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Nous libérer ensemble – compassion et solidarité

le dimanche, 26 août 2012. Dans Homélies

Trois saints à invoquer pour la justice : Saint-former, Saint-digner, Saint-pliquer

Pour qu’un gouvernement applique les principes du Crédit Social ou Démocratie Économique, il a besoin de l’appui d’un peuple renseigné. C’est donc l’éducation du peuple qui est nécessaire, et c’est justement la méthode préconisée par Vers Demain. Se mettre ensemble et former des cercles d’étude. Passer de «solitaire» à «solidaire».

C’est ce qui est expliqué dans le texte suivant, prononcé par le Père Bernard Ménard, Oblat de Marie Immaculée, le 13 août 2012, au septième jour de la neuvaine de l’Assomption au sanctuaire de Notre-Dame-du-Cap, à Trois-Rivières, au Canada, sous le thème: Nous libérer ensemble - compassion et solidarité :

Martin Luther KingIl y a presque 50 ans ce mois-ci (le 28 août 1963), des centaines de milliers de marcheurs, pour la plupart des Noirs, se sont rassemblés devant l’édifice du parlement à Washington, et ont entendu Martin Luther King partager sa passion pour la liberté. « I have a dream ! J’ai fait le rêve que les hommes, un jour, se lèveront et comprendront enfin qu’ils sont faits pour vivre ensemble comme des frères et sœurs ».

Nous sommes faits pour vivre ensemble, pour nous dire mutuellement « je t’aime ». Et pourtant, vivre ensemble est le plus grand défi de l’humanité. Que ce soit entre nations, entre cultures différentes dans un même pays, ou à l’intérieur de nos groupes communautaires et de nos familles, il y a des obstacles à franchir, parfois des murs à faire tomber.

Qu’est-ce donc que ça prend pour vivre libres ensemble ? Il me semble qu’il y a quatre passages à faire.

1er passage : passer du je au nous, de solitaires à solidaires

Un des grands éducateurs de la conscience citoyenne, Paolo Freire, a écrit un jour : Personne ne se libère seul ; personne ne libère autrui ; les humains se libèrent ensemble. Pourquoi ça ? Parce qu’il faut beaucoup d’audace pour nous libérer de ce qui nous tient écrasés, et que l’audace s’use vite si elle n’est pas portée collectivement.

Ça me rappelle un film que j’ai vu autrefois : La chaîne. C’est l’histoire de deux condamnés à mort (un noir et un blanc, qui se détestent royalement l’un l’autre) qui arrivent à s’évader lorsque le camion qui les transporte d’une prison à une autre vire à l’envers. Mais voilà : ils sont menottés l’un à l’autre, et doivent apprendre à se défaire de leur chaîne ensemble pour devenir libres. Ces deux bandits qui se haïssent à mort passent par toutes sortes d’épreuves qui les amènent peu à peu à se découvrir et à s’apprécier l’un l’autre, et finalement à se libérer en s’entraidant. Une belle parabole de ce qu’on a à faire aujourd’hui.

Père Bernard Ménard, OMIDans le chaos social et planétaire actuel, on s’en sortira ensemble (les humains et toute la planète) ou on ne s’en sortira pas du tout, et on va crever ensemble : les gens du Nord-Sud, Pauvres-Riches, Blancs-Gens de couleur, Patrons-Travailleurs, Croyants et Incroyants, Femmes et Hommes — nous avons besoin les uns des autres.

Prenez comme exemple : La pollution de l’air. Ça affecte TOUT le monde en même temps puisque c’est le même air que nous respirons tous et qui entraîne des maladies chez les riches comme chez les pauvres. La crise écologique frappe partout. Alors pas question de rester solitaires, chacun pour soi ; il nous faut entrer, de gré ou de force, dans de nouvelles solidarités.

Voilà le premier passage à effectuer : du Je au Nous.

2e passage : passer de l’indignation à l’engagement, devant les injustices criantes autour de nous et dans le monde.

