Voici l’homélie de la messe du 2 septembre 2012, dimanche de notre congrès, donnée à l’église Saint-Michel de Rougemont par Mgr Louis Nzala Kianza, évêque du diocèse de Popokabaka en République démocratique du Congo, l’un des quatre évêques africains présents cette fois-ci pour la semaine d’étude sur la démocratie économique suivie de notre congrès annuel:
Bientôt, dans quelques heures, les lampions vont s’éteindre sur nos travaux; nous allons boucler nos valises, et nous rentrerons chacun chez nous. Mais nous pourrons toujours nous poser la question suivante une fois partis: qu’est-ce qui nous restera de ces travaux? Oui, c’est sûr, nous retiendrons des choses que nous ne pouvons pas nier, nous saurons dire que nous avons eu de beaux travaux, ça s’est bien déroulé, dans une très bonne ambiance. Nous allons reconnaître que nous avons appris beaucoup de bonnes choses; nous avons appris le crédit social. Il y a de quoi être content et de rentrer tout heureux chez nous!
Mais, mes sœurs et mes frères, j’aimerais quand même que nous nous posions la question suivante: est-ce que tout cela c’est suffisant pour que nous soyons vraiment très contents? Ne pensez-vous pas que, après quelque temps, le souvenir de tout ce que nous avons vécu va s’estomper en nous? Et même le crédit social, dont nous sommes si contents — et avec raison — si nous ne faisons pas des efforts, nous rentrons dans le traintrain de notre vie, la routine reprend le dessus, et ça devient un document comme un autre, si nous n’y prenons pas garde.
Mais alors, qu’est-ce qu’il nous faut vraiment de très important que nous ne devons pas négliger? Quelque chose qui à tout prix est très importante pour nous? Je pense que sans hésiter, la chose la plus importante, pour laquelle nous devons rendre grâce à Dieu, c’est de nous dire: «Oui, nous sommes allés là-bas, et nous avons rencontrés le Christ.» Oui, le Christ a été avec nous, il est avec nous, et il nous a donné son message. C’est ce message-là qu’il nous donne comme viatique, comme ligne d’action à suivre.
Quel est ce message? Vous venez de l’entendre avec moi, comme nous le recommande le Psalmiste, de ne pas fermer aujourd’hui notre cœur, d’écouter la voix de Dieu.
Nous venons d’entendre ce que le Seigneur dit (dans l’Évangile), dans ce beau passage de Marc (7, 1-8.14-15.21-23). Laissez-mois vous le répéter — je sais que vous avez bien retenu, mais nous ne perdrons rien à l’entendre de nouveau; la répétition, c’est la mère des sciences, dit-on:
Les scribes sont venus avec les pharisiens, et ils demandent à Jésus: «Seigneur, regarde tes disciples! Comment peux-tu les laisser faire? Ils ne respectent pas la tradition, ils ne se lavent pas les mains comme les autres le font, comme nous nous le faisons.»
À y regarder de près, la question est innocente; elle ne renferme aucune méchanceté. C’est une question normale: «Seigneur, pourquoi tes disciples ne font-ils pas comme nous?»
Mais Jésus connaît très bien les pharisiens. Nous savons qu’il est continuellement aux prises avec eux dans l’Évangile; il est tout le temps obligé de se défendre contre eux. Et ici, il va droit à l’essentiel: se laver les mains, c’est bien, c’est important, mais le plus important, ce n’est pas tellement ça, ce n’est pas cette tradition que les hommes nous ont laissée, mais la loi de Dieu. Et le plus important dans la loi de Dieu, elle nous demande de laver notre cœur, de nous laver l’intérieur. C’est ça qui doit être pur. C’est à ça que vous devez veiller.
Et comme le Seigneur sait le faire, il les ramasse quand même: «Vous êtes des hypocrites, Isaïe a fait une bonne prophétie sur vous dans ce passage de l’Écriture: Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi.» Jésus leur rappelle qu’eux, ce qu’ils font, ce n’est que de l’extérieur; à l’intérieur, il n’y a rien.
