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Sauvés par l'espérance - Spe Salvi III

le jeudi, 01 mai 2008. Dans Benoît XVI, Encycliques et autres documents du Magistère

Dans le Vers Demain précédent, nous avons publié la deuxième partie de l'encyclique "Spe Salvi" de Benoit XVI, sur l'espérance chrétienne. Après avoir expliqué que la véritable espérance de l'homme ne se retrouve pas dans le progrès ni dans les choses matérielles, mais dans Dieu Lui-même qui seul peut combler notre soif d'infini, le Saint-Père parle, dans cette troisième et dernière partie, de la souffrance et du jugement comme lieux d'apprentissage de l'espérance :

La souffrance fait partie de l'existence

La souffrance fait aussi partie de l'existence humaine... nous devons tout faire pour surmonter la souffrance, mais l'éliminer complètement du monde n'est pas dans nos possibilités - simplement parce que nous ne pouvons pas nous extraire de notre finitude et parce qu'aucun de nous n'est en mesure d'éliminer le pouvoir du mal, de la faute, qui - nous le voyons - est continuellement source de souffrance. Dieu seul pourrait le réaliser : seul un Dieu qui entre personnellement dans l'histoire en se faisant homme et qui y souffre.

Nous savons que ce Dieu existe et donc que ce pouvoir qui « enlève le péché du monde » (Jn 1,29) est présent dans le monde. Par la foi dans l'existence de ce pouvoir, l'espérance de la guérison du monde est apparue dans l'histoire. Mais il s'agit précisément d'espérance et non encore d'accomplissement ; espérance qui nous donne le courage de nous mettre du côté du bien même là où cela semble sans espérance, tout en restant conscients que, faisant partie du déroulement de l'histoire tel qu'il apparaît extérieurement, le pouvoir de la faute demeure aussi dans l'avenir une présence terrible.

Revenons à notre thème. Nous pouvons chercher à limiter la souffrance, à lutter contre elle, mais nous ne pouvons pas l'éliminer. Justement là où les hommes, dans une tentative d'éviter toute souffrance, cherchent à se soustraire à tout ce qui pourrait signifier souffrance, là où ils veulent s'épargner la peine et la douleur de la vérité, de l'amour, du bien, ils s'enfoncent dans une existence vide, dans laquelle peut-être n'existe pratiquement plus de souffrance, mais où il y a d'autant plus l'obscure sensation du manque de sens et de la solitude. Ce n'est pas le fait d'esquiver la souffrance, de fuir devant la douleur, qui guérit l'homme, mais la capacité d'accepter les tribulations et de mûrir par elles, d'y trouver un sens par l'union au Christ, qui a souffert avec un amour infini. (...)

La mesure de l'humanité se détermine essentiellement dans son rapport à la souffrance et à celui qui souffre. Cela vaut pour chacun comme pour la société. Une société qui ne réussit pas à accepter les souffrants et qui n'est pas capable de contribuer, par la compassion, à faire en sorte que la souffrance soit partagée et portée aussi intérieurement est une société cruelle et inhumaine. Cependant, la société ne peut accepter les souffrants et les soutenir dans leur souffrance, si chacun n'est pas lui-même capable de cela et, d'autre part, chacun ne peut accepter la souffrance de l'autre si lui-même personnellement ne réussit pas à trouver un sens à la souffrance, un chemin de purification et de maturation, un chemin d'espérance.

Accepter l'autre qui souffre signifie, en effet, assumer en quelque manière sa souffrance, de façon qu'elle devienne aussi la mienne. Mais parce que maintenant elle est devenue souffrance partagée, dans laquelle il y a la présence d'un autre, cette souffrance est pénétrée par la lumière de l'amour. La parole latine consolatio, consolation, l'exprime de manière très belle, suggérant un être avec dans la solitude, qui alors n'est plus solitude.