Est-ce qu’il y a des choses que vous trouvez inacceptables dans ce qui se passe aujourd’hui dans notre monde ? Moi, je vous donne trois exemples où je me sens rejoint aux tripes :

Je suis indigné devant la concentration des richesses entre les mains de 1% de la population : c’est rendu que les 50 présidents de compagnies les plus riches au Canada gagnent 212 fois le salaire moyen de leurs employés — ce qui veut dire plusieurs millions, contre quelques dizaines de milliers. Et on réduit encore leurs impôts et on leur donne des bonis exorbitants, même quand c’est eux qui causent des faillites. (Et le Père Ménard s’adresse à la foule : Trouvez-vous ça acceptable vous autres ?...Vous n’avez pas l’air bien convaincus — trouvez-vous ça acceptable ? C’est important d’avoir une réponse forte, parce que le DVD de cette prédication va être envoyé aux partis politiques…)

Le vrai holdupJe suis indigné aussi devant la corruption qui gangrène notre société, corruption chez des décideurs et chez les profiteurs de toutes sortes : financiers, ingénieurs-conseils, compagnies internationales. Est-ce que ça vous choque vous autres aussi ?

Je suis très indigné devant le trafic de femmes et d’enfants. Une industrie lucrative internationalement : chez nous, à Trois-Rivières, le Comité pour l’Abolition de la Traite Humaine, s’acharne à arracher des jeunes à l’empire de la prostitution. En Haïti, dans un seul mois, 3300 victimes à la frontière avec la République Dominicaine : des petits commerçants, des travailleurs ou chômeurs, des étudiants mutilés, tués. Parlez-en avec le père Joseph Charles qui a vu ça de ses yeux. Ça continue, ça s’accentue même, et c’est plus qu’inacceptable, c’est criminel.

Souvent, pour les hommes politiques et pour les fonctionnaires ces réalités-là c’est juste des chiffres, des statistiques dans les rapports. On ne pleure pas devant des chiffres. Mais y a du vrai monde derrière les statistiques, et ça, ça nous touche au cœur.

Cette année, dans tous les coins de notre pays et dans plusieurs pays du monde, des « indignés » ont crié leur indignation. C’est très important ces camps d’indignés, mais c’est pas encore suffisant. Il faut ensuite passer à l’action, nous compromettre, agir et pas simplement gémir.

Nous sommes ici des milliers de pèlerins, des gens qui croyons à la prière. Alors je vous invite à invoquer les trois plus grands saints en matière de justice pour le Royaume : S’IN-former, S’IN-digner, S’IM-pliquer. Ajoutez-les à votre litanie des saints, chaque soir, et vérifier ensuite ce que vous avez vécu dans votre journée.

Il y a eu des contestations de jeunes chez nous et une mobilisation générale qui a suivi dans les rues. Est-ce que ce serait là le cri d’un peuple pour une société qui ne soit plus régie par les seules lois du marché et du profit ? Nous avons besoin d’appartenir à une société, une culture, pas seulement à une économie.

N’oublions pas que ce sont les jeunes qui nous ont réveillés cette année pour faire le passage du Je au Nous et de l’indignation à l’engagement.

Il y a un 3e passage, plus difficile celui-là pour nous autres, les 50 et 70 ans et plus :

3e passage : de la sacristie à l’Évangile vécu

Là je suis conscient de toucher à une corde sensible chez les gens d’Église que nous sommes. On est porté parfois à opposer les « spirituels » (les gens qui prient), et les « militants » (les gens qui s’engagent dans des actions sociales et communautaires au nom de leur foi en Jésus).

Pourtant, faire option pour la justice et pour les appauvris, ce n’est pas seulement une option sociale de gauche ; c’est une option pour le Dieu de Jésus- Christ, pour son projet d’amour universel. Jésus s’est identifié aux dépossédés. Il nous a même dit que c’est là-dessus que portera l’examen final que nous passerons à la fin de notre vie. Il nous a donné d’avance les questions d’examen : « J’avais faim ; m’as-tu donné à manger oui ou non ? J’avais soif. J’étais un étranger, m’as-tu accueilli oui ou non ? J’étais nu, malade, prisonnier, qu’est-ce que t’as fait pour moi ? —- Mais Seigneur, quand est-ce que tu vivais ça ? Je ne t’ai pas reconnu. — Dans la mesure où tu l’as fait à un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que tu l’as fait. » (Mt 25, 35-40.)

Il n’y a pas de vie chrétienne sans prière du cœur — ça c’est sûr. Mais il n’y a pas non plus de vie chrétienne sans engagement radical aux valeurs qui ont passionné Jésus au point qu’il y a laissé sa réputation et sa peau.

Participer aux processions aux flambeaux, aux marches du pardon — oui, c’est très bon. Mais c’est important aussi, quand on le peut, de marcher avec ceux qui réclament justice au nom de valeurs humaines qu’on retrouve dans l’Évangile, comme le respect de chacun, l’honnêteté, un traitement juste pour tout le monde, surtout pour les plus fragiles.