Les Pharisien questionnent Jésus. |
À dire vrai, si nous suivons de près les différent de Jésus avec les scribes et les pharisiens, ça revient pratiquement toujours à ça; il ne leur reproche pour ainsi que toujours la même chose: leur fausseté, le fait de ne pas être vrai. Et Jésus ne peut pas supporter ce qui n’est pas vrai, parce qu’il est la Voie, la Vérité et la Vie. La vérité ne peut pas supporter le mensonge.
Voilà pourquoi Jésus ne se gêne pas de qualifier les pharisiens d’hypocrites. Savez-vous qu’aujourd’hui, quand on vous appelle un pharisien, ça devient grave, c’est une injure, vous vous sentez blessé. Mais au fond, le mot «pharisien» n’est pas mauvais; parmi les traditions religieuses, la tradition pharisaïque était l’une des plus respectées. Les pharisiens étaient des gens respectables. Mais voilà maintenant que depuis Jésus, on y a collé un sens, une connotation péjorative: pharisien est devenu synonyme d’hypocrite...
«Pharisiens, hypocrites, vous ne tenez compte que de l’extérieur, mais votre intérieur est pourri. Parce que vous n’êtes pas vrai, parce que vous êtes faux. C’est ça qui vous conduit à commettre vols, meurtres, adultères...» et vous connaissez toute la tirade que le Seigneur leur a sortie.
Chers frères et sœurs, ce message que le Seigneur nous apporte aujourd’hui, qu’il a prévu dans sa providence de nous livrer au cours de cette liturgie, doit nous faire réfléchir à plus d’un titre. Aujourd’hui, quand nous regardons de plus près tout le temps que nous venons de passer, c’est essentiellement pour stigmatiser les pharisiens des temps nouveaux que sont les banquiers.
Ce sont de véritables pharisiens parce que, ce que nous leur reprochons, c’est de se présenter avec les allures les plus joyeuses, les meilleures qui soient, ils prétendent apporter la vie: on vous donne de l’argent, vous allez réaliser des grands projets, vous allez réaliser des bonnes choses, mais en fait, derrière cet argent, c’est la mort qu’on vous apporte, ce n’est pas la vie. Vous ne saurez pas rembourser, vous serez endetté, vous commencez à mourir de faim. Derrière cet argent, ils nous disent toujours: «C’est bien, c’est ceci que nous vous présentons.» Et vous, comme un poisson affamé, vous voilà vite attrapés à l’hameçon.
Mes chers frères et sœurs, rappelez-vous la première encyclique de Benoît XVI, c’était Deus Caritas Est, Dieu est amour. Mais il a fait vite suivre cette encyclique par une autre: Caritas in Veritate, la charité dans la vérité. Parce que souvent nous posons des actes que nous croyons charitables, mais est-ce vraiment dans la charité et la vérité que nous posons ces actes? Souvent c’est dans la fausseté, c’est d’une manière hypocrite; ce que nous visons c’est autre chose.
Vous n’avez pas oublié ce que nous vivons encore maintenant. Toute la campagne qui a été lancée pour les préservatifs (condoms): «Le monde est menacé par le sida, il faut sauver le monde, et la solution miracle, c’est les préservatifs!» Le Pape Benoît XVI a même osé s’inscrire en faux, il a osé dire le contraire (en mars 2011, lors de son voyage au Cameroun et Angola), et nous savons ce que cela lui a coûté: une campagne qui s’est déchaînée contre lui. Il y eut même un vice-premier ministre belge qui demanda alors qu’on traduise le Pape en justice. Des millions de dollars vont être versés pour acheter des préservatifs, mais nous savons très bien que ce n’est pas sauver des vies qui compte pour eux, mais bien vendre leur produit...
Aujourd’hui, quand nous regardons les nouveaux pharisiens des temps modernes, tout ce qui se déverse, quand nous considérons l’exemple du Congo, ça prend même les formes les plus humanitaires qui soient!
