par Enrique Torrœlla, S. J.
En ce 150e anniversaire de la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception nous aimons publier cet article tiré de la revue « Marie », de Nicolet, de mai-juin 1954, en l'année du centenaire de la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception :
On venait à peine de fêter l'Immaculée Conception le 8 décembre 1531. À la cruelle guerre de conquête avait suivi la paix. Les âmes commençaient à s'apaiser. Pour la plupart, les Indiens ne voulaient pas se convertir au christianisme, parce qu'ils pratiquaient la polygamie, ne voulaient pas contrarier leurs laides idoles de pierres, craignaient quelque mystérieux châtiment. Ils s'étaient bien rendus compte de la bonté et de la sainteté des missionnaires, mais ceux-ci étaient tout de même de la même race que les conquérants, et ils avaient pour eux de la rancœur et de la haine. Quelques Indiens, naguère opprimés par le régime barbare et théocratique des empereurs aztèques, s'étaient approchés des missionnaires pour leur demander le saint baptême. Parmi eux se trouvait un pauvre Indien originaire de Cuautitlan, qui vivait alors probablement au village de Tolpetlac.
Le 9 décembre, il s'en venait à Mexico pour la leçon de catéchisme que faisaient les Franciscains à l'Église de Tlatelolco, quand, en traversant la petite colline de Tepeyac, il entendit une voix qui l'appelait : Juanito, Juan Dieguito...
En ce temps-là, le dogme de l'Immaculée Conception n'avait pas encore été défini. Les écoles discutaient la question ; Franciscains et Dominicains se partageaient les opinions opposées ; dans son ensemble, le peuple chrétien suivait l'avis des premiers, malgré l'autorité de saint Thomas d'Aquin. Les Universités espagnoles faisaient voeu de défendre ce dogme, et la majorité défendait l'opinion de Scotus : "Portuit decet ergo fecit". Dieu pouvait faire que sa Mère soit immaculée ; il convenait que la Mère de Dieu soit immaculée ; Marie est donc Immaculée.
Ce fut une coïncidence vraiment providentielle que la Sainte Vierge soit apparue le lendemain même du jour où les Indiens, pour la première fois, avaient assisté à la fête organisée avec grande solennité par l'Évêque élu, Don Fray Juan de Zumarraga en l'honneur de l'Immaculée Conception de la Vierge Marie.
C'est pourquoi nous lisons dans ce que nous appelons l'Évangile des Apparitions, rédigé en indien par don Antonio Valeriano, et traduit littéralement par le licencié Primo Feliciano Velazquez, les paroles suivantes : "Que l'on écoute son message, et la volonté de l'Immaculée, de lui ériger un temple, où elle a manifesté qu'elle le désirait". C'est pourquoi le résumé historique du grand Guadalupanista, le Père Lucio G. Villanueva, s'intitule : "L'lmmaculée du Tepeyac".
Bien des siècles avaient passé depuis le premier péché de nos premiers parents. Dès cette date, le Dieu Tout-puissant avait fait une promesse, inscrite dans le Protévangile, pour mitiger la sévérité du châtiment : "Je mettrai l'inimitié entre toi et la Femme, entre ta descendance et la sienne. Elle t'écrasera la tête, et tu tâcheras en vain de mordre son talon". La promesse était accomplie, la prophétie réalisée. La Femme sans tache, qui jamais n'avait été sous l'emprise du démon, était apparue, – la très sainte Vierge Marie, qui donna la vie au Fils du Très Haut, au Verbe Incarné.
Plus tard, le Souverain Pontife Pie IX déclarait à Rome, le 8 décembre 1854, que Marie était Immaculée, parce qu'elle est pleine de grâce ; la même Vierge Marie qui s'était manifestée trois siècles avant sur la colline du Tepeyac apparut à Massabielle à sainte Bernadette Soubirous et lui dit, non plus en indien, mais en patois français : "Je suis l'Immaculée Conception".