Souffrir pour la justice

Ou encore la capacité d'accepter la souffrance par amour du bien, de la vérité et de la justice est constitutive de la mesure de l'humanité, parce que si, en définitive, mon bien-être, mon intégrité sont plus importants que la vérité et la justice, alors la domination du plus fort l'emporte ; alors règnent la violence et le mensonge. La vérité et la justice doivent être au-dessus de mon confort et de mon intégrité physique, autrement ma vie elle-même devient mensonge. Et enfin, le « oui » à l'amour est aussi source de souffrance, parce que l'amour exige toujours de sortir de mon moi, où je me laisse émonder et blesser. L'amour ne peut nullement exister sans ce renoncement qui m'est aussi douloureux à moi-même, autrement il devient pur égoisme et, de ce fait, il s'annule lui-même comme tel.

Souffrir avec l'autre, pour les autres ; souffrir par amour de la vérité et de la justice ; souffrir à cause de l'amour et pour devenir une personne qui aime vraiment ce sont des éléments fondamentaux d'humanité ; leur abandon détruirait l'homme lui-même. Mais encore une fois surgit la question : en sommes-nous capables ? L'autre est-il suffisamment important pour que je devienne pour lui une personne qui souffre ? La vérité est-elle pour moi si importante pour payer la souffrance ? La promesse de l'amour est-elle si grande pour justifier le don de moi-même ?

À la foi chrétienne, dans l'histoire de l'humanité, revient justement ce mérite d'avoir suscité dans l'homme d'une manière nouvelle et à une profondeur nouvelle la capacité de souffrir de la sorte, qui est décisive pour son humanité. La foi chrétienne nous a montré que vérité, justice, amour ne sont pas simplement des idéaux, mais des réalités de très grande densité. Elle nous a montré en effet que Dieu, la Vérité et l'Amour en personne, a voulu souffrir pour nous et avec nous. Bernard de Clairvaux a forgé l'expression merveilleuse : Impassibilis est Deus, sed non incompassibilis, Dieu ne peut pas souffrir, mais il peut compatir. L'homme a pour Dieu une valeur si grande que Lui-même s'est fait homme pour pouvoir compatir avec l'homme de manière très réelle, dans la chair et le sang, comme cela nous est montré dans le récit de la Passion de Jésus.

Offrir nos souffrances

Je voudrais encore ajouter une petite annotation qui n'est pas du tout insignifiante pour les événements de chaque jour. La pensée de pouvoir « offrir » les petites peines du quotidien, qui nous touchent toujours de nouveau comme des piqures plus ou moins désagréables, leur attribuant ainsi un sens, était une forme de dévotion, peut- être moins pratiquée aujourd'hui, mais encore très répandue il n'y a pas si longtemps. Dans cette dévotion, il y avait certainement des choses exagérées et peut-être aussi malsaines, mais il faut se demander si quelque chose d'essentiel qui pourrait être une aide n'y était pas contenu de quelque manière. Que veut dire « offrir » ? Ces personnes étaient convaincues de pouvoir insérer dans la grande compassion du Christ leurs petites peines, qui entraient ainsi d'une certaine façon dans le trésor de compassion dont le genre humain a besoin. De cette manière aussi les petits ennuis du quotidien pourraient acquérir un sens et contribuer à l'économie du bien, de l'amour entre les hommes. Peut-être devrions-nous nous demander vraiment si une telle chose ne pourrait pas redevenir une perspective judicieuse pour nous aussi.

Le Jugement dernier

Dans le grand Credo de l'Église, la partie centrale, qui traite du mystère du Christ à partir de sa naissance éternelle du Père et de sa naissance temporelle de la Vierge Marie pour arriver par la croix et la résurrection jusqu'à son retour, se conclut par les paroles : « ll reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts ». Déjà dès les tout premiers temps, la perspective du Jugement a influencé les chrétiens jusque dans leur vie quotidienne en tant que critère permettant d'ordonner la vie présente, comme appel à leur conscience et, en même temps, comme espérance dans la justice de Dieu. (..)

