À la fin du jubilé de la Miséricorde en novembre 2016, le Pape François avait décrété que désormais soit célébrée, chaque avant-dernier dimanche de l’année liturgique (précédant le dimanche de la Solennité du Christ-Roi), la «Journée mondiale des pauvres». Une messe pour cette première Journée mondiale des pauvres a donc été célébrée par le pape François dans la Basilique Saint-Pierre le dimanche 19 novembre 2017.
Dans son homélie, le Saint-Père, citant l’évangile du jugement dernier de saint Mathieu (chapitre 25), a rappelé que nous serons jugés sur ce qu’on aura fait pour les pauvres, puisque Jésus Lui-même s’identifie à chacun d’eux, lorsqu’il dit: «Ce que vous n’avez pas fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait», et qu’on peut donc ainsi dire que les pauvres sont «nos passeports pour le paradis». Voici l’homélie prononcée par le Pape à cette occasion:
Nous avons la joie de rompre le pain de la Parole, et d’ici peu de rompre et de recevoir le Pain eucharistique, nourritures pour le chemin de la vie. Nous en avons tous besoin, personne n’est exclu, parce que nous sommes tous des mendiants de l’essentiel, de l’amour de Dieu, qui nous donne le sens de la vie et une vie sans fin. Donc aujourd’hui aussi tendons la main vers Lui pour recevoir ses dons.
La parabole de l’Évangile parle justement de dons. Elle nous dit que nous sommes destinataires des talents de Dieu, «à chacun selon ses capacités» (Mt 25, 15). Avant tout reconnaissons ceci: nous avons des talents, nous sommes «talentueux» aux yeux de Dieu. Par conséquent personne ne peut penser être inutile, personne ne peut se dire si pauvre au point de ne pas pouvoir donner quelque chose aux autres. Nous sommes choisis et bénis par Dieu, qui désire nous combler de ses dons, plus qu’un papa et une maman désirent donner à leurs enfants. Et Dieu, aux yeux de qui aucun enfant ne peut être écarté, confie à chacun une mission.
En effet, comme un Père aimant et exigeant qu’il est, il nous responsabilise. Nous voyons que, dans la parabole, des talents à multiplier sont donnés à chaque serviteur. Mais, tandis que les deux premiers réalisent la mission, le troisième serviteur ne fait pas fructifier les talents; il restitue seulement ce qu’il avait reçu: «J’ai eu peur – dit-il - et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient» (v. 25). Ce serviteur reçoit en échange des paroles dures: «mauvais et paresseux» (v. 26).
Qu’est-ce qui en lui n’a pas plu au Seigneur ? En un mot, peut-être tombé un peu en désuétude mais très actuel, je dirais: l’omission. Son mal a été de ne pas faire le bien. Nous aussi souvent nous sommes dans l’idée de n’avoir rien fait de mal et pour cela nous nous contentons, présumant ê-tre bons et justes. Ainsi, cependant, nous risquons de nous comporter comme le serviteur mauvais: lui aussi n’a rien fait de mal, il n’a pas abimé le talent, au contraire, il l’a bien conservé sous la terre.
Mais ne rien faire de mal ne suffit pas. Parce que Dieu n’est pas un contrôleur à la recherche de billets non compostés, il est un Père à la recherche d’enfants à qui confier ses biens et ses projets (cf. v. 14). Et c’est triste quand le Père de l’amour ne reçoit pas une réponse généreuse d’amour de ses enfants qui se limitent à respecter les règles, à s’acquitter des commandements, comme des salariés dans la maison du Père (cf. Lc 15, 17).
Le serviteur mauvais, malgré le talent reçu du Seigneur, qui aime partager et multiplier ses dons, l’a jalousement conservé, il s’est contenté de le préserver. Mais celui qui se préoccupe seulement de conserver, de garder les trésors du passé n’est pas fidèle à Dieu. Au contraire, dit la parabole, celui qui ajoute des talents nouveaux est vraiment «fidèle» (v.v. 21.23), parce qu’il a la même mentalité que Dieu et ne reste pas immobile : il risque par amour, il met en jeu sa vie pour les autres, il n’accepte pas de tout laisser comme c’est. Il omet seulement une chose: ce qui lui est utile à lui. Voilà l’unique omission juste.