L'Immaculée du Tepeyac avait reçu sa consécration définitive.
On trouve dans l'Ancien Testament une prophétie particulièrement attirante : Isaïe, le grand prophète, visite le roi Achaz et lui dit : "Demande un signe au Seigneur ton Dieu, que ce soit du plus profond de l'abîme, ou du plus haut du Ciel". Et Achaz de répondre : "Je ne lui demanderai pas, pour ne pas tenter le Seigneur". Alors Isaïe lui dit : "Écoute, maintenant, descendant de David. Est-ce pour vous peu de chose que de molester les hommes, que vous osez le faire à mon Dieu. Aussi, le Seigneur lui-même, vous donnera le signe : sachez qu'une Vierge concevra et enfantera un fils, et son nom sera Emmanuel, Dieu avec nous" (Isaïe, VII, 14).
Cette prophétie s'accomplit le jour de l'Annonciation. L'archange saint Gabriel apparut à la Vierge Marie dans sa demeure de Nazareth, et la salua en ces terme : "Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous : vous êtes bénie entre toutes les femmes". À ces paroles, la Vierge se troubla et se mit à considérer ce que voulait dire le salut. L'Ange lui dit : "Ne craignez pas Marie, parce que vous avez trouvé grâce devant Dieu. Voici que vous concevrez dans votre sein, et enfanterez un fils auquel vous donnerez le nom de Jésus. Il sera grand, et on l'appellera le Fils du Très-Haut, et le Seigneur lui donnera le trône de David son père, et il régnera sur la maison de Jacob à jamais, et son règne n'aura pas de fin". Marie dit alors à l'ange : "Comment cela se fera-t-il, car je ne connais pas d'homme ?" L'Ange lui répondit : "L'Esprit-Saint descendra sur vous, et la force du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; pour cette raison, le saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu". Ces paroles d'Évangile de saint Luc complètent la prophétie qu'"une vierge devait concevoir et enfanter un fils tout en restant vierge". C'est le grand miracle des siècles. Pour cette raison la sainte Église le réaffirma au concile de Nicée en 325. Il n'y a pas de place pour le doute, ou pour des subtilités. Marie est Vierge.
Au cours de la première apparition du Tépéyac, la très Vierge Marie affirme elle-même au néophyte Juan Diego, peu instruit dans les choses de la foi : "Sache et comprends bien, ô toi le plus petit de mes enfants, que je suis Marie toujours vierge...".
On trouve dans la Sainte Écriture une autre très belle prophétie : c'est celle où Jérémie proclame : "Vois, le Seigneur a fait chose nouvelle sur la terre : une femme enfermera en elle l'Homme-Dieu" (XXXI – 22).
La Maternité Divine est le privilège par excellence de Marie. Personne, pas même les anges, ne pouvait imaginer chose aussi sublime, que Dieu tout entier s'enfermerait dans une femme. C'est pourquoi la très Sainte Vierge Marie est exaltée au-dessus des choeurs des Anges.
La nuit de Noël, sans douleurs d'enfantement, devenu enfant comme les tout petits de la terre, le Fils de Dieu vint au monde, comme la lumière qui traverse le cristal. Puer natus est nobis. Un petit enfant nous est né : notre frère, de notre race, de notre chair, de notre sang, et Il est en même temps le Fils du Dieu Très Haut.
C'est ainsi que le proclame le concile d'Éphèse en 431. La Très Sainte Vierge est en vérité Theotokos, sancta Dei Genitrix, la Mère de Dieu. Pour cette raison, sainte Élisabeth la salua comme l'ange : "Vous êtes bénie entre toutes les femmes...".
Au cours de deux des apparitions du Tepeyac, Elle-même affirma à Juan Diego : "Je suis la toujours Vierge Marie, Mère du Dieu véritable, source de vie". Dans la deuxième apparition, elle répète les mêmes paroles pour qu'il les transmette à l'évêque : "Dis-lui une deuxième fois que c'est moi qui t'envoie, la toujours Vierge Marie, Mère de Dieu". Tel est le résultat des paroles de soumission qu'elle dit à l'Ange : "Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole".