À l'époque moderne, la préoccupation du Jugement final s'estompe : la foi chrétienne est individualisée et elle est orientée surtout vers le salut personnel de l'âme ; la réflexion sur l'histoire universelle, au contraire, est en grande partie dominée par la préoccupation du progrès. Toutefois, le contenu fondamental de l'attente du jugement n'a pas simplement disparu. Maintenant il prend une forme totalement différente. L'athéisme des XIXe et XXe siècles est, selon ses racines et sa finalité, un moralisme : une protestation contre les injustices du monde et de l'histoire universelle. Un monde dans lequel existe une telle quantité d'injustice, de souffrance des innocents et de cynisme du pouvoir ne peut être l'œuvre d'un Dieu bon. Le Dieu qui aurait la responsabilité d'un monde semblable ne serait pas un Dieu juste et encore moins un Dieu bon. C'est au nom de la morale qu'il faut contester ce Dieu. Puisqu'il n'y a pas de Dieu qui crée une justice, il semble que l'homme lui-même soit maintenant appelé à établir la justice.

Si face à la souffrance de ce monde la protestation contre Dieu est compréhensible, la prétention que l'humanité puisse et doive faire ce qu'aucun Dieu ne fait ni est en mesure de faire est présomptueuse et fondamentalement fausse. Que d'une telle prétention s'ensuivent les plus grandes cruautés et les plus grandes violations de la justice n'est pas un hasard, mais est fondé sur la fausseté intrinsèque de cette prétention. Un monde qui doit se créer de lui-même sa justice est un monde sans espérance. (...)

Dieu lui-même s'est donné une "image" : dans le Christ qui s'est fait homme. En Lui, le Crucifié, la négation des fausses images de Dieu est portée à l'extrême. Maintenant Dieu révèle son propre Visage dans la figure du souffrant qui partage la condition de l'homme abandonné de Dieu, la prenant sur lui. Ce souffrant innocent est devenu espérance-certitude : Dieu existe et Dieu sait créer la justice d'une manière que nous ne sommes pas capables de concevoir et que, cependant, dans la foi nous pouvons pressentir. Oui, la résurrection de la chair existe. Une justice existe. La « révocation » de la souffrance passée, la réparation qui rétablit le droit existent. C'est pourquoi la foi dans le Jugement final est avant tout et surtout espérance - l'espérance dont la nécessité a justement été rendue évidente dans les bouleversements des derniers siècles.

Je suis convaincu que la question de la justice constitue l'argument essentiel, en tout cas l'argument le plus fort, en faveur de la foi dans la vie éternelle. Le besoin seulement individuel d'une satisfaction qui dans cette vie nous est refusée, de l'immortalité de l'amour que nous attendons, est certainement un motif important pour croire que l'homme est fait pour l'éternité, mais seulement en liaison avec le fait qu'il est impossible que l'injustice de l'histoire soit la parole ultime, la nécessité du retour du Christ et de la vie nouvelle devient totalement convaincante.

Seul Dieu peut créer la justice

La protestation contre Dieu au nom de la justice ne sert à rien. Un monde sans Dieu est un monde sans espérance (cf. Ep 2, 12). Seul Dieu peut créer la justice. Et la foi nous donne la certitude qu'll le fait. L'image du Jugement final est en premier lieu non pas une image terrifiante, mais une image d'espérance ; pour nous peut-être même l'image décisive de l'espérance. Mais n'est-ce pas aussi une image de crainte ? Je dirais : c'est une image qui appelle à la responsabilité. Une image, donc, de cette crainte dont saint Hilaire dit que chacune de nos craintes a sa place dans l'amour. Dieu est justice et crée la justice. C'est cela notre consolation et notre espérance.

Mais dans sa justice il y a aussi en même temps la grâce. Nous le savons en tournant notre regard vers le Christ crucifié et ressuscité. Justice et grâce doivent toutes les deux être vues dans leur juste relation intérieure. La grâce n'exclut pas la justice. Elle ne change pas le tort en droit. Ce n'est pas une éponge qui efface tout, de sorte que tout ce qui s'est fait sur la terre finisse par avoir toujours la même valeur. Par exemple, dans son roman « Les frères Karamazov », Dostoievski a protesté avec raison contre une telle typologie du ciel et de la grâce. À la fin, au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s'était passé.