On nous dit par exemple que l’ONU est au Congo pour sauver le peuple, pour empêcher la guerre! Mais, mon Dieu, ce sont des millions qui sont inscrits chaque jour dans le compte du Congo comme dette pour payer la présence de l’ONU au Congo, et pourtant, quand les gens se battent, les soldats de l’ONU n’interviennent pas, ils n’empêchent pas. Ce sont les mêmes qui acceptent que d’autres soldats, s’en prennent au peuple, à la population congolaise de la manière la plus cruelle qui soit. Faire violer les femmes, c’est déjà grave, c’est quelque chose d’inadmissible, d’intolérable; mais pire que ça, ils recherchent des soldats atteints du sida avec comme mission de violer systématiquement le plus de femmes possible: ça signifie que c’est le peuple lui-même dans son avenir qui est visé, qui est atteint.
Vous voyez avec quel cynisme on peut prétendre faire le bien, et pourtant, ce n’est pas vrai, c’est une charité fausse. C’est faire le pharisaïsme, c’est être agent de mort; tous ceux-là sont des agents de mort...
Nous aussi nous sommes des pharisiens des temps nouveaux, dans chacun de nous, il y a un pharisien qui sommeille. En chacun de nous il y a un orfèvre (en référence au texte de Louis Even qui explique comment l’orfèvre est devenu banquier). Nous devons y regarder de plus près, les actes que nous posons, soit disant des vérités, est-ce que ce sont des actes que nous posons en toute charité, ou bien y a-t-il un intérêt quelque part que nous recherchons.
Quand nous y regardons de plus près, chacun de nous, nous constaterons que nous ne sommes pas si loin des pharisiens, parce qu’après tout, les pharisiens d’une part, les gros financiers, les banquiers, n’agissent pas seuls, ils agissent avec nous. Ils agissent avec la complicité des politiciens, avec la complicité même du peuple qui n’est pas informé. Ce peuple qui accepte que ses enfants s’engagent dans la guerre, parce qu’on lui a fait croire que c’est une bonne chose pour libérer son peuple.
Nous devons prendre garde à cette complicité. Chacun de nous, de l’une ou l’autre manière, regardons nos appareils, regardons nos ordinateurs: nous portons le sang des victimes de la guerre au Congo (RDC). Nous portons le sang de toutes ces femmes qui sont violées et meurent, et de tous ceux qui meurent après, du sida. N’oubliez pas, vous le savez très bien que c’est le coltan, dont on se sert dans les instruments, dans les appareils aujourd’hui, qui est un des véritables motifs de la guerre au Congo, pour qu’on continue à exploiter ce peuple, qu’on le balkanise, qu’on le fragilise, et il n’existe plus comme État.
Mes chers frères, nous allons prier pour que le Seigneur nous aide, que le crédit social arrive à triompher. Mais là aussi nous devons prendre garde: le crédit social n’est pas une potion magique, n’est pas un médicament miracle; le crédit social, c’est l’homme qui doit l’appliquer. Et cet homme qui doit l’appliquer, doit l’appliquer en vérité. S’il ne le fait pas en vérité, à ce moment-là, c’est fini, ça va se détériorer.
Nous allons prier pour les Pèlerins de saint Michel; que le Seigneur leur donne de continuer leur combat, et qu’ils soient un instrument précieux qui sera le fer de lance de la bataille que l’Église engage pour la justice, pour la vérité, pour l’amour.
Nous allons prier pour tous ceux qui sont victimes des banquiers, autant ici en Occident que chez nous en Afrique.
Nous allons prier pour nos enfants qui vont recevoir le sacrement de confirmation. Que ce sacrement les confirme comme chrétiens, qu’ils continuent à être éduqués dans un milieu chrétien, qu’ils se développent comme chrétiens, et que plus tard qu’ils puissent être eux aussi des véritables combattants de la justice, des véritables combattants de l’avènement du règne de Dieu parmi nous. Amen.