La Vierge a été associée à Dieu Notre Seigneur pour la Rédemption du genre humain. Elle est en vérité la Mère de Dieu.
La prérogative unique d'être la Mère de Dieu, préparée par celles de l'Immaculée Conception et de la Virginité perpétuelle, reçut sa consommation dans l'exaltation de Notre-Dame par l'autre grand dogme et mystère, l'Assomption glorieuse au ciel en corps et en âme.
Toujours, la tradition sur ce point avait été invariable. Pas de disputes, ni polémiques. Le Peuple chrétien croyait à l'Assomption de la Vierge et répétait sa foi dans le quatrième mystère glorieux du Rosaire. Enfin, le Pape Pie XII glorieusement régnant, définit solennellement ce dogme le jour de la Toussaint, 1er novembre 1950. Dans sa belle encyclique, par laquelle il fit connaître au monde sa parole infaillible, il signale entre autres raisons celle qui avait déjà été notée par les théologiens, et qu'on trouve au chapitre douzième de l'Apocalypse :
"Il y eut un grand signe dans le ciel, une Femme vêtue du soleil, la lune sous ses pieds, et sur sa tête une couronne de douze étoiles". Plus bas, au verset quatorze : "À la femme, il fut donné deux ailes d'aigle ; afin qu'elle s'envolât à sa place au désert". Les exégètes, dont le Père Bover, S.J., voient dans ce texte l'affirmation scripturaire du dogme de l'Assomption... On lui prête les ailes d'un archange, d'un pur esprit, pour la transporter au ciel. C'est ainsi qu'elle paraît dans l'image du Tepeyac, où elle est portée sur les ailes d'un ange. C'est vraiment les ailes d'un ange. C'est vraiment la femme de l'apocalypse, Notre-Dame de Guadeloupe. L'idée n'est pas nouvelle. Longtemps avant la définition du dogme de l'Assomption et de cette interprétation acceptée par le Pape, le premier historien de l'apparition de Notre-Dame de Guadeloupe de Mexico, le prêtre don Miguel Sanchez, écrivit tout un volume sur les paroles de l'Apocalypse : Mulier amicta sole, et luna sub pedibus ejus".
C'est ainsi qu'apparut l'image sur le tilma du néophyte, Juan Diego. C'est là que nous pouvons la contempler dans toute sa beauté. Ceux d'entre nous qui avons eu le bonheur de la voir de près, sans la vitre qui produit nécessairement des reflets, et sans l'ombre projetée par le cadre qui donne parfois à la figure une couleur verte d'olive qui est peu conforme à la réalité, en la voyant de près, en contemplant cette figure pâle, qui paraît vivante, au regard si doux et si bon de vraie Mère des hommes, en contemplant extasiés son beau vêtement et le symbolisme qu'il représente, nous n'avons pu nous empêcher de dire : "C'est vraiment le portrait de l'Immaculée, Vierge Marie, Mère de Dieu, emmenée au ciel en corps et en âme". "Le résumé de tout ce que l'Église enseigne sur la Mère de Dieu, la réalisation dans une seule image de tout ce que contient la nouvelle oraison liturgique du jour de l'Assomption.
Le grand peintre Molina qui reproduisit l'image sur un ayate de coton me disait en finissant son travail : "En vérité, la Vierge de Tepeyac est un prodige du ciel. En étudiant les couleurs pour la reproduire, je me suis aperçu que je n'avais que trois couleurs sur ma palette : le rose, des roses fraîches de Castille, le vert de leur feuillage, et le sépia des branches où la sève est plus abondante. En mélangeant les trois couleurs, j'ai obtenu tout ce qu'il me fallait pour reproduire cette image qui, parfaite dans ses traits, demande le plus petit nombre de couleurs possibles".
C'est, en vérité, le miracle des roses. Flores apparuerunt in terra nostra.