Dans la parabole du riche bon vivant et du pauvre Lazare (cf. Lc 16, 19-31), Jésus nous a présenté en avertissement l'image d'une telle âme ravagée par l'arrogance et par l'opulence, qui a créé elle-même un fossé infranchissable entre elle et le pauvre ; le fossé de l'enfermement dans les plaisirs matériels ; le fossé de l'oubli de l'autre, de l'incapacité d'aimer, qui se transforme maintenant en une soif ardente et désormais irrémédiable. Nous devons relever ici que Jésus dans cette parabole ne parle pas du destin définitif après le Jugement universel, mais il reprend une conception qui se trouve, entre autre, dans le judaïsme ancien, à savoir la conception d'une condition intermédiaire entre mort et résurrection, un état dans lequel la sentence dernière manque encore. (...)

Le ciel, l'enfer, le purgatoire

Avec la mort, le choix de vie fait par l'homme devient définitif sa vie est devant le Juge. Son choix, qui au cours de toute sa vie a pris forme, peut avoir diverses caractéristiques. Il peut y avoir des personnes qui ont détruit totalement en elles le désir de la vérité et la disponibilité à l'amour. Des personnes en qui tout est devenu mensonge ; des personnes qui ont vécu pour la haine et qui en elles-mêmes ont piétiné l'amour. C'est une perspective terrible, mais certains personnages de notre histoire laissent entrevoir de façon effroyable des profils de ce genre. Dans de semblables individus, il n'y aurait plus rien de remédiable et la destruction du bien serait irrévocable : c'est cela qu'on indique par le mot « enfer ».

D'autre part, il peut y avoir des personnes très pures, qui se sont laissées entièrement pénétrer par Dieu et qui, par conséquent, sont totalement ouvertes au prochain -personnes dont la communion avec Dieu oriente dès maintenant l'être tout entier et dont le fait d'aller vers Dieu conduit seulement à l'accomplissement de ce qu'elles sont désormais.

Selon nos expériences, cependant, ni un cas ni l'autre ne sont la normalité dans l'existence humaine. Chez la plupart des hommes - comme nous pouvons le penser - demeure présente au plus profond de leur être une ultime ouverture intérieure pour la vérité, pour l'amour, pour Dieu. Mais, dans les choix concrets de vie, elle est recouverte depuis toujours de nouveaux compromis avec le mal - beaucoup de saleté recouvre la pureté, dont cependant la soif demeure et qui, malgré cela, émerge toujours de nouveau de toute la bassesse et demeure présente dans l'âme. Qu'advient-il de tels individus lorsqu'ils comparaissent devant le juge ? Toutes les choses sales qu'ils ont accumulées dans leur vie deviendront-elles d'un coup insignifiantes ? Ou qu'arrivera-t-il d'autre ?

Certains théologiens récents sont de l'avis que le feu qui brûle et en même temps sauve est le Christ lui-même, le Juge et Sauveur. La rencontre avec Lui est l'acte décisif du Jugement. Devant son regard s'évanouit toute fausseté. C'est la rencontre avec Lui qui, en nous brûlant, nous transforme et nous libère pour nous faire devenir vraiment nous-mêmes. Les choses édifiées durant la vie peuvent alors se révéler paille sèche, vantardise vide et s'écrouler. Mais dans la souffrance de cette rencontre, où l'impur et le malsain de notre être nous apparaissent évidents, se trouve le salut. Le regard du Christ, le battement de son cœur nous guérissent grâce à une transformation assurément douloureuse, comme « par le feu ». Cependant, c'est une heureuse souffrance, dans laquelle le saint pouvoir de son amour nous pénètre comme une flamme, nous permettant à la fin d'être totalement nous-mêmes et par là totalement de Dieu.