G faimC’est frappant de voir comment, dans l’Évangile, Jésus donne peu d’importance aux réglementations sur des pratiques extérieures de culte, surtout lorsque celles-ci excluent des personnes mal jugées. Parfois nous autres, on s’inquiète pour quelques mauvais plis dans la dentelle de nos ornements liturgiques alors qu’autour de nous, c’est tout l’édifice social qui est en train de passer au feu — quand les gouvernants rognent sur la démocratie, la culture, le bien-être des gens du bas de l’échelle.

Notre Église a besoin plus que jamais de se faire proche de la vie, engagée avec les marginalisés dans la défense de leurs droits et de leur dignité.

Vous vous souvenez de cette belle chanson de Félix Leclerc « Moi, mes souliers » où il nous invitait à sortir de nos sécurités trop confortables :

Au paradis, paraît-il mes amis,
C’est pas la place pour les souliers vernis.
Dépêchez-vous de salir vos souliers
Si vous voulez être pardonnés…

Les trois passages dont on vient de parler : du Je au Nous, de l’indignation à l’engagement, d’une religion de sacristie à l’Évangile vécu au quotidien — sont tout un défi, si bien que parfois on est porté à se décourager et à baisser les bras. Il faut alors un quatrième passage.

4e passage : de la démission à la résurrection

Passer du sentiment d’impuissance défaitiste (on ne peut rien faire devant la grosse machine de violence et d’injustice) à la conscience d’une puissance étonnante que nous donne Jésus Ressuscité quand il nous envoie aider nos frères et sœurs à se remettre debout.

J’ai vu ça un jour quand un groupe d’assistés sociaux se sont présentés au parlement à Québec pour exprimer aux députés et aux ministres leurs revendications pour arriver à éliminer la pauvreté au Québec. Des pauvres qui osaient se tenir debout, prendre la parole, interpeller les dirigeants de la société. C’est une des plus belles images de la résurrection en marche que j’aie vue.

Je l’ai vu dans la solidarité qu’ont manifestée des jeunes lors des inondations de la rivière Richelieu au printemps l’an dernier. Des jeunes et des adultes venus de partout, sans intérêt personnel, simplement pour aider des familles dans le besoin.

Je l’ai vu aussi dans le geste courageux que des femmes en Israël ont posé au début de l’année scolaire. Dans ce pays déchiré par la guerre depuis si longtemps et où un énorme mur sépare les Juifs et les Palestiniens, une trentaine de femmes juives ont discuté pendant trois jours avec les soldats jusqu’à ce qu’elles puissent franchir le mur pour aller porter des sacs d’école à des mamans palestiniennes de l’autre côté du mur.

Je l’ai vu encore le 11 mai dernier lorsque plusieurs églises chrétiennes du Québec ont pris un engagement ferme en faveur des personnes touchées par le VIH/Sida : l’engagement de combattre toute forme de discrimination à leur égard dans les communautés chrétiennes et dans la société — en fidélité à l’exemple de Jésus-Christ, solidaire avec les souffrants et les rejetés de la société.

Vous voyez, le monde « autre » — ce que Jésus appelait les cieux nouveaux et la terre nouvelle, le Royaume de Dieu — est non seulement possible ; il est déjà en marche. J’entends Jésus prier comme il l’a fait autrefois :

Je te bénis Père d’avoir caché tes secrets aux présidents de banques, aux politiciens chevronnés, aux financiers, aux gagnants de la loto, et de les avoir révélés aux gagne-petit, aux femmes de ménage, à Anicet et Dorothy qui vivent avec un handicap mental et sont pétants de bonheur et de tendresse. Oui Père, sois béni de révéler ainsi ton projet d’amour pour toute l’humanité.

Je termine avec une précieuse leçon que la vie m’a apprise :

Si je rêve mes rêves tout seul, ça risque de demeurer rien que ça : des rêveries, sans lendemain, souvent avec une frustration de plus quand ils tombent à l’eau.

Si je partage mes rêves avec d’autres, ce partage est déjà le commencement d’une nouvelle réalité, d’une mise en commun des luttes et des espoirs.

Et si j’entre avec d’autres dans le grand rêve de Dieu pour l’humanité, une force étonnante nous envahit, une force de solidarité et de libération pas tuable !

N’oublions jamais que nous avons avec nous trois nouveaux Saints pour nous soutenir dans notre mission de solidarité :

Saint-former, Saint-digner, Saint-pliquer. Priez pour nous. AMEN !

Bernard Ménard, OMI

Reproduit avec l’aimable permission de l’auteur.

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