit à l’usine. Il y a certainement erreur. La messagère a voulu sans doute écrire: «rue Desportes», et elle a mis Descartes…
.., Mieux vaut être prêt en recevant les derniers sacrements de l’Église, pour être en état d’amitié avec Dieu. |
Monsieur l’Abbé, entrez donc quelques minutes… vous êtes transi, je vous prépare un grog.
Je pénétrai dans un élégant petit salon-bibliothèque. Il y avait des livres ouverts sur le divan. Dans un angle, une petite table, une lampe basse, un poste de radio, un fauteuil de cuir fauve.
– J’écoutais, dit le jeune homme, un peu de musique hongroise retransmise depuis Vienne…
Il ferma brusquement le bouton.
– Monsieur l’Abbé, il y a deux ans que je désire vous parler. Je n’osais aller vous trouver… le hasard de cette nuit est vraiment prodigieux.
Il sourit tristement:
– Je suis un enfant prodigue.
Assis contre moi, sur le divan, il me raconte toute sa vie. Je le quittai, l’ayant réconcilié avec son Dieu. Je me hâtais alors vers la rue Desportes, songeant à l’extraordinaire visite que je venais de faire… Mais nous, prêtres, il y a longtemps que nous sommes habitués à des faits étranges comme celui-ci… Une heure et quart sonna à tous les clochers de la cité.
Je traversais en ce moment la place du théâtre. Soudain, les sirènes mugirent lugubrement: alerte dans la nuit… Je pris la pas de course vers la rue Desportes; le 37 n’existait pas: la rue s’arrêtait au 16… Je n’y comprenais plus rien… mais pas le loisir d’épiloguer; les premières torpilles tombaient au nord de la ville.
Le bruit infernal se rapprochait. Plus que le temps de m’abriter dans la première cave venue. Nous vécûmes trois quarts d’heure de véritable épouvante. Quand je sortis, de grandes lueurs éclairaient tous les toits; il y avait au moins deux cents foyers d’incendie. Partout des façades éventrées comme d’un coup de couteau, des immeubles écroulés, des nuages de fumée, des cris de désespoir fou. Je me rendis au poste de secours le plus voisin. Là, plusieurs centaines de morts et de blessés étaient rangés dans une cour; il en arrivait sans cesse de nouveaux. Au front, je n’avais pas vu de boucherie plus atroce… J’allai de l’un à l’autre, donnant une absolution ou traçant sur les fronts une rapide Extrême-Onction. Soudain, je dus m’appuyer à la muraille.
– Qu’avez-vous, Monsieur l’Abbé, me demanda l’un des docteurs?
J’étais pâle.
– Un de vos parents peut-être?
– Non… un paroissien.
Je venais de heurter du pied le cadavre du jeune homme de la rue Descartes. Il y avait une heure à peine, je l’avais laissé plein de vie, bouleversé de joie par le pardon de ses péchés. Et ses paroles me revenaient: «Vous faites erreur monsieur l’Abbé. Il n’y a pas de mourant ici, voyez si je suis en bonne santé!». Il riait gaiement. Il était au bord de son éternité, il n’en savait rien. La miséricordieuse bonté de Dieu avait pris soin qu’il eût le temps de se confesser avant l’alerte.
Je pris son portefeuille dans l’espoir de trouver un nom; la carte de travail portait: R.M. vingt et un ans. Il y avait parmi diverses feuilles de tickets, une lettre jaunie, puis des photos. L’une d’elles représentait une femme d’environ quarante ans… Je sursautai; c’était, sans erreur possible, le portrait de celle qui était venue me supplier (de venir tout de suite, rue Descartes, voir un jeune homme en danger de mort…) Au dos, je lus ces simples mots: «Maman!».
Une autre photo la représentait sur son lit de mort les mains jointes, tenant un chapelet et ces dates: 7 mai 1898 – 8 avril 1939… Je regardai la lettre jaunie. Une écriture semblable à celle que la femme inconnue avait tracée sur mon agenda au presbytère.
Pensez ce que vous voudrez de ce fait authentique; si troublant, si mystérieux. Pour moi, plus de doute: c’est bien la mère du jeune homme qui est venue me chercher à minuit, qui est venue me chercher du fond de son éternité.
Puisque Dieu existe, puisque l’Evangile est vrai, puisque le miracle est possible, disait Pascal, quelle difficulté y a-t-il à cela?
Commentaires (1)
Vidal Alain
Très fraternellement à tous ceux qui me liront, les chrétiens, certes,
et surtout ceux qui ne le sont pas... mes préférés
Alain
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