Ainsi se rend évidente aussi la compénétration de la justice et de la grâce : notre façon de vivre n'est pas insignifiante, mais notre saleté ne nous tache pas éternellement, si du moins nous sommes demeurés tendus vers le Christ, vers la vérité et vers l'amour. En fin de compte, cette saleté a déjà été brûlée dans la Passion du Christ. Au moment du Jugement, nous expérimentons et nous accueillons cette domination de son amour sur tout le mal dans le monde et en nous. La souffrance de l'amour devient notre salut et notre joie.

Il est clair que la « durée » de cette brûlure qui transforme, nous ne pouvons la calculer avec les mesures chronométriques de ce monde. Le « moment » transformant de cette rencontre échappe au chronométrage terrestre - c'est le temps du cœur, le temps du « passage » à la communion avec Dieu dans le Corps du Christ.

Le Jugement de Dieu est espérance, aussi bien parce qu'il est justice que parce qu'il est grâce. S'il était seulement grâce qui rend insignifiant tout ce qui est terrestre, Dieu resterait pour nous un débiteur de la réponse à la question concernant la justice -question décisive pour nous face à l'histoire et face à Dieu lui-même. S'il était pure justice, il ne pourrait être à la fin pour nous tous qu'un motif de peur. L'incarnation de Dieu dans le Christ a tellement lié l'une à l'autre - justice et grâce-  que la justice est établie avec fermeté : nous attendons tous notre salut « dans la crainte de Dieu et en tremblant » (Ph 2, 12). Malgré cela, la grâce nous permet à tous d'espérer et d'aller pleins de confiance à la rencontre du Juge que nous connaissons comme notre « avocat » (parakletos) (cf. 1 Jn 2, 1).

Prier pour les défunts

Un motif doit encore être mentionné ici, parce qu'il est important pour la pratique de l'espérance chrétienne. Dans le judaïsme ancien, il existe aussi l'idée qu'on peut venir en aide aux défunts dans leur condition intermédiaire par la prière (cf. par exemple 2 M 12, 38-45 : 1er s. av. JC). La pratique correspondante a été adoptée très spontanément par les chrétiens et elle est commune à l'Église orientale et occidentale. L'Orient ignore la souffrance purificatrice et expiatrice des âmes dans « l'au-delà, mais il connaît divers degrés de béatitude ou aussi de souffrance dans la condition intermédiaire. Cependant, grâce à l'Eucharistie, à la prière et à l'aumône, « repos et fraicheurs » peuvent être donnés aux âmes des défunts.

Que l'amour puisse parvenir jusqu'à l'au-delà, que soit possible un mutuel donner et recevoir, dans lequel les uns et les autres demeurent unis par des liens d'affection au delà des limites de la mort cela a été une conviction fondamentale de la chrétienté à travers tous les siècles et reste aussi aujourd'hui une expérience réconfortante. Qui n'éprouverait le besoin de faire parvenir à ses proches déjà partis pour l'au-delà un signe de bonté, de gratitude ou encore de demande de pardon ?

À présent on pourrait enfin se demander : si le « purgatoire consiste simplement à être purifié par le feu dans la rencontre avec le Seigneur, Juge et Sauveur, comment alors une tierce personne peut-elle intervenir, même si elle est particulièrement proche de l'autre ? Quand nous posons une telle question, nous devrions nous rendre compte qu'aucun homme n'est une monade fermée sur elle-même. Nos existences sont en profonde communion entre elles, elles sont reliées l'une à l'autre au moyen de multiples interactions. Nul ne vit seul. Nul ne pèche seul. Nul n'est sauvé seul. Continuellement la vie des autres entre dans ma vie : en ce que je pense, je dis, je fais, je réalise.