L’omission est aussi le grand péché par rapport aux pauvres. Ici, elle prend un nom précis: indifférence. C’est dire: «Cela ne me regarde pas, ce n’est pas mon affaire, c’est la faute de la société». C’est se tourner de l’autre côté quand le frère est dans le besoin, c’est changer de chaîne dès qu’une question sérieuse nous gêne, c’est aussi s’indigner devant le mal sans rien faire. Dieu, cependant ne nous demandera pas si nous avons eu une juste indignation, mais si nous avons fait du bien.
Comment, concrètement, pouvons-nous alors plaire à Dieu ? Quand on veut faire plaisir à une personne chère, par exemple en lui faisant un cadeau, il faut d’abord connaître ses goûts, pour éviter que le cadeau soit plus agréable à celui qui le fait qu’à celui qui le reçoit. Quand nous voulons offrir quelque chose au Seigneur, nous trouvons ses goûts dans l’Évangile. Tout de suite après le passage que nous avons écouté aujourd’hui, il dit: «Chaque fois que vous l’avez fait à un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40).
Ces frères plus petits, préférés par Lui, sont l’affamé et le malade, l’étranger et le prisonnier, le pauvre et l’abandonné, celui qui souffre sans aide et celui qui est dans le besoin et exclu. Sur leur visage nous pouvons imaginer imprimé son visage; sur leurs lèvres, même si elles sont fermées par la douleur, ses paroles: «Ceci est mon corps» (Mt 26, 26). Dans le pauvre, Jésus frappe à la porte de notre cœur et, assoiffé, nous demande de l’amour. Lorsque nous vainquons l’indifférence et qu’au nom de Jésus nous nous dépensons pour ses frères plus petits, nous sommes ses amis bons et fidèles, avec lesquels il aime s’entretenir. Dieu l’apprécie beaucoup, il apprécie l’attitude que nous avons entendue dans la première Lecture, celle de la «femme parfaite» dont «les doigts s’ouvrent en faveur du pauvre», qui «tend la main au malheureux» (Pr 31, 10.20). Voilà la véritable force: non des poings fermés et des bras croisés, mais des mains actives et tendues vers les pauvres, vers la chair blessée du Seigneur.
Là dans les pauvres, se manifeste la présence de Jésus, qui de riche s’est fait pauvre (cf. 2 Co 8, 9). Pour cela, en eux, dans leur faiblesse, il y a une «force salvatrice». Et si aux yeux du monde, ils ont peu de valeur, ce sont eux qui nous ouvrent le chemin du ciel, ils sont nos «passeports pour le paradis». Pour nous c’est un devoir évangélique de prendre soin d’eux, qui sont notre véritable richesse, et de le faire non seulement en donnant du pain, mais aussi en rompant avec eux le pain de la Parole, dont ils sont les destinataires les plus naturels. Aimer le pauvre signifie lutter contre toutes les pauvretés, spirituelles et matérielles.
Et cela nous fera du bien: s’approcher de celui qui est plus pauvre que nous touchera notre vie. Cela nous rappellera ce qui compte vraiment: aimer Dieu et le prochain. Cela seulement dure toujours, tout le reste passe; donc ce que nous investissons dans l’amour demeure, le reste s’évanouit. Aujourd’hui, nous pouvons nous demander: «Qu’est-ce qui compte pour moi dans la vie, où est-ce que je m’engage ?» Dans la richesse qui passe, dont le monde n’est jamais rassasié, ou dans la richesse de Dieu, qui donne la vie éternelle ?
Ce choix est devant nous: vivre pour avoir sur terre ou donner pour gagner le ciel. Parce que pour le ciel, ne vaut pas ce que l’on a, mais ce que l’on donne, et celui qui amasse des trésors pour lui-même ne s’enrichit pas auprès de Dieu (cf. Lc 12, 21). Alors ne cherchons pas le superflu pour nous, mais le bien pour les autres, et rien de précieux ne nous manquera. Que le Seigneur, qui a compassion pour nos pauvretés et nous revêt de ses talents, nous donne la sagesse de chercher ce qui compte et le courage d’aimer, non en paroles mais avec des faits.
Pape François