Et vice-versa, ma vie entre dans celle des autres : dans le mal comme dans le bien. Ainsi mon intercession pour quelqu'un n'est pas du tout quelque chose qui lui est étranger, extérieur, pas même après la mort. Dans l'inter-relation de l'être, le remerciement que je lui adresse, ma prière pour lui peuvent signifier une petite étape de sa purification. Et avec cela il n'y a pas besoin de convertir le temps terrestre en temps de Dieu : dans la communion des âmes le simple temps terrestre est dépassé. Il n'est jamais trop tard pour toucher le cœur de l'autre et ce n'est jamais inutile.

Ainsi s'éclaire ultérieurement un élément important du concept chrétien d'espérance. Notre espérance est toujours essentiellement aussi espérance pour les autres ; c'est seulement ainsi qu'elle est vraiment espérance pour moi. En tant que chrétiens nous ne devrions jamais nous demander seulement : comment puis-je me sauver moi-même ? Nous devrions aussi nous demander : que puis-je faire pour que les autres soient sauvés et que surgisse aussi pour les autres l'étoile de l'espérance ? Alors j'aurai fait le maximum pour mon salut personnel.

Marie, étoile de l'espérance

Par une hymne du VIIe-IXe siècle, donc depuis plus de mille ans, l'Église salue Marie, Mère de Dieu, comme étoile de la mer : Ave maris stella. La vie humaine est un chemin. Vers quelle fin ? Comment en trouvons-nous la route ? La vie est comme un voyage sur la mer de l'histoire, souvent obscur et dans l'orage, un voyage dans lequel nous scrutons les astres qui nous indiquent la route. Les vraies étoiles de notre vie sont les personnes qui ont su vivre dans la droiture. Elles sont des lumières d'espérance.

Certes, Jésus Christ est la lumière par antonomase, le soleil qui se lève sur toutes les ténèbres de l'histoire. Mais pour arriver jusqu'à Lui nous avons besoin aussi de lumières proches - de personnes qui donnent une lumière en la tirant de sa lumière et qui offrent ainsi une orientation pour notre traversée. Et quelle personne pourrait plus que Marie être pour nous l'étoile de l'espérance - elle qui par son « oui » ouvrit à Dieu lui-même la porte de notre monde ; elle qui devint la vivante Arche de l'Alliance, dans laquelle Dieu se fit chair, devint l'un de nous, planta sa tente au milieu de nous (cf. Jn 1, 14) ? C'est ainsi que nous nous adressons à elle :

Sainte Marie, de la croix tu reçus une nouvelle mission. À partir de la croix tu es devenue mère d'une manière nouvelle : mère de tous ceux qui veulent croire en ton Fils Jésus et le suivre. L'épée de douleur transperça ton cœur. L'espérance était-elle morte ? Le monde était-il resté définitivement sans lumière, la vie sans but ? À cette heure, probablement, au plus intime de toi-même, tu auras écouté de nouveau la parole de l'ange, par laquelle il avait répondu à ta crainte au moment de l'Annonciation : Sois sans crainte, Marie ! » (Lc 1, 30).

Que de fois le Seigneur, ton fils, avait dit la même chose à ses disciples : N'ayez pas peur ! Dans la nuit du Golgotha, tu as entendu de nouveau cette parole. À ses disciples, avant l'heure de la trahison, il avait dit : « Ayez confiance : moi, je suis vainqueur du monde ». (Jn 16, 33). « Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés » (Jn 14, 27). "Sois sans crainte, Marie ! » À l'heure de Nazareth l'ange t'avait dit aussi : « Son règne n'aura pas de fin » (Lc 1, 33). Il était peut-être fini avant de commencer ? Non, près de la croix, sur la base de la parole même de Jésus, tu étais devenue la mère des croyants. (...)

Le règne de Jésus était différent de ce que les hommes avaient pu imaginer. Ce « règne » commençait à cette heure et n'aurait jamais de fin. Ainsi tu demeures au milieu des disciples comme leur Mère, comme Mère de l'espérance. Sainte Marie, Mère de Dieu, notre Mère, enseigne-nous à croire, à espérer et à aimer avec toi. Indique- nous le chemin vers son règne ! Étoile de la mer, brille sur nous et conduis-nous sur notre route !

Benoit XVI

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